Renvoyons cette LEtr à son expéditeur
Renvoyons cette LEtr à son expéditeur
Nous publions ci-dessous de larges extraits de lintervention au Conseil national préparée par Marianne Huguenin du PST/POP soutenant la proposition du groupe «A gauche toute!» de renvoi de la LEtr au Conseil fédéral
Jannonce mes intérêts dans ce débat:
- Je suis originaire dun canton, celui de Neuchâtel, qui a octroyé en 1848 le droit de vote sur le plan communal aux étrangers, en remerciement de leur contribution active à la révolution neuchâteloise.
- Je suis conseillère municipale dune ville de 18000 habitant-e-s, dont une majorité de migrantes et de migrants: 53% de ses habitant-e-s ont des passeports étrangers, des pays de lUE, mais aussi du monde entier.
- Jai été 17 ans médecin généraliste dans cette ville. Dans lexercice de ce métier, jai constaté à quel point notre législation sur les étrangers-ères pèse sur la vie des humains.
Cette loi est censée remplacer, moderniser la loi sur le séjour et létablissement des étrangers (LSEE) datant de 1931. Trois quart de siècle plus tard, cest le même esprit qui lhabite: celui de la peur des étrangers; état desprit incarné par cette vieille théorie de l«Ueberfremdung», peur de la surpopulation étrangère, peur surtout de l«altération excessive de lidentité nationale», traduction rendant mieux compte de la composante raciste de ceux qui ont mis ce concept au cur de la politique des étrangers-ères en Suisse, et qui ont fait de cette politique une lutte contre les communistes, contre les juifs, contre les étrangers-ères «inassimilables, indésirables, ressortissants de pays qui nont pas les idées européennes, apatrides, ceux qui nont pas de papiers nationaux»…
Ces termes datent des années 30 et 40; nous les avons entendus, pratiquement inchangés, ici même, ces jours, dans le débat sur lasile. Ils sous-tendent ce projet de loi. Ils proviennent des mêmes milieux. Ces milieux-là, les partis nationalistes, la très grande majorité de lUDC, son conseiller fédéral, mais aussi des secteurs non négligeables des radicaux, du PDC finalement, cette loi est sortie des services de Mme Metzler, raison de notre manque denthousiasme un certain 10 décembre sont ainsi dans la droite ligne de ce racisme dEtat qui a marqué la Suisse du 20ème siècle, et dans lequel nous restons désespérément englués [ ]
Un peu de distance historique fait du bien! Comparé à cette LEtr contemporaine, cest un souffle dair frais qui nous vient de cette Suisse du tout début du 20ème siècle! Avant la 1ère guerre mondiale, la liberté de déplacement et détablissement y était grande. De 1876 à 1920, la naturalisation était possible après 2 ans de séjour, et elle était considérée comme le début de lintégration, comme un préalable. La peur de la révolution bolchévique, la grève générale de 1918 vont modifier ce climat: 1917 voit la création dun office central de police des étrangers, et cest en 1920 que le Conseil fédéral porte à 6 ans le délai pour la naturalisation et institue un examen testant le degré dassimilation. En 1925, sera introduit, dans la Constitution, un nouvel article permettant lexpulsion dun étranger. Pour la naturalisation à lessai, révocable après 10 ans, lidée est toute neuve: il aura fallu attendre 2004; on narrête pas le progrès
Un homme a marqué cette politique, Heinrich Rothmund, chef de la police des étrangers en 1917, toujours là en 1954, définissant une politique restrictive visant à faire que le nombre le plus petit possible de travailleurs étrangers parviennent à létablissement, invitant à sélectionner les plus choisis. Le statut de saisonnier, utilisé au maximum par le Conseil fédéral de lépoque, va dans ce sens-là: tout faire pour éviter que les travailleurs étrangers se fixent en Suisse de manière durable. Cest exactement létat desprit imprégnant la LEtr.
Finalement, M. Blocher, vous-même, Mme Metzler qui vous a précédé, ainsi que le Conseil fédéral, vous en êtes toujours à faire la même politique Or nous navons pas besoin dans ce pays et en 2004 dun chef de la police des étrangers, dun clone de Heinrich Rothmund… Nous avons besoin de ministres courageux, ouverts sur lavenir, suffisamment confiants dans les valeurs de ce pays pour ne pas avoir peur de lautre, des autres.
Nous avons besoin aussi de femmes et dhommes politiques suffisamment honnêtes pour ne pas faire de la peur de létranger leur fond de commerce politique, pour ne pas faire des étrangers les boucs émissaires de la crise économique, culturelle et sociale que traverse le modèle social que vous défendez, celui du capitalisme mondialisé. Ce système dont la concurrence et le profit deviennent les seuls buts, maintient ou jette dans la misère des millions dêtres humains, ne leur laissant pas dautres choix que la migration pour assurer leur avenir et ceux de leurs enfants.
Nous devons sortir de cette conception du monde qui fait de notre pays un Eden où toutes les misères de lunivers ne demandent quà sengouffrer. Les migrations sont toujours douloureuses, elles ne sont pas des choix légers, des voyages en touristes, des vacances, des courses dans le supermarché, fût-il celui de lOccident. Nul être humain ne quitte sans autre son pays, sa culture, sa famille. Mais nous sommes actuellement dans un monde où les violences, les guerres, la misère, les inégalités qui saccroissent poussent les humains à traverser les frontières, comme le fait largent, comme le font les marchandises, comme le fait linformation.
La Loi sur les étrangers ne fait que remettre un mur, constitué, dailleurs, de façon très paradoxale, par les pays de lEurope dont la majorité de cette assemblée ne veut. Vous voulez vous cacher au milieu de cette Europe, bien à labri de tous ces pays sûrs, ne laissant du reste du monde pénétrer chez nous que ceux qui ont des porte-feuilles bien garnis, des cerveaux universitaires ou alors, hypocritement, celles qui sont les plus exploitées. Tributaires des mafias que la Suisse ne se donne pas les moyens de combattre, les danseuses de cabaret et autres «artistes» condamnées à un permis L sans avenir, enchaînées à leur scène de cabaret (la LEtr continuera à y veiller, ne leur permettant pas de changer dactivité: travailleuse du sexe tu es, travailleuse du sexe tu resteras ), condamnées à payer des cotisations dassurance-chômage à la source, alors quelles ne pourront jamais en bénéficier comme avant elles les saisonniers , leurs permis de courte durée, ne leur permettant même pas despérer accéder un jour à un permis stable.
Le groupe «A gauche toute!» ne veut pas dune loi sur les étrangers qui sent la naphtaline et qui na même pas l«excuse» de dater de 1931! [ ]
Marianne HUGUENIN