La Suisse et le pacte anti-asile de l’Europe
En mai 2024, l’Union européenne adoptait un nouveau pacte européen sur la migration et l’asile, après des années de négociations. Son objectif: réorganiser les demandes d’asile sur le continent en contrôlant et en enfermant. Il sera débattu au parlement suisse lors de la session d’été.

Le pacte européen sur la migration et l’asile fait suite au constat d’échec du système actuel. Le règlement Dublin, qui prétendait réguler la répartition des demandes d’asile entre les pays, ne remplit pas son rôle. Il est insatisfaisant à la fois du point de vue des gouvernements que de celui des personnes concernées ou du respect de leurs droits fondamentaux.
Enfermer et contrôler encore davantage
Le nouveau pacte sera applicable à partir de 2026. Il vise à durcir le contrôle de l’immigration en Europe: détention à toutes les étapes du parcours migratoire (dans et en bordure d’Europe), facilitation des renvois – y compris pour les mineur·es – procédures accélérées aux frontières, etc.
Ce plan généralise la concentration des personnes dans des camps, sur le modèle expérimenté depuis 2015 en Grèce et en Italie… et depuis 2019 en Suisse dans les Centres fédéraux d’asile! L’application de procédures expéditives en vue de bloquer les personnes aux portes de l’Europe forteresse signifiera évidemment nombre de violations des droits humains.
Pour la Suisse, ce pacte anti-asile représente une facilitation d’application du règlement Dublin, grâce auquel elle se débarrasse des demandeur·ses d’asile sans même examiner leur besoin de protection. Plusieurs délais seront adaptés au détriment des réfugié·es et même les mineur·es non accompagné·es seront menacé·es de renvoi.
Un pseudo mécanisme de «solidarité»
Ce pacte représente un grand risque d’effondrement si les pays européens ne jouent pas le jeu. Les pays en bordure d’Europe étant bien plus soumis à pression que les autres, un mécanisme ironiquement nommé de «solidarité» a été prévu. Dans son message relatif au pacte, le Conseil fédéral a proposé que la Suisse y participe «volontairement». Sinon, elle pourra toujours choisir de verser de l’argent à l’Union Européenne pour se dispenser de la prise en charge des personnes…
Le gouvernement suisse n’envisage cependant pas de reprendre le seul élément du pacte qui représenterait une amélioration pour les réfugié·es: transformer le permis F (admission provisoire) en une version européenne qui donne de meilleurs droits aux personnes.
Si le Conseil fédéral a déjà donné son avis, reste le passage dans les Chambres (au cours du mois de juin). Du côté des mouvements pour le droit d’asile, la riposte est déjà dans l’air sachant que, quelle que soit la décision finale, le droit d’asile que nous exigeons n’a rien à voir avec le contenu de ce pacte.
Aude Martenot
Enrayer le rejet européen des personnes exilées
Un petit ouvrage pour défendre une vaste cause. En quelques pages, Claude Calame, professeur honoraire à l’Unil, brosse un tableau actuel de la situation migratoire en Europe, des conséquences de ses lois d’asile et de la migration sur les personnes concernées, des raisons de cette déshumanisation et plus généralement des inégalités profondes qui affectent les pays du Sud global au profit de ceux du Nord.
Constatant le déni d’humanité qui frappe l’Europe (Suisse inclue) au point de laisser périr, en dix ans seulement, près de 30000 personnes venues chercher refuge en Europe, l’auteur décortique les causes de cette déliquescence. Les États et la classe politique sont coupables de ce crime contre l’humanité nous dit-il, avant de désigner leur outil policier privilégié: l’agence de gestion des frontières européennes Frontex.
Puis, analysant le nouveau pacte migratoire européen en gestation, il peint le tableau des prochaines années: fermeture accrue des frontières à grands renforts de barrières, murs et barbelés, de camps d’enfermement en vue d’un tri drastique, d’externalisation dans les pays limitrophes et de déploiements policiers mortifères. Accélérer les procédures et renvoyer autant que possible: un modèle qui ressemble furieusement à la nouvelle politique d’asile suisse…
La solidarité n’est pas absente du récit: sans les centaines d’associations et de personnes mobilisées pour défendre les droits des personnes migrantes et répondre tant que possible à leurs besoins, la négation des identités serait bien plus grande encore. La résistance est là, avec une réponse humanitaire et politique adaptée, rappelant qu’une humanité existe et montrant la voie.
AM