Déni d’humanité

L’acception du Pacte européen sur la migration et l’asile et le passage en force de la «Loi Darmanin» en France représentent deux nouveaux exemples du caractère violent, voir criminel des politiques migratoires occidentales. 

Manifestation contre la loi immigration
Manifestation contre la loi immigration et en solidarité avec Gaza, Marseille, 14 janvier 2024

Depuis 2014 plus de 20 000 personnes contraintes à l’exil et cherchant un refuge dans l’Union européenne ont perdu la vie, en particulier en Méditerranée centrale et au large des Canaries, mais aussi dans la Manche ou sur la «route des Balkans». Ce véritable crime contre l’humanité a été dénoncé à plusieurs occasions, notamment devant la Cour pénale internationale. La cause de ces milliers de mort·es souvent anonymes? La fermeture toujours plus répressive des frontières de l’Union européenne aux personnes ne détenant pas de visa d’entrée.

Or, cette politique de rejet discriminatoire de toute personne condamnée à l’exil vient d’être consacrée par l’acceptation, par le Parlement de l’UE, du Pacte européen sur la migration et l’asile. De fait, ce pacte ne fait que confirmer la politique conduite à cet égard par l’UE, inscrite dans les accords de Dublin III: externalisation des frontières (Turquie, Libye, Tunisie, Maroc et même le Niger), dissuasion à l’entrée dans l’UE, sélection entre demandeur·euses d’asile et «migrants» (au masculin !) condamnés à l’exclusion, rétention administrative (mineurs inclus) et politique des retours forcés. S’y ajoutent les limitations à la libre circulation au sein de l’espace Schengen. Le nouveau texte se caractérise en particulier par la multiplication des dispositifs d’enfermement, de tri et de refoulement aux frontières européennes. En contraste, la migration de la main-d’œuvre est favorisée, mais en tenant compte des différents niveaux de compétences requis. 

La France se barricade

De ce point de vue, au sein de l’UE, la France est désormais confrontée au passage forcé de la «loi Darmanin», du nom du Ministre de l’intérieur. Annoncée dès le début du second quinquennat d’Emmanuel Macron, elle obéit aux mêmes principes. Avec l’objectif significatif de «contrôler l’immigration et améliorer l’intégration», elle vient de passer en force grâce à l’appui de député·es du Rassemblement National

Le texte de loi prévoit notamment, à l’égard des étranger·ères au statut précaire, un durcissement de l’accès aux prestations sociales, dont les allocations familiales et les aides aux logements; des restrictions au regroupement familial et au droit du sol ; des obstacles financiers à l’accueil des étudiantes et étudiants extra-communautaires ; une exécution systématique des OQTF (obligation de quitter le territoire français) assorties d’IRTF (interdiction de retour sur le territoire français); la facilitation des expulsions pour les étranger·ères délinquant·es ; des titres de séjour soumis au respect des « principes républicains » et des permis à durée limitée, réservés aux «métiers en tension». Désormais la répression et le rejet priment largement sur un accueil qui reste sélectif, subordonné qu’il est non seulement aux exigences économiques du pays, mais aussi à l’idéologie dominante de la «préférence nationale».

L’occident coupable

Mais pourquoi ces migrations sous la contrainte? Pourquoi ces personnes forcées à l’exil qui, en majorité, émigrent d’ailleurs dans les pays limitrophes à leur région d’origine? Pourquoi ces choix délibérés de l’exil en raison d’une situation de précarité qui exerce sur les individus et leurs familles des pressions d’ordre matériel, moral, psychique, social, politique, sinon culturel?

On l’a dit à plusieurs reprises, au titre des causes des migrations forcées il y a tout d’abord les faits de guerre. Mais les actrices et les acteurs des migrations forcées sont avant tout les victimes des énormes inégalités, économiques, sociales et désormais environnementales, entraînées par le grand mouvement de la libéralisation mondialisée des échanges économiques engagée aux États-Unis et en Europe occidentale dans les années 80. 

C’est un mouvement globalisant dans lequel désormais Russie et Chine sont incluses. Il exige une croissance économique mesurée en termes de gains financiers par le fait d’une production asservie aux règles de la concurrence et du libre-marché, dans la recherche de la maximisation capitaliste des profits. 

Fondé sur des traités de «libre-échange» et réalisé par de puissantes entreprises multinationales soumettant à la logique managériale la plus crue l’exploitation et le commerce des ressources «naturelles» et humaines, le processus de la mondialisation économique et financière a asservi les pays les plus pauvres des Suds aux pays riches du Nord, animés par l’idéologie néolibérale, dans des rapports de domination néocoloniale. 

On en connaît les conséquences pratiques: destruction de l’agriculture vivrière et déforestation pour le développement de grandes plantations soumises à l’agrobusiness ; développement urbain anarchique par l’agglomération de bidonvilles ; pollutions diverses dans l’exploitation de l’environnement ; privatisation des services publics ; destructions des cultures locales et finalement conflits et guerres à composantes néocoloniales. 

C’est dire qu’en particulier les pays de l’UE, parmi lesquels la Suisse tient la vedette, sont largement responsables des causes de l’exil migratoire dont ils rejettent les victimes, les condamnant à l’exclusion, sinon à la disparition et à la mort. Les pays de l’UE sont coupables, vis-à-vis de celles et ceux qu’ils rejettent dans la catégorie discriminatoire du migrant, d’un véritable déni d’humanité.

Claude Calame