France

Minuit moins le quart en France

Le 19 décembre, le Parlement français a adopté un projet de loi durcissant les règles en matière d’immigration, malgré une rébellion dans les rangs du parti au pouvoir. Le but de cette loi, soutenue par l’extrême droite, est de «rendre la vie impossible» à toutes et tous les étrangers·ères.

Manifestation contre la Loi immigration à Paris
20 000 personnes ont défilé à Paris le 18 décembre 2023 pour la «Marche des solidarités contre la loi Darmanin».

Depuis 1 an et demi le ministre de l’intérieur préparait SA loi. Cyniquement il osait «je vais pourrir encore plus la vie des migrants». Cette loi serait plus dure que celles sur le séparatisme ou la sécurité globale, plus radicale que les 30 lois votées contre les migrant·e·s en 40 ans. Et… il a réussi. La France rompt légalement avec l’égalité, la liberté, la fraternité, elle choisit l’illégalité pour certain·e·s, la discrimination et la répression pour les mêmes et le racisme pour toute la société. Elle institue avec et pour le RN la préférence nationale. Retour sur le contenu de ce texte et la crise politique française.

Tractations minables pour loi dangereuse

Ni les mobilisations contre le projet de loi, ni la motion de rejet de celui-­ci votée à l’Assemblée Nationale (AN) – acte politique exceptionnel – n’auront réussi à empêcher l’adoption de la loi. 

Après le rejet par l’AN de débattre du texte encore durci par le Sénat, le gouvernement avait trois possibilités : retirer complètement son projet (option démocratique), appliquer le 49.3 (option autoritaire) ou mettre en place une commission parlementaire de médiation (CPM). C’est celle-ci qu’il a choisie. 

La CMP, composée de sept sénateurs·trices et sept député·e·s, a abouti à un texte consensuel qui a ensuite été adopté par le Parlement. Pendant les deux jours qui ont précédé la réunion de la CPM , des tractations se sont tenues entre Renaissance (parti de Macron, pas si majoritaire que cela) et Les Républicains (droite conservatrice) d’Eric Ciotti, avec la première ministre Élisabeth Borne engagée fortement pour cette loi. On note ici l’ingérence du pouvoir exécutif sur le législatif!

Le texte final de la CPM a donc été voté mardi 19 décembre. Marine Le Pen ne s’y est pas trompée, elle a immédiatement annoncé que c’était « un petit pas qui va dans le bon sens, nous avons gagné idéologiquement ». Juste !

Quelques points sur cette loi

Cette loi, c’est la sur-précarisation pour toustes les migrant·e·s. Sur l’emploi des personnes sans papiers par exemple. Le titre de séjour d’un an maximum non seulement est lié au contrat de travail dans un emploi dit en tension mais en plus toute latitude est donnée aux Préfets pour accorder ou non in fine ce titre de séjour précaire. C’est l’immigration choisie et jetable et l’esclavage moderne !

La paupérisation est volontairement accentuée avec le délai allongé pour toucher les prestations sociales: un· étranger·ère en situation régulière devra avoir 5 ans de présence en France ou 30 mois de travail pour toucher notamment les allocations familiales

La plupart des autres articles de la loi sont liés à la répression. Le délit de séjour irrégulier est rétabli, puni de 3750 euros d’amende, avec garde à vue possible. Le maximum de jours d’enfermement en centre de rétention administrative passe de 90 à 135. 

La déchéance de nationalité pour les binationaux est rendue possible pour les auteurs de crimes contre les forces de l’ordre.

Même le droit du sol est remis en cause. Les jeunes né·e·s en France de parents étrangers n’accéderont plus automatiquement à la nationalité française à leur majorité. Ils devront faire une démarche volontaire de manifestation de leur volonté de devenir français·es entre 16 et 18 ans. En espérant qu’ils oublient ?

Fascisation à la française ?

Les restrictions des maigres droits des migrant·e·s accréditent l’idée que ce pays est envahi par une immigration massive avec risque de « grand remplacement ». La kyrielle de mesures répressives désigne, au mépris de toutes les statistiques, qu’étranger et migrant c’est la même chose. 

Enfin l’artice de loi instituant le débat obligatoire annuel sur l’immigration avec des objectifs de quotas chiffrés assure au gouvernement un «bon» sujet de divertion. Cela entretient contre les étrangers·ères un puissant racisme structurel qui imprègne toute la société et pour notre classe une division terrible. Cela n’empêchera pas la crise de gouvernement de Macron. 20% des député·e·s de sa majorité, relative à l’AN, ont voté contre la loi ou se sont abstenu·e·s.

À force de mettre en musique les propositions du RN, celui-ci apparaît comme une alternative crédible. Ce qui permet à son patron, Jordan Bardella d’annoncer sa disponibilité à devenir premier ministre dans un gouvernement de cohabitation avec Macron, en cas de dissolution de l’AN!

La séquence n’est pas terminée. Les député·e·s de LFI ont saisi le Conseil constitutionnel pour qu’il juge de la cohérence de certains articles avec la Constitution. Donc la loi n’est pas promulgable pour le moment.

Des rassemblements spontanés ont éclaté un peu partout au lendemain du vote. On ne lâche rien, on n’en veut toujours pas des Darmanin/Macron et de leur monde!

Roseline Vachetta