«En tous lieux»

Une expo sur la réalité de l’accueil, de Briançon à Calais

Par des photographies, des témoignages audio et des vidéos, l’artiste Elisa Larvego illustre la réalité de la migration et de la solidarité aux frontières de la France, à Briançon et Calais, ou encore dans un squat à Lyon. Une expo à voir jusqu’au 12 novembre.

Deux migrants sur la terrasse du refuge solidaire de Briançon. Photo de l'expo de Elisa Larvego
Elisa Larvego, Bouba & Ibrahim sur la terrasse du refuge solidaire, Briançon, 2019

Du 24 septembre au 12 novembre prochains, Elisa Lavergo exposera à la Ferme de la Chapelle au Grand-Lancy (à Genève). À travers des photographies et des installations audiovisuelles, l’artiste se penche sur les obstacles dressés sur les parcours migratoires pour arriver ou partir de France, dans le contexte d’une Europe forteresse qui criminalise les exilé·e·s et d’une population civile qui se trouve bien souvent être le dernier bastion en lutte pour un accueil « digne ». Une table-ronde se tiendra sur le lieu de l’exposition le 8 octobre prochain.

Faire parler les exilé·es et les solidaires

Dès 2016 dans la «jungle» de Calais jusqu’en 2020 à Briançon, dans les Hautes-Alpes, et à Lyon, au squat Maurice-Scève, la photographe a recueilli une vingtaine de témoignages et d’images de personnes exilées et de militant·e·s. Délibérément, les légendes des photographies ne permettent pas d’identifier qui tient quel rôle : pour les exilé·e·s, la solidarité et la lutte politique font autant partie du quotidien que pour les solidaires.

L’autre volet de l’exposition est constituée d’une projection d’images des différents lieux, choisies pour leur neutralité, avec en fond sonore des témoignages de personnes exilées puis des militant·e·s. Les images filmées présentent seulement les décors, sans personnages, afin de permettre aux auditeurices de mieux se représenter la réalité racontée. Les témoignages des un·e·s et des autres se répondent pour brosser un portrait émouvant, clair et détaillé des lieux, des luttes, des obstacles et de la répression subie. 

Les maraudes de Briançon

Le début du film d’Elisa Larvego expose la réalité des luttes solidaires à Briançon. Dans la montagne, les militant·e·s réalisent des maraudes pour porter secours aux exilé·e·s qui passent la frontière de l’Italie à la France en empruntant les routes dangereuses des cols. Ces maraudes sont appelées des « aller-vers » en France, un concept qui désigne tant la démarche de travail social, de lutte contre l’isolement que celle plus large de la migration.

À Briançon, les maraudes ont débuté à l’hiver 2015. Bientôt, le nombre de personnes qui arrivent nécessitera d’ouvrir un refuge solidaire pour les accueillir, le temps de reprendre son souffle, guérir des blessures superficielles (les blessures plus profondes mettront bien davantage de temps à guérir) et choisir où continuer sa route. 

En 2023, Elisa a rencontré plusieurs maraudeur·euse·s qui lui ont raconté leurs expériences pour déjouer les dangers que représente la montagne pour qui ne la connaît pas. Mais aussi, les stratégies pour déjouer la répression policière, pour dénoncer le délit de solidarité qui provoque de nombreuses arrestations, parmi les solidaires. Une maraudeuse de Briançon sera d’ailleurs présente lors du finissage de l’exposition, le 12 novembre à 14 h, avec un ami exilé qui vit à Lyon. 

Ces dernières années, les procès pour «délit de solidarité» dans la région ont été largement médiatisés, notamment celui des «3+4 de Briançon». Ceci a attiré l’attention sur la question et peut-être, permis de réduire un peu la répression subie par les personnes en lutte…

Calais : après la «jungle», l’oubli?

Inversement, si la «jungle» de Calais avait été mise sous le feu des projecteurs en 2015-2016 au moment où le gouvernement a tenté d’organiser son démantèlement, depuis, on parle peu de ce qui se passe encore et toujours là-bas. Pourtant, il y a de quoi dire. Et les témoignages recueillis par Elisa sont bienvenus pour révéler cette réalité : destructions de biens dans le but de faire fuir, entrave au travail solidaire, violences policières… 

Au travers des témoignages, on perçoit aussi distinctement la responsabilité de l’État, des lois, des choix politiques, qui mettent tout en œuvre pour rendre la (sur)vie impossible aux personnes migrantes, aux militant·e·s et de plus en plus, aux associations d’entraide également. 

L’exposition En tous lieux permet de sortir des généralités, des statistiques et des chiffres pour s’approcher des individus. Un processus nécessaire pour comprendre les parcours migratoires et ce qu’ils peuvent représenter comme difficulté, comme lutte incessante. À voir absolument !

Aude Martenot