Du centre d’accueil à la répression systématique

« La France ne laissera pas la Manche devenir un cimetière » a déclaré Emmanuel Macron au lendemain du naufrage qui a coûté la vie à 27 personnes exilées en novembre dernier. Il oubliait de mentionner les trois centaines de migrantes et migrants qui ont déjà perdu la vie en tentant de rejoindre la Grande-Bretagne depuis le Calaisis.

Migrants à Calais observant les camions de police
Notre camarade Alexandre Salama s’est rendu à Calais pour y tourner un reportage sur la situation désastreuse des migrant·e·s.

Comment en est-on arrivé là ? En septembre 2002, Nicolas Sarkozy, alors Ministre de l’Intérieur, fait fermer le Centre d’hébergement et d’accueil d’urgence humanitaire de Sangatte, proche de Calais. C’est alors que, dans l’attente d’une occasion de franchir la Manche en pénétrant sur un ferry ou en se glissant dans un camion franchissant l’Euro­tunnel, les migrantes et migrants se disséminèrent dans la lande. Ils y improvisèrent d’improbables campements dans des conditions de sous-alimentation, d’insalubrité et de vulnérabilité inacceptables ; de nombreuses associations solidaires de bénévoles tentèrent d’y pallier, tant bien que mal. 

Depuis, à part l’éphémère institution en 2015 par le Premier Ministre « socialiste » Manuel Valls d’un « bidonville d’État », ce sont chaque année des centaines de personnes en exil, parmi lesquelles de nombreux mineurs non accompagnés, qui tentent de survivre autour de Calais avant de trouver un moyen de rejoindre l’Angleterre.

Externalisation des frontières : la France comme la Libye

Systématiquement réprimées, ces personnes ont été poussées à un exil aléatoire et risqué dont on connaît les raisons : les conflits armés dont les pays de l’UE sont sinon les acteurs du moins les complices (Irak, Afghanistan, Syrie, Yémen), sans aucun doute ; mais aussi les conséquences destructrices, pour les communautés humaines et pour leur environnement, d’un système économico-financier globalisé, fondé sur les principes d’un néolibéralisme imposé par un capitalisme dérégulé. 

Ce sont des personnes qui cherchent une protection dans les pays mêmes dont elles ont subi la domination, en l’occurrence la Grande Bretagne. Elles sont d’abord contraintes à un trajet marqué par les violences à travers des régions désertiques puis les agglomérations ennemies d’une Libye livrée aux milices rivales, dans la perspective d’une traversée de la Méditerranée vers un pays de l’UE qui peut leur être fatale. Puis, si elles parviennent en France, les attend un parcours hasardeux à travers les alpes maritimes, contrôlées par les forces de police prêtes à refouler migrantes et migrants, avant d’atteindre le rivage barricadé et étroitement surveillé de la Manche, désormais également par l’agence Frontex avec la complicité des pays de l’UE et de la Suisse. 

Comme pays de transit pour les personnes en exil, la France occupe en somme la position de la Libye. De même que les gouvernements aléatoires et autoritaires de la Libye, la France a accepté la réalisation sur son territoire du contrôle de la frontière d’un pays voisin. Cette externalisation de la frontière de la Grande Bretagne a été consacrée en particulier par les accords du Touquet, signés en 2003 par Jacques Chirac du côté français et Tony Blair du côté anglais ; et cela à la suite de la fermeture du camp d’accueil de Sangatte. 

Aux termes de cet accord, c’est finalement la France qui assume l’essentiel des contrôles et de la répression à l’égard des migrants désormais considérés comme des « clandestins ». La France assure donc de manière exclusivement policière le contrôle de la frontière orientale de l’Angleterre de même que la Libye, par des moyens répressifs qui vont jusqu’à l’enfermement des personnes exilées dans des camps aux conditions de détention violentes et indignes, assure l’externalisation des frontières méridionales de l’UE.

Droits des personnes exilées et crime contre l’humanité

En fait avec plus de 300 mort·e·s et disparu·e·s depuis 1999, la Manche est déjà devenue pour migrantes et migrants une zone de non-droit. De même qu’en Méditerranée centrale et désormais au large des Canaries pour l’UE, les effets mortifères de la politique de fermeture et d’externalisation des frontières de l’Angleterre avec la collaboration de la France correspondent à un nouveau crime contre l’humanité. Il devrait faire l’objet d’une dénonciation auprès de la Cour pénale internationale, dans une démarche analogue à celle entreprise par deux avocats en juin 2019 pour accuser l’UE de la disparition et de la mort de plus de 14 000 personnes exilées depuis 2013 au large des côtes de la Libye.

S’y ajoute la négation généralisée des droits individuels et sociaux des personnes contraintes à l’exil par les effets d’une politique néocoloniale dont les pays de l’UE et la Suisse sont des acteurs déterminants – avec les conséquences environnementales et sociales destructrices que l’on sait. Seule la rupture écosocialiste, établissant justice sociale et équilibre environnemental, pourra mettre fin à ce déni d’humanité.

Claude Calame