France

Les signes ostentatoires de l’islamophobie française

À la rentrée 2023, l’escalade islamophobe en France continue. Avec l’interdiction de l’abaya (et du qamis) dans les établissements scolaires, la stigmatisation des musulman·e·s, identifié·e·s à de véritables ennemi·e·s de l’intérieur se poursuit.

Un manifestante tient une pancarte contre l'interdiction de l'abaya
Marche unitaire contre le racisme systémique, les violences policières et pour les libertés publiques, Paris, 23 septembre 2023

Depuis 2004 et la loi sur le port des signes religieux, la juridiction concernant la laïcité n’a cessé d’enfler et vise désormais à criminaliser l’expression publique de la religion, plutôt qu’à affirmer la neutralité de l’État vis-à-vis de celle-ci. L’État, de fait, s’exprime de plus en plus et sanctionne une religion en particulier, la religion musulmane étant fréquemment accusée d’être «incompatible» avec les «valeurs» républicaines.

De façon de plus en plus décomplexée, la «défense de la laïcité» est devenue une véritable traque à la visibilité de l’Islam et une lutte contre celleux qui le pratiquent.

C’est sur cette ligne de partage que repose le clivage politique sur la validation de l’islamophobie d’État. À droite, le soutien à Gabriel Attal est univoque, et l’«islamisme» est évoqué à l’extrême-droite comme chez Les Républicains pour caractériser le port de l’abaya. 

À gauche, c’est sur deux dualismes que reposent les positionnements autour de la validation ou non de l’enjeu de la lutte contre les «signes ostentatoires» islamiques. Le premier oppose les «vrais enjeux» à des «diversions» et se justifie par la vieille préséance accordée au social sur tous les domaines dits sociétaux. Le deuxième reprend une autre ancienne de la gauche, à travers l’anticléricalisme d’un côté, et de l’autre, la défense des libertés individuelles.

La gauche «de gouvernement», le PS et le PCF, défendent donc globalement l’interdiction, même si quelques voix individuelles peuvent mettre en avant le caractère «non-prioritaire» ou politicien de la déclaration de Gabriel Attal, comme la porte-parole du PS, Chloé Ridel, mais dissimulent mal le racisme et la bonne conscience blanche qui structurent encore cette organisation: ainsi, un représentant de la «gauche» du PS, comme Jérôme Guedj, frondeur face à Valls, soutient pleinement le gouvernement en renvoyant à l‘islamisme. Cet alibi économiste sert le plus souvent à recouvrir d’une justification un racisme « cras », comme on a pu le constater à travers le tweet de Ségolène Royal, candidate aux présidentielles en 2007, qui associe l’abaya à un «déguisement» et l’oppose à la «gratitude» que devraient éprouver des jeunes musulman·e·s et racisé·e·s souvent issus de l’immigration à l’endroit de l’école. 

Le PCF, plus investi sur les enjeux économiques en proposant «d’envahir les stations essence, les grandes surfaces, les préfectures» contre l’inflation abonde en une rhétorique voisine en opposant aux «discours communautaristes sur l’abaya» son attachement à un «art de vivre» Français à travers la voix crâne de son premier secrétaire.

Iels sont rejoints par une partie de l’extrême-gauche, qui s’aveugle par la répétition d’une identification héritée du 19e siècle de la religion avec le paternalisme, ou avec l’aliénation, indépendamment des rapports de force concrets et de la diversité des identités, de l’histoire. Lutte Ouvrière s’engage dans un «ni ni», en affirmant l’équivalence d’un uniforme religieux et d’un uniforme scolaire, symétrique d’une position tenue par les groupes ayant quitté le NPA lors de la scission de 2023, qui dénonce l’islamophobie qu’en associant la pratique de l’Islam aux «pressions des religieux intégristes» et aux «replis communautaires».

À l’autre pôle de la «gauche de gouvernement», une ligne libérale émerge, dénonce le caractère stigmatisant de la circulaire, et nomme l’islamophobie, en défendant la liberté individuelle de se vêtir. C’est la ligne défendue par EELV, et par LFI, qui a engagé une procédure juridique en saisissant le conseil d’État contre la circulaire, sans cesser de défendre la laïcité.

Les centrales syndicales, moins attachées au récit républicain, dénoncent quant à elles, après le bégaiement de la secrétaire de la CGT, un discours électoral et stigmatisant pour une partie des élèves, mais reprennent la rhétorique de la diversion, tandis que la minorité des syndicats classés à droite, comme l’UNSA se félicitent de l’interdiction.

La lutte contre l’islamophobie, prise en charge par des collectifs de racisé·e·s comme Scolarité sans islamophobie, Touche pas à mon abaya, ou la commission antiraciste en non-mixité de Sud-Éducation 93, n’est centrale que dans une fraction de l’extrême-gauche. Révolution Permanente mène ainsi une campagne proactive autour des enjeux sécuritaires et sexistes associés à la répression islamophobe d’une part, tandis que le NPA s’attache à mettre en avant le caractère central de l’islamophobie pour structurer la politique Française.

Loin d’être une «diversion» ou de ne concerner qu’une «minorité», l’islamophobie est pour nous au fondement de la politique de construction de la nation Française sur une assise coloniale et Blanche, violente et aveugle à sa violence, qui implique de se différencier de l’altérité arabo-musulmane – criminalisée par sa seule visibilité, non sur le plan individuel mais comme communauté. Elle est un pilier de l’ordre racial, elle construit le consensus Blanc autour de l’État et de l’exploitation : le renverser est une priorité.

Hafiza B. Kreje de la Commission antiraciste du NPA