France

La révolte des jeunes des quartiers populaires

Le 27 juin, Nahel, 17 ans, est tué à bout portant par un tir de policier, mis en examen pour homicide volontaire. Ce crime, filmé, déclenche une puissante révolte notamment des jeunes des quartiers populaires qui expriment là une souffrance et une rage immenses. 

Marche blanche pour Nahel, Nanterre, 29 juin 2023.
20000 personnes ont pris part à la marche blanche pour Nahel, Nanterre, 29 juin 2023.

Nahel n’est malheureusement pas une exception. Treize personnes ont été tuées par des policier·ère·s pour refus d’obtempérer en 2022, soit six de plus qu’en 2021. Ces violences policières, rarement sanctionnées, sont systémiques, conséquences de politiques inégalitaires, hyper répressives et racistes. 

Le sentiment justifié de « ne pas compter »

Quartiers de relégation, où sont notamment (mal) logées les personnes descendant de familles de colonisé·e·s, victimes d’inégalités, de discriminations et de violences racistes et islamophobes. Le taux de chômage y est plus de deux fois supérieur à la moyenne nationale: 18% au lieu de 7% et, pour les moins de 25 ans, il s’élève à 30%. 25% des salarié·e·s français·e·s dont un bon nombre habitent ces quartiers, survivent dans l’extrême précarité, enchaînant «petits boulots» précaires mal payés et temps de chômage non indemnisés. 

Souvent, les services publics ont disparu, les commerces ont fermé. Les solidarités entre les habitant·e·s existent mais leurs associations voient les subventions se tarir. Depuis la marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983, rien n’a vraiment changé pour les habitant·e·s. Jamais celles et ceux qui ont le pouvoir de décider pour leur vie ne les écoutent. 

Ces quartiers ne sortent de l’invisibilité qu’après la mort de l’un des leurs, quand ils se révoltent et qu’ils font peur. Encore faut-il que la mort soit filmée pour briser l’indifférence et les mensonges de la police. Ainsi les familles et ami·e·s des jeunes Alhoussein à Angoulême et Mohammed à Marseille, tués également ces dernières semaines mais sans témoins, devront se battre encore plus durement pour que la vérité éclate et que justice se fasse!

Les habitant·e·s des quartiers populaires, ennemi·e·s de l’intérieur

Aujourd’hui encore, malgré les condamnations de l’ONU et de l’Europe, «les jeunes noirs ou arabes ont 20 fois plus de risques d’être contrôlés par la police que les autres», d’après Claire Hédon, défenseuse des droits. Un certain nombre de ces contrôles tournent mal, parfois jusqu’au drame, ce qui fait dire à un éducateur que «de fait ces jeunes sont tuables». C’est d’abord dans ces quartiers de relégation, ou à Mayotte, que les unités de police d’exception sévissent, comme la BAC, la BRAV-M, la CRS 8, une unité d’élite (!) créée et missionnée par Darmanin dans les quartiers en cas de violences urbaines «pour ramener rapidement l’ordre républicain». En ce moment, aux 45 000 policiers armés de  LBD et autres armes nommées cyniquement «à létalité réduite», s’ajoutent les drones, les hélicoptères et les voitures blindées de la gendarmerie.

Cette violence d’État dite légitime est confortée par la kyrielle de lois sécuritaires. La plus emblématique est celle sur le séparatisme. Depuis cette dernière, la suspicion de sécession avec la République et d’«islamoterrorisme» imprègne une partie des discours et des actes politiques. Les projets de lois sécuritaires sont récurrents, ils contribuent à diffuser le racisme d’État dans la population. Avec pour objectif aussi de nous diviser et de nous détourner des combats sociaux et politiques que nous devons conduire pour notre émancipation!

D’autres lois sont censées «protéger ceux qui nous protègent». Celle de 2017 sur l’autorisation de tirer sur une voiture dont le conducteur refuse de s’arrêter a eu pour conséquence de «multiplier par cinq le nombre de tirs des policiers», selon le criminologue Sébastian Roché. Des souplesses accordées à la police sont scandaleuses, par exemple la présomption de légitime défense en cas de tirs, mortels ou pas. Elle signifie exactement que chaque policier·ère qui fait usage de son arme, jusqu’à preuve du contraire, est innocent·e. La charge de la preuve incombe à la victime, qui doit démontrer que le·la policier·ère n’avait pas de raison légitime de tirer. D’où l’intérêt des vidéos filmant les policier·ère·s!

À maintien de l’ordre colonial, justice d’exception! «Il faut aller vite et frapper fort», répond immédiatement le ministre de la Justice Dupond-Moretti. Il faut faire des exemples. Que cela soit par des comparutions immédiates, des gardes à vue systématiques (plus de 1000), des condamnations, y compris de la prison ferme. Surprenant, lorsqu’on sait que 65% des personnes arrêtées n’avaient pas de casier judiciaire et que 30% étaient des mineur·e·s! 

Le Rassemblement National (RN) et la droite extrême, par la voix de Ciotti, patron des Républicains, exigent la construction de nouveaux lieux d’enfermement pour mineur·e·s, la responsabilité pénale pleine dès 16 ans, la suppression des allocations familiales aux parents d’enfants délinquants et le refus de l’accès au logement social. Et bien sûr, l’expulsion de tou·te·s les étranger·ère·s délinquant·e·s et de leurs familles. Le mépris, le racisme, la haine de classe explosent. Comme le paternalisme et le sexisme qui jettent en pâture à l’opinion publique «les parents qui ne savent pas élever leurs enfants, surtout dans les familles avec un seul parent!» Les mères, non ?!

L’extrême droite au Parlement, dans les médias et dans la rue

Avec 88 député·e·s à l’Assemblée nationale, Marine Le Pen et le RN se notabilisent. Discrète, elle se construit comme la seule alternative responsable et crédible en capacité de diriger le pays. En lien plus étroit qu’elle ne le reconnaît avec le reste de l’extrême droite.

Ainsi à la télévision, Éric Zemmour, ancien candidat à la présidentielle, éructe que «la France est dans une guerre civile, conduite par les délinquants de l’immigration qui jouent le rapport de forces avec l’État, la police et la justice, à force de tous les passe-droits dont ils bénéficient».

Jean Messiha, conseiller politique de Le Pen puis de Zemmour, invité régulier des médias, islamophobe en guerre contre «le grand remplacement» est l’instigateur de la scandaleuse cagnotte de soutien à la famille du policier ayant tué Nahel, qui n’aurait «fait que son devoir».

Au même moment, dans les rues de plusieurs villes, des milices d’hommes armés de tasers et de battes de base-ball ont joué les supplétifs de la police, allant même jusqu’à ligoter les poignets de jeunes avant de les livrer aux flics. Plusieurs groupes ont défilé avec les slogans «on est chez nous» et «les nationalistes c’est plus efficace que la police, la racaille au tapis». C’est un pas de plus après les agressions de racisé·e·s, de militant·e·s ou d’élu·e·s et le vandalisme de locaux associatifs et de mosquées.

S’ajoutent à ce très sombre tableau les positions du syndicat d’extrême droite Alliance (44% de syndiqué·e·s parmi les cadres) et d’Unsa Police. Ces policiers factieux ont déjà manifesté en armes ces dernières années, en toute impunité vers l’Assemblée nationale et sur les Champs-Élysées. «Nous vivons des moments de dictature» (David Dufresne, réalisateur et écrivain). Aujourd’hui, leur tract menace les quartiers populaires et le gouvernement: «nous sommes en guerre » contre « ces hordes sauvages qu’il faut détruire. Il faut rétablir l’état de droit, à l’issue, nos syndicats prendront leurs responsabilités, nous prévenons le gouvernement que demain nous serons en résistance et qu’il doit en prendre conscience.» Cette hargne réactionnaire, qui commence toujours par se déverser sur les étranger·ère·s et leurs descendant·e·s, est aussi le reflet de la grande peur des possédant·e·s et de leurs hommes de main politiques. Elle est la réponse à la séquence sociale que nous venons de vivre et à la révolte des jeunes des quartiers.

Radicalité des luttes et solidarité contre la répression

Certes, nous avons perdu le combat contre la réforme des retraites, mais la durée de cette lutte très intergénérationnelle, l’unité syndicale, les convergences entre quartiers populaires, associations et syndicats, les réactions unitaires contre la répression, sont des acquis précieux et utiles. Car «On ne repart jamais de rien», comme le disait Daniel Bensaïd. Nous n’avons pas oublié que 72 % de la population rejetait leur projet. Malgré l’échec, la confiance en notre force a été renforcée.

Les nombreux combats multiformes, contre les volontés écocides et dangereuses des dominant·e·s sont un facteur de radicalisation qui donne espoir. Les ZAD, espaces de résistance à leurs projets et à la répression, lieux de formation et de partages, unitaires et créatives, poussent de partout. La victoire magnifique de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes n’y est pas pour rien ! Les grands rassemblements, contre les bassines de Sainte-Soline, le Lyon-Turin en Maurienne et en Italie, le nucléaire à Lure, les fermes-usines, la privatisation des barrages ou encore les jets privés contribuent à consolider nos convergences sociales et écologistes anticapitalistes. 

D’autres luttes sont ravivées sur le droit pour tou·te·s au logement, les transports gratuits, les moyens pour l’école et la santé, pour l’augmentation des salaires et contre l’inflation… Une nouvelle génération militante s’est levée, prend des initiatives, s’organise. Et affronte fermement la violence d’État, policière et judiciaire, d’un pouvoir en perte de légitimité qui n’a plus que la répression pour tenter de nous soumettre après avoir tué le dialogue social et humilié le Parlement, pourtant les piliers de leur démocratie bourgeoise.

«Notre pays est en deuil et nous sommes en colère»

Nous sommes à un tournant et beaucoup prennent conscience qu’il faut prendre parti maintenant. Ainsi, la quasi-totalité des syndicats, 350 associations, 45 collectifs et toutes les organisations politiques de gauche, à l’exception du PCF et du PS, ont signé un appel commun. La force de cet appel très unitaire est rare. Il reconnaît que cette insurrection des quartiers populaires s’inscrit dans le cycle de radicalité de nos luttes. Il porte quelques revendications comme l’abrogation de la loi de 2017 sur l’assouplissement des règles d’usage des armes des policier·ère·s, le remplacement de l’IGPN (police des polices) par un organisme indépendant, la création d’un service sur les discriminations et contre le racisme y compris dans la police, sous l’autorité de la défenseuse des Droits. Il affirme aussi que rien ne peut se faire sans un autre partage des richesses, la lutte contre les inégalités, la pauvreté, la hausse des loyers et des charges, et pour le renforcement des services publics. Le texte appelle à rejoindre tous les rassemblements de solidarité notamment celui interdit du 8 juillet avec le comité Vérité et Justice pour Adama et celui du 15 avec la coordination nationale contre les violences policières.

Au NPA, nous demandons aussi la libération de tou·te·s les jeunes arrêté·e·s, le désarmement de la police en contact avec la population, la démission de Darmanin.

La conflictualité est élevée entre les classes, rien n’est encore joué, c’est aujourd’hui qu’il faut penser et agir !

Roseline Vachetta (NPA, France)