Mike Ben Peter

«La justice a délivré un permis de tuer»

Le 22 juin dernier, le Tribunal d’arrondissement de Lausanne a acquitté les six policiers accusés d’homicide par négligence suite au décès de Mike Ben Peter, quadragénaire nigérian, durant une intervention en ville en 2018. Entretien avec le collectif contre les violences policières Kiboko, soutien de longue haleine de la famille de Mike.

Manifestation "justice pour Mike” à l'appel du collectif Kiboko, Lausanne, 2 juin 2023
Le 3 juin dernier, plus de 500 personnes se sont rassemblées à Lausanne pour exiger «justice pour Mike Ben Peter», à l’appel du collectif Kiboko.

Comment interprétez-vous ce verdict?

Nous nous attendions à un acquittement. Le déroulé des débats, le choix sélectif des témoignages et des preuves, l’abandon des charges par le procureur, tout nous menait à cette conclusion. Imposant une violence supplémentaire à la famille de Mike Ben Peter avec ce verdict, la justice a une fois de plus dévoilé son véritable rôle, celui d’être au service de la police et par extension de l’État raciste. 

Être témoins du mécanisme procédurier et écrasant de la domination institutionnelle sur la population non blanche, cela reste une expérience écœurante et révoltante. Cet acquittement n’est rien d’autre qu’une justification assumée et revendiquée de l’impunité policière, et en conséquence, la délivrance d’un permis de tuer.

Sur le site renverse.co, nous avons publié jour par jour comment ces rouages de la justice blanche se sont illustrés au fil du procès.

Quelles sont les suites, sur le plan judiciaire?

La famille va déposer un recours pour obtenir justice. Ce sera donc au Tribunal cantonal de juger cette affaire, puis si nécessaire au Tribunal fédéral. Si rien n’est obtenu au niveau national, la Cour européenne des droits de l’homme pourrait être saisie. Tout ce processus va malheureusement prendre de longues années. 

Pour nous, pour les collectifs de soutien et pour la population, il s’agira de ne pas relâcher la pression, de continuer à se battre pour que la famille de Mike Ben Peter obtienne justice, et que son histoire ne soit jamais oubliée. Cinq années ont passé depuis sa mort. Nous continuons sans relâche à nous mobiliser.

Kiboko a été central dans la politisation du meurtre de Mike Ben Peter et a participé à mettre à l’ordre du jour la question des violences policières en Suisse. Comment voyez-vous la suite?

Il est inconcevable de ne pas tisser des liens avec les victimes, les familles et leurs proches et les collectifs antiracistes: les expériences se nourrissent parce que malheureusement l’histoire se répète encore et encore.

Le 28 juillet prochain, le collectif Justice4Nzoy viendra à Lausanne pour présenter le cas de Nzoy, assassiné par balle par la police en 2021 à Morges. La famille de Nzoy n’a cessé de nous soutenir et nous avons créé des liens de solidarité. Nous nous sommes mobilisé·exs et notre lutte est commune: nous voulons vérité et justice.

Au niveau international, le nom de Mike Ben Peter commence à traverser les frontières, faisant tristement écho à des affaires comme celle d’Adama Traoré par exemple, mort à la suite d’un plaquage ventral. Les autres pays apprennent qu’en Suisse aussi, la police tue: il est important que cette image helvétique lisse et neutre se désagrège, et que le nom de Mike résonne au-delà de nos frontières. 

Mais attention, à l’abri des regards et de la médiatisation, les violences se perpétuent ici, dans la rue et dans les postes de police, dans les prisons et aux frontières. Le chemin accompli doit justement nous pousser à rester vigilant·exs. Pour lutter contre le profilage racial et la criminalisation des personnes non blanches, il faut continuer à créer du commun et tisser des liens de solidarité. Rappelons que le meurtre de Mike Ben Peter serait probablement resté sans suites s’il n’avait pas été membre d’une communauté, d’un collectif. Combien de morts sont-elles restées dans l’oubli?

Le collectif Jean Dutoit, dont Mike Ben Peter faisait partie, est toujours actif et ses membres luttent depuis maintenant huit ans pour leur droit au logement, à une vie digne et contre les violences policières. Aujourd’hui, l’opinion publique a heureusement un peu évolué: l’utilisation de l’expression racisme systémique s’est par exemple popularisée. En 2018, c’était différent. 

Malgré leur statut précaire et les dangers qui en découlent, les membres de Jean Dutoit ont été parmi les premiers à s’exposer pour réclamer justice pour Mike Ben Peter et à propager un discours contre les violences policières en Suisse romande. Ils ont ensuite subi de plein fouet la réaction brutale de la droite et la répression de l’État (profilage, menaces de mort, perquisitions). À l’heure actuelle, le collectif ne bénéficie toujours pas d’un soutien de la part des autorités, et la majorité de « gauche » lui a encore refusé son aide en décembre dernier. Le racisme ne se trouve pas seulement au tribunal, c’est aussi le fait de refuser des conditions de vie décentes à une frange de la population qui n’a pas les bons papiers.

Bridget, la veuve de Mike Ben Peter, est depuis 5 ans seule avec ses trois enfants et n’a reçu aucune compensation financière de l’État qui lui a arraché son mari. Nous continuerons à soutenir autant que possible cette famille. Pour nous y aider, allez consulter notre compte Instagram ↗︎ ou écrivez-nous un mail ↗︎.

Propos recueillis par la rédaction

Pour soutenir la famille de Mike :
Bridget Efe
IBAN : ES18 3058 0990 2427 5918 6228
Mention: Justice for Mike

Présentation du cas de Nzoy par le collectif Justice4Nzoy:
28 juillet, 18 h, espace Néo-Martine, Côtes-de-Montbenon 19, Lausanne