France
Une campagne populaire dans un territoire dévasté
Entretien avec Philippe Poutou, qui a été candidat aux législatives anticipées françaises pour le NPA-L’Anticapitaliste dans le cadre de la campagne du Nouveau Front Populaire.
Peux-tu résumer rapidement les tenants et aboutissants de la scission récente du NPA?
Une première question et déjà une première difficulté. La scission du NPA qui date de décembre 2023 est le résultat d’une vieille histoire. Depuis 2009, un désaccord persiste sur la stratégie et sur l’orientation de front unitaire avec les forces militantes dites réformistes.
Impossible ici de résumer l’évolution de cette dispute. Le fait est qu’au fil des années, l’ambiance interne s’est considérablement dégradée et figée, entre reproches et accusations (de suivisme, de trahison…). La seule issue devenait une séparation, qui a logiquement mis du temps à se réaliser, car il n’est pas simple de gérer et justifier une scission alors que revendiquons l’unité de notre camp social. Mais bon voilà, avoir deux orientations différentes et même opposées parfois, dans un même petit parti, c’était devenu impossible à vivre et même autodestructeur. Dont acte.
Est-ce cette clarification qui a permis au NPA de rejoindre le NFP?
Disons que si nous n’avions pas scissionné avant, l’organisation aurait certainement explosé à l’occasion des législatives. Alors oui, heureusement que nous étions séparé·es en deux organisations, même si le processus n’est pas complètement finalisé et qu’il reste encore de la confusion. Le NPA-L’Anticapitaliste a pu ainsi mettre en pratique sa politique unitaire dans une perspective anti-extrême droite et antifasciste.
Dès l’annonce de la dissolution nous étions dans une logique de «front», de regroupement des forces militantes de gauche et du mouvement social. Dès la création du Nouveau Front Populaire par les quatre partis de la gauche (PS-Écolo-PC-LFI) nous avons déclaré le rejoindre tout en validant le programme de «rupture» mettant en avant plusieurs mesures de justice sociale et environnementale (salaires, retraites, services publics, taxation des riches, démocratie, égalité des droits, féminisme, antiracisme…).
La collaboration était-elle facile avec la coalition?
Eh non, rien n’est facile décidemment! Le NPA-A a annoncé son adhésion au NFP au lendemain de la publication du texte des quatre forces de gauche. Malgré l’appel à signature, c’était un peu comme si nous nous invitions dans un endroit où nous n’étions pas vraiment les bienvenu·es. Comme si notre indépendance et notre radicalité dérangeaient.
Tout comme avec la NUPES il y a deux ans, le NPA ne fut évidemment pas convié ni à la réalisation du programme ni à la répartition des circonscriptions. Ce n’est que la veille au soir du dernier jour pour caler les toutes dernières candidatures, que la FI nous a proposé une candidature, non gagnable bien sûr – il ne fallait pas exagérer – et dans des conditions insatisfaisantes: circonscription où nous n’étions pas implanté·es, quartiers pas du tout populaires. Après deux trois refus de notre part, nous avons obtenu la 1re circonscription de l’Aude, autour de Carcassonne, face à un candidat RN, non gagnable à priori.
Nous avons accepté parce que visiblement il n’y avait pas de candidature décidée par les équipes militantes locales et parce que c’était une circo populaire. Et puis surtout, le fait d’accepter permettait au NPA de faire partie de cette unité pour empêcher l’extrême droite de prendre le pouvoir. On a vu par la suite que cette seule candidature a permis au NPA de gagner en visibilité sur tout le territoire.
Comment s’est déroulée ta campagne et celle du NPA plus généralement?
Le NPA a mené campagne dans de nombreuses circonscriptions, quasiment partout où nous avons des équipes militantes souvent déjà très liées aux forces militantes de la gauche, notamment de la FI. Mais c’est surtout celle dans l’Aude qui a rendu visible le NPA. De deux façons différentes. Négativement bien sûr auprès des partis de droite et d’extrême droite, comme dans les grands médias.
Nous avons assisté à une campagne violente de diabolisation de la gauche, de sa partie radicale, de nous en bout de chaîne, nous accusant d’extrémisme, de soutien au terrorisme, d’antisémitisme, d’antirépublicanisme… les plateaux télé se lâchaient complètement. Le nom de «Poutou» était synonyme de danger et de honte. Les médias locaux relayaient sans nuance les propos de l’extrême droite, du candidat facho du coin, des macronien·nes, de certain·es élu·es du PS très droitier·es (tendance Delga, macron-compatible).
Auprès des sympathisant·es ou militant·es de gauche par contre, de nous avons reçus de très nombreux retours chaleureux et des encouragements dans la rue comme sur les réseaux sociaux. Notre campagne dans l’Aude a été portée par cette ambiance positive et a été très bien accueillie par les équipes militantes LFI, PC, Écolo et même du PS (côté gauche), par les organisations syndicales, par les associations et collectifs. Et puis dans la foulée, au-delà des forces militantes, par des jeunes et moins jeunes, non organisé·es, plus ou moins proches.
Si nous savions que la victoire était quasiment impossible, nous menions une bataille politique nationale pour empêcher le RN de prendre le contrôle du gouvernement.
As-tu rencontré des électeurices du Rassemblement National?
Nous avons déployé nos militant·es sur le terrain durant les trois semaines. Surtout à Carcassonne mais aussi dans quelques villages comme Lésignan ou Durban. C’était beaucoup plus difficile d’investir tout le territoire (quelque 110 villages) même si nous avons tenté de passer partout. Nous avons collé des centaines affiches, remettant du rouge sur des murs qui ne l’avaient pas été depuis longtemps. Nous avons distribué nos tracts, sur les marchés, dans les rues et les places, sur les pare-brises de voitures, dans les boites aux lettres. Ce fut un peu comme une mini invasion.
Au début, les gens semblaient nous voir comme des extraterrestres, restaient souvent distants. Et puis elles et ils se sont habitué·es, les discussions se sont faites plus régulières et nombreuses. La gauche militante et ses idées réapparaissaient, la population les redécouvraient. Ça discutait reconstruction des services publics, défense d’un revenu minimum et décent pour toutes et tous, protection de l’environnement tout en défendant les conditions de travail et de vie de la paysannerie… alors oui dans toute cette activité, nous avons croisé des personnes qui votaient ou pensaient voter RN. Parfois ça se voyait tant il y avait de l’hostilité avec ce que représente la gauche.
Puisque 60% votent RN dans la région, on devait forcément en croiser. Sauf que cela ne se disait pas, ne se revendiquait pas. Nous entendions bien quelques réflexions qui allaient dans le sens du RN mais nous avions surtout devant nous une forte dépolitisation de gens qui sont à l’écart de tout, souvent isolé·es ou exclu·es, loin d’une vie collective, de la réflexion qui va avec.
Ce qui était marquant c’est l’absence d’hostilité ouverte, d’agressivité ou d’agression verbale. Nous avons mené une campagne en terres dominées par le RN sans se retrouver en difficulté, sans ressentir un danger ou même un risque. Nous avons été surpris·es de l’incroyable discrétion de leur campagne. En fait les gens votent Bardella-LePen plus que le candidat local qui n’avait sa photo qu’en petit en bas de l’affiche officielle. Il faut dire que l’équipe de campagne du RN se trouvait finalement plus sur les plateaux de BFM ou même dans le quotidien régional local, ironiquement nommé L’indépendant.
Sur quelles bases celleux-ci se décident pour ce parti?
Le département de l’Aude est le troisième le plus pauvre de France métropolitaine. Il est très rural, avec deux villes moyennes, Narbonne et Carcassonne. La pauvreté est partout, dans les villes et les villages, entre précarité chez les nombreux·ses demandeur·euses d’emplois (plus que la moyenne nationale) et difficulté de vivre de son travail chez les agriculteur·ices (viticulteur·ices pour l’essentiel).
Les services publics sont démantelés: désertification médicale, manque d’écoles et d’universités, absence de transports collectifs… résultat, un sentiment d’abandon domine. À ce contexte s’ajoutent les reniements et trahisons de la gauche au pouvoir. Le mélange est désastreux et le travail de reconstruction d’une conscience de classe et de repères collectifs à effectuer est énorme. Il ne peut se faire en trois semaines. Cela nécessite une réimplantation militante sur le terrain, dans les villes et les campagnes, des discussions, des échanges, des initiatives pour retisser des liens humains et politiques. C’est ainsi qu’on pourra faire reculer les préjugés racistes, misogynes, homophobes qui divisent les pauvres et les exploité·es, qui renforcent le chacun pour soi et au final la résignation face à un système de domination et d’injustices.
Quelles perspectives vois-tu pour le NFP?
La bonne surprise du dimanche soir, avec la première position du NFP et donc la défaite du RN, confirme une dynamique importante durant la campagne. Pour la première fois depuis longtemps, un programme de gauche, en rupture avec les politiques libérales, a pu être défendu, entendu. Nous avons pu voir la droite, l’extrême droite, tou·tes les réactionnaires, les grands médias, tout ce monde à la fois énervé, agressif, inquiet face à une gauche retrouvée et relativement offensive.
Ce fut une campagne militante, large, unitaire, dynamique qui a permis de changer la donne au moins momentanément. L’enjeu est de préserver et renforcer les acquis de cette dernière. On le voit, les dirigeant·es de gauche sont toujours capables de dire et faire n’importe quoi, mais derrière il y a comme une force nouvelle qui revient, celle des gens d’en bas qui s’occupent à nouveau de leurs affaires, de la société. Avec de la méfiance, avec de la mémoire de ce que la gauche nous a (mal) fait. Notre perspective est bien dans cette optique d’une gauche d’en bas, démocratique et radicalement anti-institutionnelle et antilibérale.
Penses-tu que le parlement va réussir à empêcher une victoire du RN aux prochaines élections, alors que celui-ci a intérêt à provoquer le chaos et que la bourgeoisie doit poursuivre ses contre-réformes néolibérales?
Cette élection jouait un rôle, celui d’empêcher l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir. Objectif atteint. La suite dépend d’un changement de rapport de force entre les camps sociaux. Si nous voulons faire reculer les idées de haine, les idées réactionnaires, si nous voulons une politique sociale, plus d’égalité et de justice sociale, sans même parler de révolution ou de changement radical de la société, il faudra passer par des mobilisations sociales profondes, des victoires dans la défense des services publics, du mouvement féministe ou de la jeunesse, de succès dans les combats environnementaux contre les projets autoroutiers ou les mégabassines, dans les solidarités avec les réfugié·es pour l’accueil et la régularisation…
Il est nécessaire que le haut, même à gauche, soit bousculé et secoué par le bas. Sans ça, on ne voit pas comment un gouvernement NFP pourrait mener une politique de gauche, appliquer son programme. Pour faire reculer le pouvoir actuel, l’arrogance et la domination des possédant·es, il faut une force que seules les classes populaires peuvent avoir si elles s’organisent et repassent à l’offensive.
Propos recueillis par Thomas Vachetta