Le Tribunal fédéral désavoue à son tour la répression de la mendicité

Après la Cour européenne des droits de l’homme, en 2021, c’est aujourd’hui le Tribunal fédéral qui rappelle au canton de Genève ses obligations de respect des droits fondamentaux des personnes mendiantes, alors que Genève, Vaud et Bâle essaient de contourner l’avis de la CEDH.

Des personnes protestent contre l'interdiction de la mendicité
Rassemblement contre l’entrée en vigueur de l’interdiction de la mendicité dans le canton de Vaud, Lausanne, 1er novembre 2018

En 2021, la Suisse a été con­dam­née pour avoir sanctionné une personne mendiante – une femme rom qui se trouve dans une précarité extrême. La Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH) a jugé que l’interdiction générale de la mendicité, combinée à la conversion automatique des amendes impayées en peine de prison, constituait une violation de son droit au respect de sa vie privée. Elle a également souligné que si la protection des droits des passant·es pouvait être un but légitime, rendre la pauvreté moins visible ne l’était pas à la lumière des droits fondamentaux.

Depuis, les cantons de Bâle, Genève et Vaud ont été contraints de modifier leurs législations en la matière. Les lois vaudoise et genevoise ont été validées par leurs cours constitionnelles respectives et n’ont pas fait l’objet de recours au Tribunal fédéral (TF). La loi baloise a été partiellement validée par le TF. Les lois genevoise et bâloise sont en vigueur et la loi vaudoise le sera dès le 1er juillet 2025.

Des législations cantonales incompréhensibles

Ces trois cantons ont choisi de remplacer l’interdiction globale de la mendicité par des interdictions «localisées», fondées sur une liste étendue de lieux dans et «aux abords» desquels la mendicité est prohibée. Par exemple, il est interdit de mendier à proximité ou dans des magasins, des terrasses, des institutions culturelles, aux arrêts de transports publics, etc. La mendicité est interdite dans un si grand nombre d’endroits qu’il ne reste presque aucun lieu public et passant où elle est légale. Il ne s’agit donc pas seulement d’une longue liste d’interdictions, mais bien d’une interdiction générale de fait. 

Le TF a examiné non pas la loi genevoise, mais son application concrète à des personnes condamnées pour des actes de mendicité passive. Il a d’abord relevé que la notion «d’abords», utilisée dans la législation genevoise, est juridiquement floue et indéterminée. Une telle imprécision rend la norme difficilement compréhensible, notamment pour des personnes peu scolarisées ou allophones, et ne permet pas de savoir clairement où la mendicité est autorisée ou interdite. Ces législations complexes ouvrent la voie à l’arbitraire et contribuent à renforcer les interpellations discriminatoires visant les personnes racisées – en particulier les personnes roms – dans l’espace public, dans le but implicite de les en exclure.

La sanction pénale est disproportionnée

Dans son examen de la loi bâloise, le TF a critiqué l’absence de mécanisme graduel imposant un avertissement et des mesures administratives préalables avant de passer à une mesure pénale, soit l’amende, qui doit rester, comme l’a rappelé la CourEDH, le dernier recours.

Concernant les condamnations individuelles genevoises, le TF a de nouveau souligné que la première intervention auprès d’une personne mendiant de façon illicite devrait avoir un caractère administratif, et non répressif. Les agent·es auraient dû expliquer de manière claire et compréhensible les lieux où la mendicité est interdite, ainsi que les conséquences en cas de non-respect de cette interdiction, au lieu de déclarer immédiatement la personne «en contravention».

Le TF relève également que, dans l’immense majorité des cas, les personnes mendiantes n’ont, par définition, pas les moyens de payer les amendes infligées, ce qui conduit à leur conversion automatique en peine privative de liberté. Cette pratique, profondément choquante et inacceptable, conduit à l’emprisonnement de personnes uniquement en raison de leur précarité, revenant ainsi à criminaliser la misère elle-même. 

L’art. 106 al. 2 du Code pénal, qui impose pourtant d’examiner la «faute» de la personne dans le non-paiement de l’amende avant sa conversion en peine de prison, n’a, à la connaissance du TF, jamais été appliqué dans le contexte de la mendicité pour éviter une peine de prison. Il demeure ainsi purement théorique et ne convainc pas le TF. 

Néanmoins, le Tribunal fédéral devrait reconnaître que cette législation est une interdiction globale de fait de la mendicité, largement disproportionnée et donc contraire à la jurisprudence de la CourEDH. Et la précarité dans laquelle la Suisse plonge une partie de sa population est déjà insoutenable. La répression de leur demande d’aide par les cantons qui ont eux-mêmes volontairement échoué à répondre à leurs besoins les plus élémentaires est d’autant plus inacceptable. 

Il est grand temps que les cantons renoncent définitivement à pénaliser une pratique qui n’est rien d’autre qu’un appel à la solidarité, en abrogeant purement et simplement les dispositions répressives en vigueur. Parallèlement, les personnes actuellement incarcérées pour avoir mendié doivent être libérées. Il est inacceptable que, dans un État de droit, la pauvreté reste un motif d’enfermement.

Louise Koch membre du comité de la LSDH-Genève et Clara Brambilla