L’avenir ne se lègue pas, il se finance
Lancée par la Jeunesse socialiste, l’«Initiative pour l’avenir» propose d’instaurer un impôt fédéral sur les successions. Si elle ouvre un débat nécessaire sur la justice fiscale et climatique, sa portée reste limitée face à la concurrence fiscale internationale et aux mécanismes structurels de concentration du capital.

L’ initiative pour l’avenir se donne pour objectif de lutter contre la crise climatique par un financement basé sur un impôt de 50% sur les successions et donations supérieures à 50 millions. 2500 contribuables au niveau de l’ensemble du pays seraient concerné·es. Mise en votation le 28 novembre prochain, solidaritéS appelle à voter oui à cette proposition, tout en relevant ses limites.
Lignes générales
Partant du constat – largement documenté – que les ultra-riches émettent bien davantage de CO₂ que la majorité de la population, l’initiative propose de les taxer pour financer la lutte contre le changement climatique. Le produit de l’impôt serait réparti à raison de deux tiers pour la Confédération et un tiers pour les cantons, et prélevé par ces derniers. Il servirait ainsi à soutenir la transformation écologique et socialement juste de l’économie. Par ailleurs, des mesures devraient être prises pour «la prévention de l’évitement fiscal, en particulier en ce qui concerne les départs de Suisse. » Malheureusement, cette formulation est tellement générale qu’elle peut permettre une mise en application des plus légères – en cela nous pouvons faire confiance aux Chambres fédérales et au Conseil fédéral.
Rien ne peut empêcher un·e ultra-riche de partir en Italie, à Dubai ou ailleurs au moment de sa retraite pour éviter que lors de son décès, ses héritier·ères paient l’impôt sur les successions puisque celle-ci est ouverte au lieu du domicile du défunt. Cela ne veut évidemment pas dire que tou·tes partiraient en cas d’acceptation de l’initiative comme le prétendent les partis de droite.
Les États-Unis ont mis en place une politique face à l’exil fiscal. Un·e citoyen·ne étasunien·ne doit payer des impôts aux États-Unis, quel que soit son lieu de résidence. Si ceux-ci sont moins élevés dans son nouveau lieu de résidence, il doit alors payer la différence – mais cela ne fonctionne pas pour les résident·es non étasunien·nes. Actuellement, seuls les États-Unis peuvent imposer ce type de mesure. Une autre formule serait de prévoir un séquestre sur les actifs correspondant au montant de l’impôt dû au moment de l’annonce du départ. Le problème n’est donc pas technique, mais réside dans sa faisabilité politique.
Successions exonérées
Actuellement, l’impôt sur les successions est du ressort des cantons – seuls ceux d’Obwald et de Schwyz ne le prélèvent pas. Dans les autres, des exonérations sont majoritairement appliquées pour les conjoints survivants ainsi que pour les descendant·es et ascendant·es. Ces exonérations se sont multipliées ces dernières années dans la foulée des propositions de la droite pour baisser les impôts. C’est l’un des points noirs de l’initiative car, si elle précise que l’impôt sur les successions en faveur des cantons est maintenu, rien n’empêche ces derniers de ne plus le prélever ou de le réduire en cas d’acceptation de l’initiative.
Comme le rappelle cette citation de Frédéric Lordon: «On pourrait rappeler aussi que les corrections fiscales, précisément ne sont que des corrections, qui laissent largement inchangés les mécanismes structurels générateurs des inégalités – soit la social-démocratie réduite au passage de la serpillière. » (Le Monde diplomatique, octobre 2025)
Quid du marxisme?
En ciblant une toute petite minorité de contribuable (0,05%), la Jeunesse socialiste laisse entendre que les inégalités de fortune seraient combattues en taxant leurs héritier·ères. Cela rejoint la théorie du 1% des plus riches contre tout le reste de la population, alors que la problématique des inégalités résulte d’abord du fonctionnement du capitalisme qui permet l’appropriation par les détenteur·ices du capital de la plus-value produite.
En conservant l’idée de taxer l’héritage, on aurait pu imaginer une initiative touchant tous les héritages supérieurs à un million de francs, obligatoire dans tous les cantons (pour éviter la concurrence entre ces derniers) et surtout avec un barème progressif.
Concurrence fiscale
La droite mène sa campagne sur le thème de la fuite des contribuables. Et elle n’a pas tout à fait tort. La concurrence fiscale devient de plus en plus vive entre les cantons et entre les États de la planète au profit des fortuné·es et des propriétaires du capital. Dernier exemple en date, le gouvernement italien qui a adopté des mesures fiscales pour attirer de riches contribuables.
Les baisses massives d’impôt aux États-Unis portées par Trump vont dans le même sens, avec une nuance: ces baisses d’impôt seront financées par les droits de douane à l’importation que paieront les consommateur·ices étasunien·nes! Cela revient à financer une baisse des impôts directs progressifs dont bénéficient surtout les hauts revenus par une hausse d’un impôt indirect que constituent les droits de douane.
Bernard Clerc