Que peut faire un militant de SolidaritéS dans un exécutif?
Que peut faire un militant de SolidaritéS dans un exécutif?
Membre fondateur de solidaritéS, Daniel Perdrizat vient tout juste dêtre élu à lexécutif de la ville de Neuchâtel. Evoquant ses racines politiques, il y puise quelques rêves qui apparaissent furtivement au détour de son engagement.
Daniel, tes premiers pas en politique remontent à la fin des années 70, début des années 80. Quel est ton bagage politique et comment vois-tu ce parcours aujourdhui?
A lépoque, jétais étudiant à luniversité. Les diverses formations dextrême gauche étaient encore nombreuses et actives, mais le souffle de mai 68 était déjà retombé. Jappartenais à la Ligue marxiste révolutionnaire, une organisation trotskiste qui sopposait aussi bien au réformisme de la social-démocratie quau stalinisme incarné par les partis communistes traditionnels. Contrairement aux premiers, nous gardions la perspective dun changement révolutionnaire et dune rupture complète avec le capitalisme; et à la différence des seconds, nous condamnions la dérive bureaucratique de lUnion soviétique. On nétait pas très nombreux, mais très actifs. On se réunissait en groupes de travail par thème pour discuter de nos activités dans les divers mouvements sociaux auxquels on participait (syndicat, mouvement féministe, etc.). Pour ma part, jétais actif dans la lutte contre les centrales nucléaires. Cest au sein de la LMR que jai acquis ma formation et mon expérience politiques.
Dans les années 80, la plupart de ces organisations dextrême-gauche ont disparu et les survivantes se sont essoufflées. Il est devenu de plus en plus clair que la révolution nétait pas à lordre du jour et quil ne servait à rien davoir raison tout seul dans son coin, mais quil fallait essayer de se lier avec dautres. A Neuchâtel, cest de la convergence de notre courant, de milieux issus de limmigration ainsi que de divers militants critiques individuels quest né le mouvement solidaritéS.
Jusquà lhiver passé, tu étais toujours fermement opposé à une participation de solidaritéS au pouvoir exécutif, et te voilà conseiller communal. Pourquoi cette candidature et comment envisages-tu ton travail?
Fondamentalement, ma position na pas changé: je suis persuadé que le capitalisme détruit lhomme et son environnement et quil faut donc rompre avec ce système économique. Contrairement aux sociaux-démocrates, je suis convaincu de la nécessité dune révolution sociale et politique; il ne suffit pas simplement daménager le système de manière plus sociale et plus respectueuse de lenvironnement. Mais cela ne signifie pas que je sois opposé aux réformes et à une participation au sein des institutions. Tout dépend évidemment de ce quon fait dune telle participation. Dans un parlement, il est plus facile dêtre «le porte-parole de la rue», alors que dans un exécutif, il sagit de gérer un Etat qui nest pas le nôtre. Doù mes réticences par rapport à notre participation à ce niveau. Je ne me fais donc aucune illusion: je sais pertinemment que ce nest pas à lexécutif dune ville que je vais faire la révolution, mais je pense que selon la manière dont elle est envisagée, notre participation peut avoir un sens. Il y a en particulier un énorme travail à faire au niveau de la démocratie participative. En donnant aux gens le goût de participer aux décisions concrètes qui les concernent (en particulier dans le domaine de laménagement de la Ville), jai lespoir quon puisse leur faire prendre conscience des limites de la démocratie qui actuellement sarrête à la porte des usines et des bureaux. Jai lespoir aussi quon puisse leur faire prendre conscience de leur force: sans eux, les usines et les bureaux sarrêteraient! Cest dans cet esprit que jentends travailler.
Sur un plan plus personnel, je dirais aussi que les choses ont évolué dans ma vie. Je suis arrivé à un âge et à un moment de mon parcours professionnel où il me paraît possible de me lancer ce défi. Quand solidaritéS Neuchâtel, qui est majoritairement favorable à notre participation à lexécutif, ma demandé si jétais prêt à mettre en liste pour le Conseil communal, jai accepté parce que jy voyais une opportunité qui me plaisait, bien que je ne la cherchais pas. Mais cette perspective ne correspond en rien à un changement dopinion sur le fond.
Dailleurs, je constate que cette décision sinscrit dans un climat politique qui sest notoirement transformé. Jusquà présent, les partis étaient très consensuels. Ces derniers temps, le débat politique sest nettement polarisé. Aujourdhui, le centre de léchiquier politique est affaibli. La confrontation est plus vive, mais aussi plus intéressante.
Que tinspire la montée de lextrême droite conservatrice?
Le succès de ces formations est certainement à mettre sur le compte de la faiblesse de lextrême-gauche, qui noffre pas une alternative crédible et des contradictions de la gauche traditionnelle, qui brouille les esprits des salarié-e-s. Pour ne citer quun exemple, jévoquerai celui de lemploi. Le plus gros contribuable de la Ville de Neuchâtel (et du canton), cest une fabrique de cigarettes. Au nom de la défense de lemploi, les socialistes ont combattu main dans la main avec la droite le durcissement de la législation sur le tabac. Dans cette même logique, ces mêmes socialistes pourraient accepter demain une entreprise darmement démarchée par la promotion économique! Comment veut-on que les salarié-e-s de ce pays sy retrouvent! Même si elle nest pas simple à mettre en oeuvre, la clef de cette contradiction est pourtant évidente: elle réside dans le fait que les choix de production ne sont pas faits par les personnes concernées et en fonction de critères de respect de lhomme et de son environnement, mais par les propriétaires des entreprises en fonction de leurs seuls intérêts financiers.
Lors de ces élections communales, lUDC a fait son entrée dans plusieurs législatifs et exécutifs du canton; ce parti, pour lheure, a essentiellement mordu sur la droite; ce sont les libéraux et les raidcaux qui, les premiers, ont fait les frais de cette arrivée de lUDC dans le canton. Mais nous savons tous que lUDC ne manquera pas dattiser les réflexes xénophobes; leurs élu-es seront aux premières loges pour sen prendre aux plus faibles et organiser «la chasse aux sorcières». Ce parti renvoie à des valeurs quon espérait dépassées, mais quil est essentiel de combattre. Qui peut mieux le faire que solidaritéS?
solidaritéS a perdu deux sièges sur quatre au Conseil général (ndr: parlement). Le recul est sensible. Quel est ton sentiment?
Jexplique ce recul par plusieurs facteurs. Notre mouvement est jeune, encore relativement faible et implanté uniquement en ville de Neuchâtel. Il manque encore dun «socle de base» qui vote notre liste sans hésiter. Les «grands frères» paraissent plus forts. Lapparentement technique de nos listes nest pas compris: de nombreux électeurs et électrices pensent encore que voter Solidarités, cest des voix perdues. On le voit bien sur les résultats: le nombre de votes compacts est relativement bas. Dans ce contexte, notre succès au cours des deux dernières législatures était lié à quelques personnalités qui ont récolté de nombreuses voix rajoutées sur les listes dautres partis.
Dans ce sens, on a peut-être grandi un peu trop vite. On peut encore noter que les Verts et le PS profitent dun mouvement de progression qui existe au niveau national. Ils avaient aussi des listes bien fournies en «locomotives» politiques.
Je suis dautant plus déçu de notre résultat que nous avions une bonne liste électorale, avec un heureux panachage de jeunes et de moins jeunes, dhommes et de femmes, de Suisses et de personnes issues de limmigration. Mais limportant aujourdhui, cest que les différentes personnes que nous avons réussies à rapprocher de solidaritéS continuent de militer au sein de notre mouvement et renforcent notre travail «dans la rue». Si on gagnait ce pari, on pourrait même sortir renforcés de cette défaite électorale. Et à cet égard, le rôle du Conseiller communal sera important: je ferai tout pour ne pas me laisser totalement accaparer par la gestion de la Ville et pour rester lié avec les activités militantes de solidaritéS.
On peut se demander si ma position au sein de lexécutif en tant que membre de SolidaritéS aura à souffrir de laffaiblissement du groupe au Conseil général. Je ne crois pas que cela sera le cas: à lépoque où lexécutif était élu par le parlement, un conseiller communal devait son poste à lensemble des partis, y compris dailleurs à ceux de droite, ce qui impliquait de se montrer conciliant; paradoxalement, lélection directe de lexécutif par le peuple donne à lélu une plus grande légitimité et une plus grande liberté vis-à-vis de ses collègues et du Conseil général.
Enfin, il ne faut pas oublier quau Conseil communal, je représenterai aussi deux autres formations: les Verts qui ont gagné un siège et le POP qui a conservé le sien. A trois, notre groupe parlementaire comptabilise 8 sièges (ndr: 1 de moins que la législature précédente).
Propos recueillis par Dorothée ECKLIN