Référendum Carlton: énorme succès... et après?

Référendum Carlton: énorme succès… et après?

Mercredi 9 juin à 11h., une vingtaine de membres du Collectif Carlton, soutenus par le squatt Rhino, solidaritéS, le PdT et la CGAS (Communauté genevoise d’action syndicale) déposaient 9710 signatures, après deux semaines seulement de récoltes, alors qu’il leur aurait suffi de 7000 signatures pour faire aboutir ce référendum cantonal. La vente de l’hôtel Carlton est donc suspendue, jusqu’à la votation, qui aura lieu en novembre prochain, voire en février 2005. Un tour de force qui résulte de la mobilisation d’une quarantaine de jeunes, motivés pour créer 123 studios bon marché à la place d’un hôtel 4 étoiles.

Face à cette action citoyenne du Collectif Carlton, le mépris affiché par la Fondation de valorisation des actifs de la BCGe1 devient de plus en plus insupportable. Refusant toute négociation après l’occupation, elle a d’ores et déjà fait savoir qu’elle ne rentrerait pas en matière sur un éventuel bail de confiance. Elle préfère soutenir l’acquéreur privé sans tenir compte du soutien populaire remporté par le projet du Collectif. Comme il est illusoire de croire que le propriétaire pourra exploiter cet hôtel d’ici fin juin, la fondation préfère laisser l’hôtel vide, alors qu’à la fin de l’été une centaine d’habitant-e-s supplémentaires seront privés de toit suite à l’évacuation de l’hôtel California.

Un débat de fond

Le Collectif devrait obtenir immédiatement un contrat de prêt à usage lui permettant de développer son projet, soit offrir 123 nouveaux logements bon marché, éventuellement un restaurant associatif et une crèche autogérée. Ce projet devrait aussi intéresser le Canton ou la Ville, en cas d’acceptation du référendum. Un tel projet, en plein cœur des Pâquis, serait d’une utilité sociale indiscutable, alors que ce quartier populaire recèle déjà les 80% des hôtels du canton… L’occupation de l’hôtel Carlton et le soutien populaire exprimé par les 9710 signatures recueillies permettent d’ouvrir un large débat public sur la politique du logement à Genève, ainsi que sur la politique de la Fondation de valorisation. Ce n’est pas le moindre résultat de l’action exemplaire du Collectif Carlton! L’objet qui sera soumis au peuple en novembre ou en février prochain dépasse donc largement l’enjeu d’un seul bâtiment.

Marché libre, locataires pénalisés

Entre 1998 et 2002, tandis que la population cantonale augmentait de plus de 25000 personnes, le parc immobilier ne progressait que de 1500 logements par an, dont 350 seulement étaient bâtis avec l’aide de l’Etat. Dans la même période, 43% des surfaces construites étaient affectées à des bureaux ou à des magasins, contre 24% entre 1993 et 1997, ceci contribuant à la hausse des loyers en ville. Résultat: la pénurie de logements est telle, qu’en 5 ans (1999-2003), les loyers d’habitation ont crû de 6% en moyenne, malgré une baisse sans précédent des taux hypothécaires. Parallèlement, les prix de la construction ont explosé (+16% de 1999 à 2003) et la spéculation s’emballe à nouveau: le montant total des transactions immobilières a plus que doublé de 1996 à 2000, passant de 1,4 à 3,2 milliards de francs.

Depuis trois ans, les attaques menées par les milieux immobiliers, fidèlement relayés par les partis de l’Entente et l’UDC, visent trois objectifs liés: démanteler la LDTR, loi qui fournit des éléments de protection aux locataires; encourager l’accession à la propriété par des cadeaux fiscaux; réprimer les expériences de logement alternatif (par exemple, l’occupation de l’usine HARO). La mise en péril du squatt Rhino2, après seize ans d’existence, s’inscrit dans cette même logique.

Cette politique régressive contribue à précariser les locataires. Ainsi, le nombre d’habitant-e-s incapables de payer leur loyer ou de trouver un logement adéquat ne cesse de croître. C’est pourquoi, il est urgent de prendre des mesures énergiques contre la spéculation foncière et de soutenir clairement les projets d’habitat alternatif (coopératives d’habitant-e-s, contrat de confiance, baux associatifs, etc.)

Taxe Tobin contre spéculation…

Dans le contexte actuel de crise du logement, la politique de la Fondation de valorisation doit être réexaminée. L’exemple du Carlton le montre. Comment expliquer en effet, que cet hôtel, évalué aujourd’hui à 10 millions, ait pu être acheté 23 millions et revendu à 15 millions? La Fondation, qui n’est tenue par aucune obligation en matière de logement, ne devient-elle pas ainsi complice de la relance de la spéculation? Est-il juste que l’amortissement des pertes de la BCGe repose sur la réalisation des actifs de cette banque à n’importe quel prix? Est-il admissible que les occupant-e-s du Carlton soient réprimés quand on sait que les responsables des pertes de la banque n’ont jamais été sérieusement inquiétés?

A nos yeux, tous les objets susceptible de servir au logement social qui sont entre les mains de la Fondation doivent être acquis par les collectivités publiques à des prix non spéculatifs (pas plus de 10 millions pour le Carlton). Le financement des pertes encourues du fait de la «valorisation insuffisante» de ces objets devrait être garanti par une taxe ad hoc sur les transactions immobilières, ciblant plus fortement les transactions spéculatives. Ainsi, les milieux qui se sont servis de la BCGe pour spéculer seraient invités aujourd’hui à passer à la caisse. Cette «taxe Tobin» contre la spéculation immobilière contribuerait aussi à freiner la spéculation, dont sont victimes tous les locataires.

Collectif solidarité logement

Les pressions croissantes exercées sur les locataires et les squatters ont donné naissance au Collectif solidarité logement. Cette nouvelle structure, qui réunit l’ASLOCA, les collectifs Carlton, Rhino et Haro, ainsi que les syndicats et partis de gauche, tente de faire revivre le collectif «Besoin de ToiT», créé à l’initiative de Rhino, il y a trois ans. Elle vise à réunir les différentes revendications touchant le logement afin de mener une lutte commune contre la détérioration de la situation. L’action, la discussion et la dénonciation sont les trois axes définis par le collectif, qui se réunira le mardi 15 juin à 20h. à Rhino.

Romain KULL

  1. Fondation mise en place par le Grand Conseil afin de gérer, valoriser et réaliser les actifs de la BCGe, cédés à l’Etat pour éviter la faillite. Il s’agit de gages immobiliers largement surévalués par la spéculation de la seconde moitié des années 90.
  2. Rhino vient de déposer trois recours visant bloquer la vente de l’immeuble qu’il occupe.