Cellules souches embryonnaires: ne pas répondre par OUI ou par NON

Cellules souches embryonnaires: ne pas répondre par OUI ou par NON

La coordination de solidaritéS-Genève a décidé de ne pas déposer de mot d’ordre pour la votation du 28 novembre concernant la Loi relative à la recherche sur les cellules souches (LRCS). En effet, nous nous distancions clairement des milieux réactionnaires qui s’opposent à toute recherche sur l’embryon. En Suisse, ce sont eux qui ont porté l’essentiel du référendum contre la LRCS, notamment «Oui à la vie» et l’«Aide suisse pour la mère et l’enfant». De leur côté, l’«Appel de Bâle contre le génie génétique» et les Verts ont récolté moins d’une signature sur sept… D’un point de vue de gauche, le débat sur cette nouvelle loi ne saurait se résumer au OUI à la recherche des sociaux-démocrates ou au NON à l’orientation hi-tech dangereuse et mercantile de la science médicale, prônée par l’Appel de Bâle et les Verts. C’est pourquoi nous avons jugé plus utile d’informer nos lecteurs/trices de façon claire sur cet enjeu complexe et d’ouvrir le débat.

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Les cellules souches embryonnaires ont fait parler d’elles il y a six ans, quand James Thomson et son équipe de l’Université du Wisconsin (USA) ont réussi à les extraire d’embryons humains obtenus par fécondation in vitro et congelés avant d’avoir atteint deux semaines.* Un embryon de cet âge n’est guère plus qu’une pelote de cellules indifférenciées, sans les caractéristiques distinctives des neurones, de la peau ou des muscles. Mais il est évident que ces cellules sont capables de générer de telles spécialisations, vu que tout notre corps dérive d’elles.

Grands espoirs de départ

Thomson est parvenu à les extraire, à les cultiver en laboratoire et à démontrer qu’elles prolifèrent à un bon rythme, en maintenant un génome stable, et enfin, que placées dans un environnement adéquat, elles peuvent donner naissance à toutes les sortes de tissus. Un grand nombre de scientifiques ont estimé qu’on était au seuil d’un nouveau type de médecine et continuent à le penser. Pourtant, six ans après, ces espoirs en restent là, sur le seuil… De grands obstacles demeurent et impliquent d’importantes recherches afin que les cellules souches embryonnaires puissent être utilisées dans des applications cliniques.

Les scientifiques savent que les cellules souches embryonnaires peuvent se convertir (se différencier, disent-ils) en toutes les sortes de tissus humains, mais ils ne savent pas contrôler ce processus de manière fiable. En plus, ils auraient besoin de méthodes plus efficaces pour séparer les cellules différenciées de celles qui restent au stade immature, parce que si ces dernières étaient transplantées, elles proliféreraient hors de tout contrôle et causeraient une tumeur.

Objectifs plus modérés

Les objectifs considérés comme les plus accessibles à moyen terme concernent les maladies que l’on peut déjà traiter par des transplantations conventionnelles. Pae exemple, pour le diabète de type 1, on utilise les greffes d’îlots de Langerhans (cellules de pancréas qui sécrètent l’insuline), prélevés sur des cadavres. Mais cette affection est si commune dans la population, qu’il n’y aura jamais assez de donneurs. D’où le grand intérêt des recherches qui s’efforcent de convertir des cellules souches embryonnaires en cellules pancréatiques insulo-scécrétrices.

Pour les mêmes raisons, de nombreux laboratoires tentent de transformer des cellules souches embryonnaires en tissus rénaux, en certains types de neurones – par exemple, les neurones dopaminergiques, dont la destruction dans le cerveau cause le Parkinson – et en cellules de la moelle osseuse, qui génèrent toutes les cellules du sang, y compris les lymphocytes qui composent le système immunitaire.

Contrôler de manière fiable la différenciation des cellules souches embryonnaires en moelle osseuse marquerait un pas important, parce que les transplantations de moelle connaissent déjà de nombreuses applications médicales – dans le traitement des leucémies, par exemple – et qu’ il est très difficile de trouver des donneurs totalement compatibles.

Clonage thérapeutique

Une grande quantité de lignées de cellules souches différentes, ou la manipulation de leurs gènes d’histo-compatibilité, pourraient palier ce manque de donneurs. Mais il y a aussi une idée plus sophistiquée pour éviter le rejet: le clonage thérapeutique, qui consiste à produire un embryon génétiquement identique à celui du patient – par la même technique de transplantation du noyau qu’à mis au point l’Université de Séoul, en février dernier, pour cloner les premiers embryons humains – et à l’utiliser comme source de cellules souches. Cette technique est légale, notamment au Royaume-Uni, en Corée du Sud, à Singapour et aux Etats-Unis (mais seulement avec des fonds privés).

La meilleure manière d’éviter le rejet serait d’utiliser les cellules du patient. De nombreux organes adultes contiennent des cellules souches. Tout comme les cellules souches embryonnaires, elles montrent un certain degré d’immaturité, peuvent donc proliférer et se convertir en différents types de cellules – mais pas autant que leurs homologues embryonnaires. En réalité, si les transplantations conventionnelles de moelle osseuse fonctionnent, c’est parce que la moelle contient de nombreuses cellules souches de ce type, qui sont capables de repeupler la moelle osseuse du patient récepteur.

Cellules souches adultes

La recherche dans le domaine des cellules souches adultes est aussi très active. Des équipes états-uniennes, allemandes et espagnoles [y compris cubaines, ndlr.], ont notamment atteint des résultats encourageants dans la réparation de tissu cardiaque grâce à des cellules souches prélevées dans les muscles du patient et multipliées en culture. On a aussi obtenu des résultats notables dans la culture de fragments de peau et d’autres organes.

La plupart des scientifiques considèrent cependant que les cellules souches adultes ne sont pas une alternative aux cellules souches embryonnaires, mais que la recherche sur ces deux types de cellules doit se poursuivre en parallèle. Les unes ou les autres peuvent répondre de façon optimale à une application donnée et les techniques développées dans un cas peuvent se révéler très utiles pour apprendre à tirer parti de l’autre. Les référendaires suisses refusent d’entrer en matière sur une telle distinction.

Obstacles aux Etats-Unis

L’administration de George Bush, opposée pour des raisons religieuses à l’utilisation d’embryons pour la recherche, a cependant accepté, depuis trois ans, de financer des travaux de ce type avec des fonds publics – jusque-là, seules les entreprises privées pouvaient conduire de telles recherches – mais seulement avec les lignées cellulaires développées avant août 2001.

L’insuffisance de cette mesure apparaît très nettement aujourd’hui. Le mois dernier, les scientifiques de l’entreprise Massachusetts Advanced Cell Technology (ACT) ont annoncé qu’ils avaient réussi à convertir des cellules souches embryonnaires en épithéliome de la rétine, ce qui pourrait se révéler d’une grande utilité pour traiter la pigmentose ou la dégénérescence maculaire, deux graves affections de l’oeil. Mais pour cela, il a fallu développer de nouvelles lignées de cellules souches, évidemment avec des fonds privés.

Le veto quasi-total sur le financement public de ces recherches est vraisemblablement une catastrophe pour les grandes institutions publiques de recherche états-uniennes. Le Royaume-Uni en a profité pour prendre de l’avance, avec l’une des législations les plus permissives d’Europe. Mais la situation pourrait changer du tout au tout, le 2 novembre prochain, si la Californie du républicain Arnold Schwarzenegger, décide d’approuver une partie des 3000 millions de dollars prévus pour soutenir la recherche sur les cellules souches embryonnaires.

C’est dans ce contexte que le débat juridique est relancé dans plusieurs pays, notamment en Suisse et en Espagne, qui viennent d’adopter des lois autorisant la recherche sur les embryons surnuméraires.

* L’essentiel de cet article a été repris et traduit par nos soins d’un dossier très didactique préparé par Javier Sanpedro pour El Pais du 30 octobre 2004 (réd.)