Circuler librement en Europe et dans le monde

Circuler librement en Europe et dans le monde

Nous publions ci-dessous la position de Jean-Michel Dolivo concernant la libre-circulation étendue à l’Europe des vingt-cinq. Nous aurons l’occasion d’y revenir…

Les Chambres fédérales vont débattre prochainement de l’extension de l’Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP) aux dix nouveaux pays membres de l’Union européenne (UE). Pour l’essentiel l’accord additionnel à l’ALCP dispose que la Suisse peut maintenir des mesures restrictives nationales, telles la priorité aux travailleurs indigènes, le contrôle des conditions de travail et de salaires ainsi qu’un système de contingents jusqu’au 30 avril 2011, date correspondant au délai transitoire, aussi bien pour les quinze anciens membres de l’UE que pour les dix nouveaux.

La libre circulation des personnes, un droit fondamental!

La libre circulation des personnes entre la Suisse et les pays de l’UE est ainsi introduite par étapes. Elle est le pendant indispensable de la libre circulation des capitaux qui permet à une entreprise helvétique d’investir librement en France, en Allemagne ou en République Tchèque et aux entreprises de ces pays de placer leurs bénéfices en Suisse. Inscrite dans la Déclaration universelle des Droits de l’homme, la libre circulation des personnes est très loin pourtant d’être effective pour une majorité des habitant-e-s de cette planète. Avec l’ALCP la Suisse a fait un pas dans le sens d’une reconnaissance de cette liberté fondamentale, un pas qui reste marqué cependant du sceau d’une politique migratoire discriminatoire, puisqu’il exclut les ressortissant-e-s en provenance du quatre cinquième du monde.

Défendre les travailleurs «indigènes» contre les nouveaux arrivants?

L’Union syndicale suisse (USS) et le syndicat UNIA brandissent la menace d’un référendum si des mesures d’accompagnement efficaces ne sont pas adoptées afin de combattre le dumping social et salarial. Vasco Pedrina, coprésident d’UNIA, affirme que «la situation n’a fait qu’empirer depuis juin 2004. L’abandon du régime d’autorisation a entraîné un afflux massif de résidents de courte durée, d’indépendants et de prestataires de service (en dessous de 4 mois)». Pour illustrer ce dumping, les exemples cités sont ceux des travailleurs détachés par des entreprises étrangères ne respectant pas les conventions collectives de travail (CCT), les travailleurs temporaires, les faux indépendants et les conditions de travail dans la sous-traitance. Le coprésident d’UNIA regrette implicitement le régime d’autorisation, celui des permis de travail. Or, c’est précisément ce régime d’autorisation qui aujourd’hui amène les autorités suisses à mettre en place, pour l’agriculture essentiellement, de nouveaux permis saisonniers de quatre mois à l’intention des ressortissant-e-s des dix nouveaux pays qui ont rejoint l’UE. Un statut de saisonnier relooké, au rabais! Mais surtout, cette réaction de méfiance vis-à-vis de l’immigration, désignée comme un «problème», ne peut que renforcer le sentiment xénophobe qui constitue le fond de commerce de l’UDC et contribue à diviser encore davantage les salarié-e-s en fonction de leur passeport. Elle va à l’encontre de la construction de liens de solidarité, fondement même d’une action collective syndicale.

Contre la pression à la baisse du salaire: contrôle étatique supplémentaire ou moyens de lutte syndicale?

Pour la direction de l’USS et d’UNIA, la réponse à la mise en concurrence, sur le marché du travail, par les employeurs des salariés entre eux réside, prioritairement, dans un contrôle accru du marché du travail, «rendre les mesures d’accompagnement plus efficaces». C’est en fait l’incapacité, dans de nombreux secteurs, du mouvement syndical à faire respecter les CCT conclues qui conduit à demander un contrôle supplémentaire de la part de l’Etat. L’inapplication, dans le secteur de l’hôtellerie restauration, de la CCT qui a pourtant force obligatoire, est très significative de ce point de vue. Cette exigence de contrôle accru ne peut être, dans la réalité, distinguée de la mise en application d’une politique répressive à l’égard des travailleurs «fautifs» et qui, de surcroît, sont parfois sans-papiers. Elle ne se confronte pas aux éléments centraux de la politique néo-libérale de flexibilisation et de précarisation des conditions de travail qui se manifeste notamment par l’augmentation de la sous-traitance, le chantage aux délocalisations ou l’explosion du travail temporaire. Les conséquences de cette politique qui touchent aussi bien les salarié-e-s «nationaux» que «étrangers» ne peuvent être combattues que par des actions syndicales partant des lieux de travail. Le recours à la répression sur le marché du travail (contrôle des chantiers ou des établissements hôteliers) place en outre les syndicats dans la position inadmissible d’auxiliaires de la police des étrangers. Ainsi, présentant les résultats de la discussion parlementaire sur la Loi contre le travail au noir, Jean-Claude Rennwald (conseiller national du PS, vice-président de l’USS) note un certain nombre de progrès, tout en regrettant le maintien, pour les syndicalistes siégeant dans les commissions tripartites et les organes de contrôle, «du devoir de communiquer des informations aux autorités compétentes en matière d’asile et de police des étrangers» (Service de presse USS, 6/2004). Sa réponse à cet embrigadement de syndicalistes dans les rangs des indicateurs de police? «La majorité bourgeoise du parlement doit toutefois être consciente que les syndicalistes dignes de ce nom refuseront d’appliquer une disposition qui les oblige à faire de la délation!». Ce qui ne changera strictement rien à la réalité sélective de la répression qui, comme une récente étude du Forum suisse des migrations l’a montré, frappe d’abord les salarié-e-s.

Menace de référendum syndical: un but marqué contre son propre camp!

La menace brandie par UNIA et l’USS d’un référendum contre l’extension de l’ALCP aux ressortissant-e-s des dix nouveaux pays de l’UE, pour obtenir des mesures d’accompagnement plus contraignantes, constitue un véritable boomerang. Une telle politique ne permettra pas d’empêcher les mécanismes de division et de sélection en oeuvre dans la politique d’immigration, au contraire. Elle ne constituera pas non plus une réponse, un tant soi peu efficace, à la dégradation des conditions de travail subie aujourd’hui par la majorité des salarié-e-s.

Jean-Michel DOLIVO