Engagement internationaliste en pleine guerre dAlgérie
Engagement internationaliste en pleine guerre dAlgérie
Ancien membre du «réseau Jeanson», Jacques Charby, entreprend dans son récent ouvrage1 un véritable travail de mémoire en faisant témoigner une soixantaine dacteurs de cette action anticolonialiste qui prit la forme dun soutien concret apporté aux militants du FLN engagés dans la lutte pour lindépendance de leur pays. Avant de laisser la parole aux acteurs, Jacques Charby, sans prétendre à la qualité dhistorien, retrace, à travers une fresque de quelques dizaines de pages, le cadre de ces engagements. Il montre bien les dates charnières qui opérèrent comme des déclencheurs de prise de conscience et conduisirent certains, insatisfaits du mot dordre de «Paix en Algérie», associé au vote des pouvoirs spéciaux, à faire le choix de laction «individuelle».
Terme bien impropre, car laction est organisée et diablement efficace. Lamateurisme cède vite place à lexpérience de quelques briscards de la Résistance et dailleurs aguerris aux techniques de la clandestinité et sachant mobiliser la logistique infinie des milieux chrétiens et, dans une moindre mesure, syndicale. Rien naurait été possible sans les prêts de voitures, sans les mises à disposition dappartements, sans les possibilités dhébergements, de planques, de lieux de dépôts pour le matériel, de lieux de réunions, de «pertes» de passeports, de relais à létranger, etc. Ainsi une poignée dhommes et de femmes quelques centaines put mener une action clandestine au bilan impressionnant en prenant appui sur une nuée de sympathisants qui rendirent maints services à travers les réseaux ou directement en contact avec les Algériens. Au total ce fut bien un ou deux milliers de personnes qui en France furent des «porteurs despoir». Doù venaient-ils? Dun cocktail de trois principales sensibilités. Un courant humaniste, essentiellement chrétien. Un courant léniniste internationaliste dont le gros des bataillons provenait du Parti communiste et concernait des militants souvent en rupture de ban. Enfin un courant de sensibilité tiers-mondiste pour lequel lAlgérie représentait une lutte emblématique et dont beaucoup de membres venaient de plusieurs formations qui allaient donner naissance au PSU.
Les démêlés des militants communistes en délicatesse avec leur parti reviennent de façon lancinante dans de nombreux témoignages. Certains, conscient de lincompatibilité décidèrent de séclipser discrètement pour sengager dans le soutien. Dautres, confiant à leurs responsables leur inclinaison, furent sommés de choisir: ou le soutien, ou le Parti! Dautres encore attendirent tout simplement la fin de la guerre dAlgérie pour (re)prendre leur carte du Parti. Lamertume la plus forte se retrouve chez les seconds qui quémandèrent en vain labsolution. On imagine mal le Parti communiste de lépoque, ayant résolument choisi laction de masse, craignant plus que tout lisolement, et en recherche dune alliance avec les socialistes, accédant à une tel requête. De surcroît, le FLN nétait pas le Vietminh, et Ben Bella ne pouvait être confondu avec Ho Chi Minh. Officieusement par contre, ainsi que le rapporte Joseph Hazan, un proche dHenri Curiel, Jacques Duclos, approché, fit savoir «Je suis daccord avec les communistes qui aident concrètement les Algériens, mais à condition quils ne mouillent pas le Parti». On imagine mal quil put en être dit plus.
Transporter, cacher, héberger, aider à se réunir, soigner les cadres du FLN, favoriser leurs communications, leur trouver des points dappui en province, assurer leur défense juridique, compter, recompter et acheminer dimportantes sommes dargent, telles étaient les tâches des réseaux de soutien. A cela sajoutaient les passages de frontières, lorganisation de quelques évasions de prisons ou les fournitures/falsifications de papiers. Le bilan fut vite impressionnant.
Trop apparemment pour la police qui lui porta les coups les plus rudes. Quand le premier réseau constitué, celui de Francis Jeanson et de Robert Davezies, tomba la relève fut assurée par Henri Curiel qui reprit ce qui restait de la logistique et y ajouta ses moyens et plus de professionnalisme. A son tour la répression le rattrapa, mais dautres, déjà expérimentés et par lui formés, prirent la relève. On nommera, sans pouvoir être exhaustif, Georges Mattéi Martin Verlet, les frères Jéhan et Gérold de Wangen. Les efforts se fédérèrent avec laction dautres groupes, de Denis Berger et Roger Rey pour la «Voie communiste» au «groupe Nizan» issu des jeunes mendèsistes et animé par Jean-Jacques Porchez.
Laction de soutien en conduit bon nombre en prison. Là encore les témoignages sont passionnants. La fraternité avec les Algériens dans les divisions de détenus politiques sapprofondit. Et cest aussi là que se préparent les grèves de la faim et les évasions, notamment celle de six femmes de la Petite Roquette pendant lhiver 1961.
La guerre terminée, quelques uns choisirent daller apporter leurs compétences professionnelles à lAlgérie indépendante. On les appela les «Pieds rouges». Dautres forts de leur expérience et de leur savoir-faire, se mirent au service dautres causes à travers le monde. Ce fut laventure de Solidarité menée par Henri Curiel jusquà son assassinat en 1978. Dautres enfin, restèrent toujours solidaires de lAlgérie et sactivèrent au travers de la vie associative à resserrer les liens entre les forces démocratiques des deux pays.
Ces récits rapportés et présentés par Jacques Charby sont précieux, largement inédits, et contribuent à témoigner de ce que furent les ressorts de cet engagement internationaliste courageux et original en pleine guerre dAlgérie. Mais bien sûr cette guerre ce fut aussi pour les Algériens les combats sur le terrain, le front diplomatique pour isoler la France, et pour les Français, les larges actions de masse pour imposer les négociations, la paix, faire face à lOAS, contrer les généraux factieux, bref, peser fortement dans la bataille.
Michel ROGALSKI*
Article réalisée en partenariat rédactionnel avec la revue Recherches internationales
* Economiste, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales CNRS, Directeur de la revue Recherches internationales.
- Jacques CHARBY, Les porteurs despoir Les réseaux de soutien au FLN pendant la guerre dAlgérie: les acteurs parlent, La Découverte, 2004.