No Work Festival: fête du précariat à Milan

No Work Festival: fête du précariat à Milan

Du vendredi 22 au dimanche 24 octobre, le No Work Festival, fiera del precariato ribelle s’est tenu à la Facoltà di reddito de la Casa L.O.C.A. (situé dans la banlieue postindustrielle de Milan). Pendant trois jours, des réseaux travaillant sur la précarité et les nouvelles formes de vie dans le capitalisme cognitif ont été accueillis par Action Milano et la Rete per il Reddito pour un échange transnational et interactif sur les expériences et processus de lutte en cours. Inscrit dans la démarche du processus Euromayday 2005, le No Work Festival a permis d’avancer de façon importante dans la création d’espaces de coordination au niveau européen.

Après les expériences du FSE de Londres, et notamment après l’AG de l’Europrékariat tenue dans le cadre du forum transversal Beyond ESF, le processus de constitution des nouvelles subjectivités liées aux luttes sociales dans le capitalisme cognitif (précaires, migrant-e-s, etc.) est passé par Milan pour continuer ainsi son parcours itinérant et transversal de construction de réseaux de résistance. Structuré en trois espaces différents (débat, cinéma et infoshop), le festival s’est fractionné en trois moments différents dans la perspective de développer une praxis cognitive interactive sur les expériences de vie et de résistance dans la précarité.

Moment 1: postfordisme, espaces de vie et nouveaux sujets productifs

Un premier moment a été dédié à l’auto-identification de nos réalités propres (la cité et les frontières de la production dans le postfordisme, les transformations du marché du travail, etc.). En profitant de l’appui d’économistes comme Andrea Fumagalli, de sociologues comme Alberto Giasanti, de journalistes comme Cristina Morini et de théoriciens du mouvement comme Toni Negri ou Bifo (présence virtuelle), on a pu avancer dans le diagnostic des nouvelles réalités précaires, ainsi que dans la production des savoirs nécessaires à nos luttes.

Le mouvement étant le point de départ pour l’analyse des réalités du précariat (ce qu’on appelle la centralité du politique), on est parvenu à avancer de quelques pas dans la production en commun des instruments d’intervention (idées, rapports, expériences, affects…). Sur ces acquis du mouvement ont été examinées les grandes transformations du capitalisme cognitif dont la mise au travail du monde de la vie est le résultat, à savoir l’informatisation et l’automatisation de la production, la déterritorialisation de la production, l’immatérialisation du travail, la mise en réseau des processus productifs, etc.

Loin de l’isolement autiste des espaces académiques, ce travail de réflexion a été réalisé à l’intérieur des espaces où il est question d’agir. Car il faut savoir que la Casa LOCA est un nouveau centre social situé au cœur même de la généalogie du précariat: il s’agit, en effet, d’un ancien atelier occupé il y a peu qui se trouve à coté des terrains appartenant à Pirelli (un paysage «blade-runneresque» fait d’immenses bâtiments en verre et en acier appartenant maintenant à plusieurs entreprises de services). Instrument des stratégies patronales à l’époque où ont commencé les transformations mentionnées, cette petite usine occupée constitue aujourd’hui une toute dernière frontière de la production immatérielle, un espace qui n’appartient à personne, où un début de bouleversement des rapports de domination devient possible.

Moment 2: des méthodes d’intervention différentes

Un deuxième moment a été destiné à l’échange d’expériences de lutte dans le cadre décrit des transformations structurelles (l’analyse de la tendance, pour parler encore dans les catégories du Marx des Grundrisse): les grandes luttes métropolitaines contre la précarité de la Coordination des intermittent-e-s et précaires d’Ile-de-France, l’organisation de systèmes d’information alternatifs et interactifs au sein des mouvements tels que le Global Project, le travail de co-recherche sur la vie des femmes madrilènes de Precarias a la Deriva, les pratiques de désobéissance civile des Invisibili du Nord-est italien, les «trans-actions» sur les migrations des activistes marocain-e-s et andalous de Indymadiaq-frontière sud de l’Europe, le biosyndicalisme du Movimento Dis-occupati des sans-emplois de l’Italie du sud, ainsi que beaucoup d’autres expériences ont été exposées et leurs hypothèses de départ ont été expliquées, ainsi que les méthodes d’intervention et les résultats partiaux des processus de lutte en cours.

D’accord avec la prémisse zapatiste du «caminar preguntando» (avancer en posant des questions), les participant-e-s ont eu donc la possibilité de partager leurs expériences de lutte et de vie dans un espace de production des savoirs et des tissus sociaux du mouvement, des affects et des subjectivités. Loin d’une certaine mégalomanie névrotique des forums sociaux officiels, le No Work Festival a eu lieu dans le cadre de nouveaux rapports d’horizontalité et de transversalité consistant à chercher la coopération en refusant toute forme d’hégémonie, à identifier les différences en renonçant à leur unification dans une identité unitariste, en cherchant le métissage sans imposer les constrictions de la tradition… Car ce dont il était question n’était pas la constitution d’une organisation, d’un nouveau pouvoir quelconque, même pas d’un contre-pouvoir, mais de l’expression du pouvoir constituant des multitudes. Il n’était aucunement question d’intervenir sur le mouvement afin d’acquérir une nouvelle parcelle d’hégémonie, mais d’agir dans le mouvement.

Moment 3: Les nouvelles dimensions et perspectives des luttes sociales

Pour terminer, un large débat a eu lieu au sujet des perspectives stratégiques du mouvement. Sur le plan des alternatives on été débattus les thèmes de la revendication des nouveaux droits de citoyenneté, tels que le «basic income» (révenu universel primaire, distinct des prestations sélectives attribuées aux citoyen-ne-s après-coup), la «Flexsecurity» («flexibilité dans la sécurité» qui permet de meilleures conditions pour la coopération dans la production et la réalisation du travail immatériel), ainsi que d’autres alternatives concrètes aux réalités actuelles du précariat. En ce qui concerne la définition des luttes, s’ouvre la perspective du processus constituant de l’Europrécariat axé, d’une part, sur les luttes quotidiennes locales et, d’autre part, sur les grands rendez-vous à l’échelle européenne, tels que celui du prochain 1er mai (le MayDay 2005).

Raimundo VIEJO VIÑAS