Falludja au présent de l'impérialisme

Falludja au présent de l’impérialisme

La bataille de Falludja a commencé le 8 novembre dernier. D’un côté 2000 à 5000 résistants retranchés à l’intérieur d’une ville quasi-désertée, de l’autre 15000 soldats états-uniens décidés à user de tous les moyens pour imposer le nouvel «ordre» impérial. Des hélicoptères de combat, des blindés et les derniers raffinements de l’électronique contre des combattants munis d’armes légères… L’armée US a admis 70 morts dans ses rangs, avant de censurer toute information à ce sujet. Elle annonce 1200 insurgés tués et 2000 possibles guérilleros arrêtés. Et pourtant, à l’heure où nous bouclons, la lutte fait toujours rage autour de «quelques poches de résistance».

Il ne fait certes aucun doute que les troupes US vont finir par contrôler l’ensemble du périmètre de Falludja. Mais à quel prix? Et quel en sera le bénéfice stratégique? A l’heure qu’il est, la grande majorité de la population de la cité sunnite des bords de l’Euphrates – 300000 hommes, femmes et enfants – a été déplacée dans des camps de réfugié-e-s et les médias US ne fournissent aucune information sérieuse sur leurs conditions de vie. Enfin, dans la cité interdite, où règne la mort et la destruction, tout a été mis en oeuvre pour éviter que les exactions en cours fassent l’objet de témoignages: journalistes, humanitaires et médecins en ont été systématiquement bannis.

Comme l’écrivait Naomi Klein, dans The Guardian du 26 novembre: «En Irak, les soldats US et leurs supplétifs irakiens ne se soucient plus d’éviter les attaques contre des cibles civiles; ils éliminent ouvertement quiconque – médecins, ecclésiastiques, journalistes – oserait compter les cadavres». Le même jour, l’ambassadeur US sommait le quotidien britannique de démentir cette phrase ou de la prouver. Le 4 décembre, Noami Klein étayait son point de vue dans un article détaillé qui se concluait ainsi: «Monsieur l’Ambassadeur, je crois que votre gouvernement et ses supplétifs irakiens mènent deux guerres en Irak. D’abord une guerre contre le peuple irakien, qui a fait environ 100000 morts. Ensuite une guerre contre les témoins.»

Après l’échec du premier siège de Falludja, en avril, l’armée US a estimé que le personnel médical, les reporters arabes et les imams avaient été les principaux alliés des insurgés en rendant compte de la brutalité extrême de l’assaut et de l’héroïsme de la résistance. C’est pourquoi, la seconde bataille de Falludja a commencé par l’occupation militaire de son hôpital et la saisie des téléphones portables du personnel médical… «’Nous ne comptons pas les cadavres’, a dit le général Tommy Franks du Commandement Central US. Mais qu’arrive-t-il aux gens qui insistent pour compter les cadavres, les médecins qui doivent déclarer la mort de leurs patients, les journalistes qui documentent ces pertes, les membres du clergé qui les dénoncent, s’interroge Naomi Klein? En Irak, il semble bien que ces voix soient réduites au silence par différents moyens, des arrestations en masse aux raids contre les hôpitaux, de l’exclusion des médias aux agressions physiques inexpliquées [contre des journalistes]».

Si l’on en croit l’armée US, les habitant-e-s de Falludja devraient être autorisés à regagner leur ville dévastée au goutte à goutte, du Nord au Sud, les chefs de famille d’abord, pour constater l’état de leurs habitations, à partir du 24 décembre. La bataille de Falludja, qui avait été justifiée par l’administration Bush pour garantir la tenue d’«élections démocratiques» à la fin janvier, ne permettra donc pas aux «électeurs-trices» de cette ville martyre, à supposer qu’ils/elles le souhaitent, de participer à un simulacre de scrutin…

Quant aux plans de l’armée US visant à contrôler les mouvements quotidiens de chaque individu dans la nouvelle Falludja «libérée», ils s’apparentent à une «utopie totalitaire» du type «Big Brother is watching over you». Pour le correspondant de l’Asia Times, Pepe Escobar, ce sera la mise en place d’un véritable «goulag américain». Pour le sociologue de la State University de New York, Michael Schwartz, l’image du «camp de concentration» fait aussi bien l’affaire, même s’il préfère parler d’une «institution totale», d’une prison ou d’un hôpital psychiatrique à l’échelle d’une ville (cf. p.7).

Mais il ne faut pas s’y tromper: la transformation de Falludja en Cité-Prison consacre la faiblesse et non la force de l’occupant. En effet, les habitant-e-s de cette ville – mais aussi l’ensemble des Irakien-nes – découvriront bientôt l’ampleur des destructions et du carnage de ces dernières semaines. Ils éprouveront aussi l’inhumanité dégradante des conditions de vie qui les attendent désormais. Il ne fait donc aucun doute que leur haine de l’occupant et leur soutien à la résistance n’en feront que croître. Au-delà de la propagande, Falludja demeurera ainsi le témoignage vivant du sens qu’il faut prêter aux mots «liberté» et «démocratie» lorsqu’ils se conjuguent au présent de l’impérialisme.

Jean BATOU