That 1 Guy: Funky, Freaky and Fresh

L’armature est un massif tuyau de plomberie de plus de deux mètres, coudé à son sommet, sur lequel sont montées une corde de basse et une multitude d’interrupteurs MIDI reliés à autant de séquenceurs et samplers. A cette étrange construction bricolée, baptisée par son concepteur «The Magic Pipe», s’ajoute une lignée de pédales d’effets. Voilà l’instrument improbable sur lequel That 1 Guy crée sa musique unique, puissante et décalée. Une musique qui semble reposer quelque part entre un futur pas trop lointain et un passé depuis longtemps oublié. Mélangeant des racines funk, rock et jazz, dans un environnement underground novateur flirtant avec l’électronica, l’artiste crée une sonorité réellement originale. Une révélation détonante!

Mike Silverman est un contrebassiste qui s’est formé en tâtant, avec talent et finesse, les classiques du registre jazz. Promis à une belle carrière à sa sortie du conservatoire de San Francisco et du collège Los Medanos, un opportun vent de folie a narquoisement brouillé la voie qui semblait tracée pour l’artiste… Dès la fin des années nonante, Mike se mue en son alter ego déjanté: le puissamment créatif That 1 Guy.

Après avoir construit sa Magic Pipe, il l’a étrennée en sillonnant les Etats-Unis, se produisant devant des audiences médusées, d’abord dubitatives, mais rapidement acquises au génie musical de cet inventeur fou. La presse, unanime, salue alors cet artiste inclassable, indéfinissable et insaisissable. That 1 Guy sort alors, toujours en bricolant, son premier album Songs in the Key of Beotch, vendus hors circuit – uniquement lors de ses concerts et par le biais de son site internet – à près de 10000 exemplaires.

Les rares chanceux qui ont eu l’opportunité d’écouter cet album, ont directement pris la mesure de l’incroyable imagination artistique de ce troubadour d’avant-garde au slap époustouflant. On peine d’ailleurs à croire que ce que l’on entend puisse provenir de ce simple tuyau bricolé, The Magic Pipe… Agréablement déjantée, la musique de That 1 Guy fait penser à Soul Coughing et aux Neptunes, avec l’ombre irrévérencieuse et somptueusement malsaine du grand Tom Waits en arrière plan. Les adeptes seront charmés par le groove industriel lourd de cet artiste unique, parfaite anti-thèse de la pop moderne qui pollue les ondes des radios et nourrit les appétits financiers des grandes majors.

Homme-orchestre des temps modernes distillant une musique puissante, hors du temps et de la réalité, semblant tout droit sortie des labyrinthes souterrains des égouts fumants de San Francisco, That 1 Guy est incontestablement LA révélation underground freaky de ces dernières années. Sa folie brute a séduit la petite équipe de Righteous Babe Records, le fameux label indépendant de Buffalo NY, qui vient de sortir, en septembre dernier, une nouvelle édition de Songs in the Key of Beotch. Une heureuse initiative grâce à laquelle la poésie déjantée de That 1 Guy devient enfin disponible dans les bacs de tous les bons petits disquaires alternatifs. On ne peut que conseiller à chacune et à chacun de se laisser surprendre par la douce démence de ce génie musical. On peut surtout espérer que le gentil fou de San Francisco, grâce à cette collaboration avec les indies de Buffalo, nous gratifie rapidement d’un nouvel opus encore plus détonnant et décoiffant que le bijou qui vient d’être réédité. Et une petite tournée européenne, avec un passage à l’Usine, au FriSon ou au Bierhübeli, serait plus que bienvenue…

Erik GROBET

That 1 Guy, Songs in the Key of Beotch, Righteous Babe Records.