Le passé lutte pour son avenir: LEtr, repartir de la case départ

Le passé lutte pour son avenir: LEtr, repartir de la case départ

Vendredi 8 mars 2002, en fin d’après-midi, le Conseil fédéral adopte la Loi sur les étrangers (LEtr) comme on triche au poker. Attendu depuis des mois ce Message devait à coup sûr sortir fin février.


Pour la bonne bouche et en quelques mots, le récit de la partie. La rumeur ignorait le calendrier et les 4 et 5 mars 2002, la Suisse devait présenter ses 2e et 3e rapports périodiques au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD), le comité de surveillance de la Convention antiraciste de l’ONU. La Suisse a adhéré à cette convention en 1994, conséquence du vote en faveur de la lutte contre le racisme.

Amuser la galerie


En mars 1998, la Suisse présentait son 1er rapport et se faisait étriller. Le CEDR avait compris la politique des trois cercles et exprimait «son inquiétude devant la politique actuelle qui est construite «sur la base de trois cercles», car elle classe les étrangers en fonction de leur origine nationale. Le Comité considère que la conception et les effets de cette politique sont dégradants et discriminatoires et, par conséquent, contraires à la lettre et à l’esprit de la Convention.»1



Le CERD «engageait ainsi instamment la Suisse à revoir les éléments de sa politique actuelle en matière d’immigration, selon laquelle les étrangers sont classés en fonction de leur origine nationale, et lui recommande de réexaminer la réserve qu’il a émise au sujet du paragraphe 1 a) de l’article 2 de la Convention.»2



Le Conseil fédéral, pour défendre les 4 et 5 mars 2002 son rapport périodique devant le CERD, mentait sans scrupule: «Il convient de relever le fait que le projet de nouvelle loi sur les étrangers est en préparation. Ce projet prévoit une amélioration générale de la situation juridique des étrangers vivant en Suisse. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un projet global de lutte contre les discriminations, la conception de la nouvelle loi lui confère tout de même une efficacité générale en matière de discriminations, notamment grâce aux mesures d’encouragement de l’intégration».3

Politique des trois cercles: le retour

Le 8 mars 2002, la Suisse est membre de l’ONU et sa délégation a terminé son tour de piste devant le CERD. Le Conseil fédéral énonce crûment que «l’admission en Suisse de ressortissants d’Etats membres de l’UE et de l’AELE est régie par l’accord sur la libre circulation des personnes. Le projet de loi limite celle d’étrangers issus d’Etats tiers aux travailleurs qualifiés qui nous sont indispensables. Cette politique, dont le principe a été défini en 1991, est maintenant consacrée au niveau de la loi. Il importe désormais d’attendre les premiers effets de l’application de l’accord. La plupart des milieux consultés ont approuvé ce système d’admission.»4


La sécheresse administrative et le goût pour la litote caractérisent la «police des étrangers» et brouille la perception de sa brutalité. Adoptée le 15 mai 1991 par le Conseil fédéral, la politique des trois cercles dit que «les ressortissants des pays qui n’ont pas les idées européennes (au sens large)»5 n’auront pas d’autorisation de séjour en Suisse. Le rapport définit le 1er cercle (l’Europe), le 2e cercle (l’Australie, le Canada, les Etats-Unis et la Nouvelle-Zélande). Ces pays sont «le reste du monde» (sic), le troisième cercle.



Condamnée comme raciste par SOS Racisme et le Centre social protestant, le professeur Auer et l’Union syndicale suisse, par la Commission fédérale contre le racisme, cette politique fut relookée en 1998. Le Conseil fédéral évoqua un prétendu «modèle binaire». A-t-il perçu la faible combativité de la gauche? Son communiqué du 8 mars 2002 résonne avec l’éclat d’une trompette. Seules nouveautés, le renforcement de la répression qu’induit cette politique et la légalisation de ce racisme d’Etat.

Restaurer le racisme d’Etat

Depuis 1917, la «politique des étrangers» c’est le fait accompli et puis la base légale. L’Office fédéral central des étrangers fut ordonné en 1917 et la Loi sur le séjour et l’établissement des étrangers (LSEE) adoptée en 1931. Son ordonnance d’application suggère la politique des trois cercles en 1986, le Conseil fédéral l’adopte en 1991. Il la verrouille aujourd’hui avec une loi.



Nazicompatible au temps du fascisme et du nazisme (1922-1945), pourquoi la «politique des étrangers» a-t-elle survécu en 1948 comme le proposait le Conseil fédéral à la sortie des pleins pouvoirs ? La bourgeoisie voyait la possibilité d’embaucher à vil prix des ouvriers italiens. Les patrons les entasseraient dans des baraquements à l’écart des quartiers ouvriers. L’Etat leur imposerait le statut du saisonnier pour les maintenir dans une précarité inférieure à la condition ouvrière. Supporteraient-ils ce statut? (Le soulèvement des masses italiennes et le débarquement des Alliés avaient abattu le fascisme). La «police des étrangers» survivrait pour les fliquer et pour continuer de désinformer l’opinion publique.



Depuis 1924, le Conseil fédéral et l’Office fédéral central des étrangers chantent sur tous les tons combien il est nécessaire de priver les étrangers de droits pour nourrir la peur que les Suisses doivent éprouver à leur égard.



Depuis 1964, le Conseil fédéral refuse les autorisations de séjour aux non-Européens. La LEtr n’a-t-elle donc vraiment rien de nouveau? Bien sûr que si. Elle veut arracher une nouvelle lâcheté aux parlementaires de gauche. Elle veut instituer le statut de sans-papiers qui remplacera avantageusement celui de saisonnier. Elle légalisera la répression à tous les niveaux dans des conditions dramatiquement aggravées: refus de visa, renforcement des contrôles policiers et douaniers, remise en cause du regroupement familial sont les mesures qu’elle instaure. Elle prévoit de traquer les non-Européens jusque dans leur intimité en demandant une modification du Code civil donnant aux officiers d’état civil le droit de refuser de célébrer des mariages.



Karl GRÜNBERG

  1. Examen des rapports présentés par les Etats parties conformément à l’article de la Convention, Conclusions du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, Suisse. C) Principaux sujets de préoccupation, par. 6, CERD/C/304/Add.44, 30 mars 1998.
  2. Ibidem. D)Suggestions et recommandations, par. 11.
  3. Troisième rapport périodiques que les États parties doivent présenter en 1999, Switzerland. 22/05/2001, par 268. CERD/C/351/Add.2, 22 mai 2001
  4. Département fédéral de justice et police, Communiqué aux médias : «Nouvelle loi sur les étrangers. Le Conseil fédéral adopte le projet de loi et le message sui s’y rapporte», Berne 8 mars 2002.
  5. Rapport du 15 mai 1991 sur la politique à l’égard des étrangers et des réfugiés, Conseil fédéral, Berne, 1991