Une hirondelle ne fait pas le printemps, trois millions oui!

Une hirondelle ne fait pas le printemps, trois millions oui!


Trois millions de personnes, de travailleurs, travailleuses, jeunes, précaires, étudiant-e-s, mais aussi retraité-e-s et immigré-e-s, ont envahi Rome pour la plus grande manifestation de l’histoire républicaine. Une manifestation immense, qui a dépassé même les attentes des organisateurs, la CGIL, principale organisation syndicale italienne, qui a appelé à l’initiative.



La mobilisation avait été convoquée, au début, pour se battre contre la décision du gouvernement Berlusconi de «réformer» le statut des travailleurs, en particulier l’article 18, (celui qui prévoit l’obligation de ré-embaucher le travailleur licencié injustement) le cœur de l’offensive anti-ouvrière de la droite. Mais dans le contexte extrêmement effervescent de la situation sociale italienne, la manifestation est devenue le point de référence pour les diverses luttes sociales et les contestations anti-gouvernement, comme les «girotondi»1 ou, encore davantage, le mouvement des Social Forum («ceux de Gênes», comme les appelle la presse).



Mais, juste trois jours après le meurtre du collaborateur du Ministre du Travail, le professeur Marco Biagi, auteur justement de la réforme de l’article 18, et après la tentative du gouvernement d’utiliser l’attentat terroriste contre le mouvement, la manifestation a été aussi une grande occasion de protagonisme social et démocratique.

Recomposition du front du refus

Le retour des «Brigades Rouges» arrive ponctuellement dans une période très chaude du conflit social. Aux tentatives du gouvernement de réaliser un démantèlement significatif des garanties sociales et démocratique conquises après la IIe Guerre Mondiale – contrat national de travail, protection contre les licenciements, retraites, santé et instruction publique – la CGIL, syndicat traditionnellement lié au PCI et puis aux DS (Democratici di Sinistra: démocrates de gauche, parti social-démocrate), mais maintenant plutôt critique face à la ligne libérale-démocratique des sommets de ce parti, a réagi par une intensification de la protestation, de nombreuses grèves dans les usines, la manifestation de samedi passé, et la convocation d’une grève générale pour le 5 avril prochain. Cette détermination a créé une convergence de toute les oppositions, de celle plus radicale de Rifondazione Comunista jusqu’à l’Olivier, dans une bataille commune contre le gouvernement, et a contraint les deux au-tres grandes confédérations syndicales, la CISL (syndicat chrétien modéré) et l’UIL (jadis liée au Parti Socialiste de Craxi, aujourd’hui liée à l’Olivier) à rompre la négociation avec le gouvernement et la Confindustria patronale et à prendre le chemin du conflit social, jusqu’à accepter la convocation commune de la grève générale qui, pour ce motif, sera probablement renvoyée au 19 avril.



L’assassinat de Marco Biagi – revendiqué par les Brigades Rouges, qui après des années semblent vouloir occuper de nouveau, et d’une façon toujours plus inquiétante, le cadre politico-social italien – a été immédiatement utilisé par Berlusconi et le président de Confindustria contre le syndicat, en particulier la CGIL, et en général contre le mouvement antiglobalisation. Au moment même d’écrire cet article, CGIL, CISL et UIL viennent d’annuler la prochaine rencontre avec le gouvernement à cause des dernières déclaration de Bossi et du ministre de la défense, identifiant explicitement le mouvement syndical comme «l’eau où nage le terrorisme», après que les mêmes déclarations aient été dirigées contre le mouvement des Social Forum et ses animateurs les plus connus, comme Agnoletto et Casarini.

L’émergence d’un nouveau mouvement social

Mais le mouvement a su réagir en démontrant encore une fois sa force, sa capacité de mobilisation sociale, et son attitude en même temps radicale et démocratique. Les Social Forum, qui déjà dans leur dernière assemblée nationale du 2 et 3 mars, avaient décidé de participer, avec leur propre plate-forme, à la manifestation de la CGIL, y ont animé un cortège de plus de 300.000 personnes, très vivace et coloré, proposant à toute la manifestation, et à l’attention de l’opinion publique, l’idée que la défense intransigeante de l’article 18 doit amener à développer une nouvelle «saison des droits sociaux», à partir de l’extension du statut des travailleurs à tous les nouveau contrats précaires, et de la revendication d’un revenu social européen pour chômeurs et précaires. Un «podium mobile», de treize mètres de long, a traversé la manifestation syndicale en se mêlant aux millions de travailleurs en recueillant la sympathie et le soutien des manifestants.



La manifestation de samedi, et sa capacité de réunir les différents secteurs de l’opposition sociale autour du monde du travail, a aussi eu des effets immédiats sur la gauche modérée. Ses erreurs et ses débâcles, en effet, ont poussé des millions de personnes à défendre leur propre conditions de vie, en organisant autour de celle-ci une nouvelle participation démocratique. Une «irruption par le bas» dans la vie politique qu’on avait déjà vue à Gênes, contre le sommet du G8, puis – même si c’était sur un plan purement démocratique et non social – avec le phénomène des «girotondi», et enfin à travers le traditionnel mouvement syndical, en trouvant dans la CGIL un outil capable d’accueillir cette ambition et cette vocation. Un protagonisme qui ne vise pas à se substituer aux partis, mais qui redéfinit, grâce à l’action de masse, les priorités: une politique autonome, en dehors des intrigues de palais et des alchimies bureaucratiques; des revendications concrètes – la non flexibilité du travail – pour donner un espoir à ses propres besoins matériels; un protagonisme direct qui devra s’exprimer immédiatement à travers la grève générale, désormais nécessaire; une défense intransigeante de la démocratie contre toute barbarie terroriste et toute manipulation cynique par le gouvernement.

Un autre monde est possible

Juste huit mois séparent la manifestation de samedi des journées de juillet. Mais un trait évident lie les deux événements. Nous avions alors commencé, dans une ville vidée par la violence de la police, à marcher contre l’arrogance des puissants. Nous avons continué contre la guerre et contre le libéralisme, souvent seuls. Aujourd’hui ce petit flux de rébellion s’est transformé en une immense place permanente, qui continue a réaffirmer le concept, simple et génial, forgé à Porto Alegre: un autre monde est possible. Et la place publique redevient un siège légitime de la politique.



Flavia D’Angeli

Membre de la direction des Jeunesses Communistes Rifondazione Comunista

  1. Mouvement protestataire qui s’exprime par des rondes (Girotondi) autour des grands bâtiments publics, palais de justice, hôpitaux, écoles TV, etc.