Coup d'état royal au Népal, un pays qui se meurt

Coup d’état royal au Népal, un pays qui se meurt

Le 1er février, le roi Gyanendra décrétait l’état d’urgence et dissolvait le gouvernement jugé incapable de venir à bout de la rébellion maoïste. Il déclarait qu’il assumerait les pleins pouvoirs pendant trois ans et lançait un ultimatum à la rébellion: négociations de paix ou… des conséquences graves, lisez la guerre totale.

Le Népal est le théâtre d’une rébellion maoïste depuis 1996. Les maoïstes revendiquent l’accès gratuit à l’éducation, aux soins médicaux et à l’eau potable pour toutes/tous. Dans un pays où la moitié de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté, et où la discrimination contre les femmes, les «intouchables», les groupes ethniques et religieux minoritaires est profondément ancrée dans la société, ce programme politique a suscité un vif engouement populaire. En neuf ans, le mouvement est ainsi parvenu à conquérir les trois quarts du pays.

Malheureusement, entre l’idéal politique et sa mise en œuvre, un immense fossé s’est creusé… Les rebelles ont entamé une répression visant la population soupçonnée de collaborer avec le gouvernement. De plus, ils ont pris régulièrement «en otage» des élèves pour des séances de propagande et forcé certains enfants à rejoindre les rangs de leur armée.

Bienvenue au Népal,
la plus grande prison du monde

«Grâce à l’état d’urgence, la vie est devenue plus paisible. Nous souhaitons la bienvenue aux touristes», déclarait le directeur de Tourisme Népal, quelques jours après le coup. Paisible, oui… Comment pourrait-il en être autrement, quand la société civile est décapitée? Des centaines de militants politiques, de journalistes, de dirigeants syndicaux, d’avocats, d’étudiants, hommes et femmes, ont été arrêtés ou mis en résidence surveillée.

Des droits fondamentaux tels que la liberté d’expression – aucune critique contre l’armée ne sera tolérée pendant les six prochains mois – et la liberté de se réunir ont été suspendus. La répression n’a pas attendu… Lors d’une manifestation pacifique sur le campus universitaire de Pokhara, l’armée a tiré d’un hélicoptère des balles en caoutchouc dans la foule, 250 étudiant-e-s ont été blessés et deux ont été tués. Puis une cinquantaine d’étudiant-e-s ont été arrêtés, torturés et forcés à passer une nuit glaciale dans un ravin, les mains liées et les yeux bandés.

Paisible, oui… Comment pourrait-il en être autrement, quand toute la presse est muselée? Les journalistes se doivent de travailler entourés de soldats. Mais à qui sait lire entre les lignes de la censure, la résistance transparaît… celle habillée de métaphores, comme dans un éditorial du Nepali Times, qui dénonçait l’abattage des arbres, ce poumon de la société, et qui demandait aux autorités de les replanter au plus vite. Et il y a la résistance toute en humour: une photo à la une d’une statue de Vishnu, couverte d’excréments de pigeons, le roi étant considéré comme une incarnation du dieu Vishnu.

L’Inde et l’Occident
complices malgré eux?

L’Inde est le principal investisseur au Népal, et c’est aussi le premier fournisseur en armes et entraînement militaire de l’armée népalaise. Mais, au-delà de quelques gesticulations diplomatiques, on ne peut rien attendre de l’Inde… car, d’une part, l’Inde craint de voir le mouvement maoïste s’étendre sur son territoire et, d’autre part, New Delhi craint que le Népal perde son rôle de «zone-tampon» avec la Chine et se retrouve sous influence chinoise. Le roi sait d’ailleurs très bien jouer ses cartes stratégiques, puisqu’une semaine avant le coup, il a pris la peine de fermer les bureaux du dalaï-lama à Katmandou, geste qui ne pouvait que plaire à Pékin et attiser les craintes de New Delhi.

Quant aux Etats-Unis, l’administration Bush préférera une monarchie sanguinaire à un état maoïste. Les maoïstes ont déjà été inscrits sur la liste des organisations terroristes. L’armée népalaise peut donc compter sur les armes occidentales – dont des avions Pilatus suisses – et elle continuera à s’agrandir, à avaler le budget de l’Etat et à commettre des violations des droits humains dans une impunité totale. Mais pourra-t-elle venir à bout de la rébellion maoïste? Les experts militaires s’accordent à répondre par la négative…

«La démocratie est dans notre âme!»

«Rendez-nous nos droits, la démocratie est dans notre âme!». C’est le cri d’une manifestante à Katmandou, le 10 février, alors qu’elle était poussée dans une voiture de police… Peut-être qu’aujourd’hui, alors que j’écris ces lignes, elle a déjà été «disparue» par les autorités. Le Népal est, selon l’ONU, le pays où le plus grand nombre de disparitions forcées ont lieu (et ceci avant le coup), 378 «disparitions» ont été enregistrées l’année dernière. Une «disparition» par jour. Nous avons le devoir de ne pas oublier le cri de cette manifestante.

Sylvie GRAENICHER