Mascarade de Sharm el-Sheikh: pas de paix sans justice

Mascarade de Sharm el-Sheikh: pas de paix sans justice

Au lendemain du Sommet de Sharm el-Sheikh du 8 février dernier, entre le Président palestinien, le Premier ministre israélien, le roi de Jordanie et le Président égyptien, Robert Fisk jette un regard lucide sur ce qu’il faut bien appeler une mascarade. Nous publions son commentaire, publié par le quotidien britannique The Independent.

Ainsi les Palestiniens vont mettre un terme à leur occupation d’Israël. Les tanks palestiniens n’entreront plus en écrasant tout sur leur passage dans Haifa et Tel Aviv. Les F-18 palestiniens ne bombarderont plus les villes israéliennes. Les hélicoptères Apache palestiniens ne mèneront plus «d’assassinats ciblés» – c’est à dire de meurtres – de leaders militaires israéliens.

Les Palestiniens ont promis de cesser tous les «actes de violence» contre les Israéliens et Israël a promis de mettre un terme à toute «activité militaire» contre les Palestiniens. Ca y est alors. La paix est là..

Un Martien – même un Martien bien renseigné – aurait conclu que c’était ça le message, à supposer qu’il soit tombé sur le monde de «fantasy» de Sharm el-Sheikh hier. Les Palestiniens avaient utilisé «la violence», les Israéliens eux ayant mené «d’innocentes» opérations. La violence palestinienne ou «le terrorisme et la violence» – cette dernière formulation étant nettement plus populaire puisqu’elle porte le stigmate du 11 Septembre 2001 – était maintenant terminée. Mahmoud Abbas – qui a dit à un proche ami libanais cette année qu’il portait un costume et une cravate pour paraître «différent» de Yasser Arafat – a accepté tout cela. Seulement quelles personnes occupaient les maisons de quelles autres personnes restait un mystère.

Mahmoud Abbas, cheveux grisonnants et chargé de sagesse, avait la tête de l’emploi. Nous devions oublier que c’était le même Abbas qui avait rédigé les Accords d’Oslo qui, dans les 1000 pages qui les composaient, avait négligé d’utiliser – ne serait-ce qu’une fois – le mot «occupation» et qui ne parlait pas de «retrait» israélien des territoires palestiniens mais de «redéploiement».

A aucun moment hier, il n’a été question d’occupation. Tout comme le sexe, «l’occupation» devait être censurée et ne pas apparaître dans le récit historique. Comme d’habitude – comme à Oslo – les vraies questions ont été repoussées à une date ultérieure. Les réfugié-e-s, le «droit au retour», Jerusalem Est comme capitale palestinienne: occupons-nous en plus tard.

Jamais auparavant nous n’avons eu autant besoin de la voix caustique du regretté Edward Saïd. Des colonies- des colonies juives pour les juifs, et uniquement les juifs, sur la terre arabe – on n’a, bien sûr, pas parlé hier. Pas plus que l’on a parlé de Jerusalem Est. Ni du «droit au retour» des réfugiés de 1948. Ce sont les «rêves irréalistes» auxquels les Israéliens ont fait référence hier.

De tout cela on discutera «plus tard» – comme cela était censé l’être dans les accords d’Oslo sans espoir d’Abbas. Tant que l’on peut renvoyer à plus tard les causes réelles de la guerre, tout va bien. «Un terme à la violence», qui a coûté 4000 morts – tout a été dit hier, sauf l’équation de première importance que les deux tiers de ces morts étaient des Palestiniens. La paix, la paix, la paix. C’était comme le terrorisme, le terrorisme, le terrorisme. Le genre de truc qu’on peut trouver sur une étagère de supermarché. Si seulement.

A la fin de la journée, les questions étaient les suivantes. Les Israéliens démantèleront-ils leurs énormes colonies en Cisjordanie, y compris celles qui entourent Jerusalem? Aucune référence à cela hier. Mettront-ils un terme à l’expansion des colonies juives – pour les juifs et uniquement les juifs en Cisjordanie palestinienne? Aucune référence à cela hier. Autoriseront-ils les Palestiniens à avoir une capitale dans l’arabe Jerusalem Est? Aucune référence à cela hier. Les Palestiniens mettront-ils vraiment un terme à leur intifada- y compris aux attentats suicides – suite à ces promesses qui n’existent pas?

Comme les élections irakiennes qui ont eu lieu sous occupation étrangère – les pourparlers Israélo-Palestiniens ont été historiques parce qu’ils étaient «historiques». La Ministre américaine des Affaires Etrangères, Condoleezza Rice, a «averti» les Palestiniens qu’ils doivent «contrôler la violence» mais il n’y a eu, comme d’habitude, aucune demande de «contrôler» la violence de l’armée israélienne.

Parce que la condition sine qua non de l’équation était que les Palestiniens étaient coupables. Que les Palestiniens étaient la partie «violente» – d’où l’exhortation à ce que les Palestiniens mettent un terme à «la violence», alors que les Israéliens mettraient simplement un terme aux «opérations». Il semble que les Palestiniens soient génériquement violents. Les Israéliens génériquement respectueux de la loi; ces derniers mènent des «opérations». Mahmoud Abbas a approuvé ce non-sens.

C’était on ne peut plus clair dans la façon dont ont été rapportés les évènements d’hier. Ce qui était en jeu a dit CNN était «un terme à toute violence» – comme si l’occupation et la colonisation illégale n’étaient pas des formes de violence. L’agence de presse américaine Associated Press a parlé lâchement de «villes qui, pour l’instant, continuent à être sous contrôle israélien» en d’autres mots, sous occupation israélienne, bien qu’ils ne le disent pas sous cette forme à leurs lecteurs.

Ainsi Mahmoud Abbas va être le Hamid Karzai de Palestine, sa cravate étant l’équivalent de la robe verte de Karzai, «notre» homme neuf en Palestine, le «tsunami» qui a nettoyé la contamination de Yasser Arafat, dont Condoleezza Rice a évité la tombe hier. Mais les chausse-trappe subsistent: Jerusalem Est, les colonies juives et le «droit au retour» des Palestiniens de 48 dans les maisons qu’ils ont perdues.

Avant d’applaudir comme les «faiseurs de paix» de Sharm El-Sheikh hier, nous ferions mieux de comprendre que, à moins d’apporter une réponse à ces importantes questions sur l’injustice maintenant, ce nouvel acte d’«accord de paix» se révèlera aussi sanglant qu’Oslo. Demandez à Mahmoud Abbas. Il était l’auteur de ce premier accord fatal.

Robert FISK
(traduit par Daniel Mourgue pour le site bellaciao.org)