Code pénal militaire: amendes choquantes
Code pénal militaire: amendes choquantes
Le 1er mars 2004, le code pénal militaire s’est «enrichi» de nouvelles mesures disciplinaires. Les arrêts simples, où les militaires ne passaient en détention que les temps de loisirs et de repos, ont été abolis. Les arrêts de rigueur ont été rebaptisés arrêts (tout court) et réduits à 10 jours maximum. Les peines de privation de sortie et d’amende disciplinaire ont été introduites. La presse a récemment dénoncé plusieurs cas choquants.
Des amendes jusqu’à 500 francs peuvent être infligées par les officiers dès le grade de capitaine, après une procédure sommaire. Les autorités militaires cantonales peuvent condamner à des amendes jusqu’à 1000 francs, avant tout pour défaut aux tirs obligatoires. La privation de sortie et de cantine militaire va de 3 à 15 jours. Les personnes sanctionnées peuvent faire recours auprès du supérieur de l’officier qui a infligé l’amende. Pour des amendes de 300 francs et plus, et pour les arrêts, un deuxième recours est possible auprès d’un tribunal militaire d’appel.
Une recrue en formation à Payerne s’est ainsi vu infliger une amende de 200 francs pour vingt minutes de retard. Pourtant, le soldat ne contestait pas les faits, liés à un problème familial. L’un de ses collègues a été condamné à 300 francs pour n’avoir pas réussi à se réveiller. Ces deux affaires ont été révélées, le 9 février dernier, par Le Matin. Le 4 mars, de nouvelles affaires éclataient: retard d’une minute: 200 Frs; alcool en chambre: 200 Frs; sortie sans permission: 250 Frs; et 300 Frs pour avoir désassuré l’arme d’un supérieur en présence de camarades.
Infractions de moyenne gravité?
Ces amendes ont été introduites, à l’initiative du Conseil fédéral, pour punir des infractions de moyenne gravité. Vu la plupart des cas précités, on peut en douter. Seule la mauvaise manipulation d’armes était dangereuse, mais c’est un incident fréquent. Les arrêts qui le sanctionnaient jusqu’ici étaient aussi l’occasion de réfléchir à son acte. La sanction avait aussi une certaine valeur pédagogique qui n’est pas atteinte par l’amende.
Le Conseil fédéral arguait que la sanction doit être ressentie comme «rigoureuse et efficace». Outre les manipulations dangereuses d’armes, il donnait l’exemple d’infractions au code de la route ou à la loi sur les stupéfiants. Rien à voir avec la plupart des cas énumérés ici!
Fondamentalement, les amendes ont été introduites pour renforcer la discipline. «C’est normal que ça fasse un peu mal», a dit Philippe Zahno, porte-parole de l’armée. La menace du trou n’était plus vraiment efficace. Pour autant que la sanction ne dure pas trop longtemps et ne fasse pas annuler la totalité du cours, les arrêts étaient plutôt bien ressentis par les soldats punis une bonne occasion de se reposer et de s’isoler un peu de la vie militaire. Les amendes sont donc un moyen mesquin de renforcer une autorité et une discipline en perte de vitesse!
Une peine dommageable
Les recrues ne sont généralement pas riches, c’est là que le bât blesse! Les allocations perte de gain sont de 43 francs par jour (54 Frs dès le 1er juillet 2005) ainsi que 5 Frs de solde. Les services sociaux de l’armée ont poussé un cri d’alarme: quatre recrues sur six ont des difficultés financières qu’ils arrivent à résoudre, parfois avec les conseils des services sociaux. Une recrue sur six dépend d’une aide financière. Reste donc une seule recrue qui s’en sort sans problème.
Pourtant, l’armée a infligé 200000 francs d’amendes en 10 mois à 640 hommes, soit une moyenne de 313 francs environ! Ces sanctions sont donc extrêmement lourdes et frappent plus durement les personnes précaires, même si les commandants doivent prendre en compte leur situation financière.
La formation des officiers est également en cause. Les personnes habilitées à infliger des amendes dans le civil ne subissent pas quelques heures de cours dans le cadre de leur formation militaire, mais suivent quatre ans de cours universitaires. Les juges professionnels disposent de renseignements sur la situation financière et sociale des justiciables, ce qui n’est pas faisable dans un cadre militaire.
Même si des instructeurs professionnels aident les officiers de milice à fixer la sanction, on reste dans l’arbitraire. Une même faute sera traitée différemment selon l’officier qui l’applique. Pour que la sanction soit un peu moins arbitraire, l’auditeur en chef procureur général de l’armée devrait publier une liste de fautes condamnables et des tarifs ou fourchettes de tarifs, comme c’est le cas pour les amendes d’ordre.
Des infos insuffisantes
De toutes les 640 amendes infligées en 2004, seules quatre ont fait l’objet de recours. Ce faible taux est à mettre au compte d’une mauvaise information. Le droit de recours est indiqué en petit dans les formulaires servant à notifier l’amende. L’une des recrues qui s’est plainte à la presse a laissé passé le délai de 24 heures, ne sachant pas vraiment quoi faire, et par crainte d’une aggravation de la sanction. Pourtant, l’amende ne peut être que confirmée ou diminuée, voire remplacée par une autre sanction. Il est indispensable que toute sanction soit communiquée et expliquée oralement, ainsi que les possibilités de recours et les démarches à accomplir.
Guère friand de valeurs militaires, solidaritéS soutient l’abolition de l’armée. Pourtant, même dans cette logique militaire autoritaire que nous rejetons, l’arsenal des sanctions est déjà suffisant sans qu’on ajoute des amendes choquantes et arbitraires. C’est pourquoi nous exigeons le retrait des amendes disciplinaires du code pénal militaire!
Sébastien L’HAIRE