L'austérité amère à la sauce neuchâteloise

L’austérité amère à la sauce neuchâteloise

Le Conseil d’Etat a cogité ferme. En juin, la première mouture de son budget prévoyait un déficit de 185 millions de francs. Il a donc procédé à des coupes sombres pour rendre publique, en septembre, sa deuxième version, avec un déficit de 44 millions de francs. Avec qui donc a-t-il discuté ces tripatouillages? Ni avec les commissions concerné-e-s, ni avec les partis politiques, ni avec les syndicats, et encore moins avec les militant-e-s… Le Conseil d’Etat «de gauche» fait comme ses prédécesseurs de droite: il cogite seul et attend les réactions de pied ferme.

Il s’agit du premier budget élaboré après le vote de juin 2005, relatif aux mesures d’assainissement des finances, soutenues dans le précédent Grand Conseil et lors du scrutin par le Parti socialiste neuchâtelois et toute la droite (libérale-radicale-UDC). Désormais, toute nouvelle recette ou dépense importante doit obtenir une majorité qualifiée du Grand Conseil (3/5 des député-e-s) et le budget ne peut pas avoir un excédent de charges supérieur à 3% – soit un ordre de 47 millions de francs1. La fonction politique de ces mesures est très claire: gouverner au centre, se mettre d’accord sur des budgets ayant l’appui de la gauche et de la droite «modérées», et faire ainsi obstacle à toute mesure qui s’en prendrait sérieusement au capital.

Etat pénitence contre Etat providence

Le projet de budget du Conseil d’Etat est un ensemble de mesures prétendument équilibrées, mais les 140 millions «économisés» sur le budget 2006 seront assumés, au bout du compte, par les salarié-e-s de la fonction publique, les personnes à l’aide sociale et toutes les institutions dépendantes de subventions cantonales. La seule mesure censée établir une «symétrie des sacrifices» – concept fort prisé par le Conseil d’Etat, depuis le début des années 1990 – est un impôt extraordinaire, limité à 2006 et 2007, sur les fortunes de plus de 250000 francs (pour une personne seule, et 455’000 francs pour les couples), et susceptible de rapporter 12 millions par an. Cette mesure-là devra cependant être acceptée par une majorité qualifiée de 3/5 des député-e-s2. Par ailleurs, tous les investissements sont gelés, sauf pour l’aménagement de la voie ferroviaire Neuchâtel-Berne.

En y regardant de plus près, on constate que seuls augmentent (légèrement) les budgets de la police cantonale3 et du service pénitentiaire.

En fin de compte(s), se trouvera-t-il une majorité du Grand Conseil pour voter un budget qui ne fait pas de choix guidés par l’intérêt de la majorité, ou plutôt dont les choix se traduisent par des mesures frappant les salarié-e-s (petits et moyens)? Ou, pour le dire autrement, les négociations autour du budget permettront-elles de concilier le PSN et les libéraux-radicaux? Le prix à payer sera-t-il que le syndicat plie l’échine?

C’est toute une époque que le budget met ainsi en scène. Pour parvenir à respecter les règles contraignantes du «frein à l’endettement», le Conseil d’Etat propose d’utiliser la part cantonale de l’or de la BNS, en la consacrant à la réduction du déficit budgétaire. Une astuce de courte durée… Ce projet sera, de toute manière, confronté à quelques dures réalités. D’abord, les partis de droite affirment qu’ils ne voteront aucune augmentation d’impôt. La prétendue «symétrie des sacrifices» ne passera-t-elle pas du même coup à la trappe?

«Le gouvernement est fier de sa police!»

Voilà en substance la réponse de Jean Studer, applaudi par l’UDC4, à une interpellation urgente du groupe POP/Verts/SOL (défendue par notre camarade Marianne Ebel) et à une question du Parti socialiste sur le comportement inadmissible de la police cantonale: le 21 septembre, 30 argousins avaient débarqué violemment, dans la communauté Emmaüs pour arrêter des personnes sans statut légal. Une manifestation unitaire de protestation est organisée le 21 octobre, à la Chaux-de-Fonds (Place Le Corbusier, 17h.). Y prendront entre autres la parole Gisèle Ory (PSN), Marylise Ballarin (solidaritéS) et Denis de La Reussille (POP)

Le SSP en ligne de mire

Le Syndicat des Services publics (SSP) est, une fois de plus, confronté à une proposition qui, non seulement, saute à pieds joints sur une promesse (faite en l’an 2000) d’un rattrapage salarial de 1%, mais qui impose une gymnastique cumulant le maintien du renchérissement des salaires et une contribution dite «de solidarité» de 2,5%. Le gel des effectifs du personnel, imposé jusqu’à la fin de l’année, s’accompagne donc d’un gel des salaires de la fonction publique. La balle est ici dans le camp syndical, à lui de démontrer sa capacité à modifier le rapport de forces en faveur du personnel.

Initiative des étudiants
pour l’affectation de l’or de la BNS

La Fédération des étudiants neuchâtelois (FEN) a déposé une initiative, munie des signatures nécessaires, demandant que l’or de la BNS attribué au canton de Neuchâtel serve à des projets d’avenir, plutôt qu’à solder les dettes passées: affecter cet or à une fondation au capital inaliénable, dont les intérêts permettraient le soutien à la formation, au perfectionnement professionnel et au recyclage; le soutien à la valorisation de la recherche et à la création de nouvelles entreprises, le soutien à la jeunesse et à son développement» (d’après site internet: http://hydra.unine.ch/fen/). Le Conseil d’Etat, lui, entend utiliser ce capital pour les affaires courantes et veut donc l’entamer immédiatement. Restera-t-il encore quelque chose à partager, au moment du vote de l’initiative?

La promotion économique

L’efficacité des cadeaux aux entreprises et celle de la direction, privée, de la promotion économique, font l’objet d’une polémique. Les piques viennent cette fois-ci de la droite neuchâteloise et de représentants des PME! En effet, les cadeaux sont en majorité destinés aux actionnaires de multinationales états-uniennes. Ceci explique cela… En réponse, le Conseil d’Etat se fend de calculs invérifiables (la promotion économique est secrète, même les député-e-s ne sont pas informés des aides!) pour affirmer qu’elle profite au canton.

Pour notre part, nous avons toujours dénoncé la promotion économique comme une opération politique destinée à légitimer les inégalités et à valoriser l’enrichissement des nantis, puisque les cadeaux sont finalement destinés aux actionnaires des entreprises, dont on garantit les profits. Cette politique n’a rien de socialiste et nous éloigne un peu plus d’un projet d’enrichissement humain, de temps libre, de développement culturel, pour nous ramener au médiocre «enrichissez-vous et prospérez» de François Guizot (Premier ministre du roi Louis Philippe, de 1840 à 1848).

La culture en prend aussi un sale coup!

Coupe dans les subventions de la culture, comme si c’était du superflu pour période de haute conjoncture! L’enseignement de la musique au Conservatoire, filière professionnelle, est voué à la disparition. 170 élèves, une cinquantaine d’enseignant-e-s, c’est toute une vie musicale que le Conseil d’Etat veut jeter par-dessus bord. Entre police et musique, le Château a vite choisi! Heureusement, les musicien-nes ne sont pas décidés à se laisser faire. Ils/elles l’ont déjà démontré par une manifestation organisée au lendemain de cette annonce.

D’autres actions sont prévues. Elles auront notre soutien et le Conseil d’Etat n’échappera pas à un débat public sur ses choix.

Henri VUILLIOMENET

  1. Toute similitude avec une clause du Traité de Maastricht (7 février 1992) – signé par 12 pays de l’Union européenne – serait bien entendu fortuite… Dans les années à venir (déclaration de Jean Studer lors de l’assemblée générale du SSP, le 27.9.2005), l’excédent de charges ne devrait pas dépasser 2%
  2. C’est-à-dire 69 député-e-s, alors que le PSN, le POP, les Verts et solidaritéS n’en ont que 58.
  3. Sur l’activité de cette police, notre article: «Dérives policières, une menace pour la démocratie» (solidaritéS , no 74, 27 septembre 2005); le site de la Jeunesse solidaritéS: www.jeunessesolidarites.ch
  4. Pour compléter la documentation de Jean Studer sur l’histoire du mouvement ouvrier, nous lui suggérons de méditer cette phrase d’August Bebel (fondateur du Parti social-démocrate allemand): «Lorsque l’ennemi m’applaudit, je me demande quelle bêtise je viens de dire…».