Eglise catholique: patriarcat et pédophilie

Eglise catholique: patriarcat et pédophilie


Avec la multiplication des affaires de pédophilie qui touchent en particulier l’Eglise catholique, le débat fait rage sur ses causes présumées. On évoque le célibat des prêtres et l’homosexualité, qu’il contribuerait à attirer ou à susciter. En réalité, c’est plutôt du patriarcat qu’il faudrait parler, de même que des rapports de pouvoir et de domination qu’il induit dans un grand nombre d’institutions, dont les églises.



Margaret Randall*



Cela fait deux dernières décennies au moins, que se développent des rumeurs d’abus sexuels parmi les prêtres catholiques – aux Etats-Unis et ailleurs. En dépit de la culture du secret de l’Eglise, qui mime la culture du secret de la société sur de telles affaires, des histoires remontent à la surface ici et là: un jeune homme, aujourd’hui un homme, accusant un prêtre de paroisse de viol; une femme disant comment, il y a des années, le prêtre, auquel elle s’était adressée comme directeur de conscience, avait tiré avantage de sa vulnérabilité.

La loi du silence


Dans tous ces cas, la principale préoccupation de l’Eglise semble avoir été de prévenir les retombées pour elle. Les prêtres ont été parfois soustraits à leur paroisse (pour poursuivre leurs abus criminels dans une autre, comme il apparaît aujourd’hui). Evêques et cardinaux organisant en connaissance de cause l’étouffement de ces affaires. De fortes sommes d’argent ont été dépensées – toujours pour garantir le secret.



Quelque chose est arrivé par rapport à ce mode de faire. Quelque chose a bouleversé ce statu quo, garanti si longtemps par les hommes au pouvoir. Peut-être est-ce le sentiment de la collectivité qui s’est affirmé, lorsqu’une victime après l’autre a décidé, qu’il ou elle ne voulait plus être lié par la promesse du secret; dans de tels cas, il a fallu le courage et la confiance de nombreuses personnes. Peut-être est-ce l’effet d’une prise de conscience de ce qu’est l’abus sexuel par le grand public, qui commence à le prendre plus au sérieux.



Peut-être même que des familles catholiques pratiquantes ont dit finalement «Assez!» et ne veulent plus cacher leur colère et leur tristesse à cause du respect sans faille qu’ils ont appris à ressentir pour ceux qui se targuent de les guider dans leur foi.

Le charme est rompu


Quelles qu’en soient les raisons, le charme est rompu. Des prêtres ont été jugés et condamnés. D’autres se sont suicidés. Des évêques et d’autres hommes d’Eglise ont dû rendre des comptes. Des documents démontrant des années de dissimulation ont été rendus publics. Le Pape a convoqué les cardinaux et les évêques états-uniens à Rome. Le contrôle des retombées va probablement être maintenant organisé sur une beaucoup plus grande échelle.



Aujourd’hui, la question est de savoir si la gestion de cette sinistre histoire va s’arrêter au contrôle des dommages, ou si, en réalité, les hommes qui dirigent l’une des principales religions du monde auront l’intelligence et le courage de creuser plus à fond, d’aller plus loin, d’examiner (et peut-être de changer?) les doctrines et les pratiques qui ont offert, comme cela est prouvé, un environnement aussi favorables à ces prêtres pédophiles, violeurs, ou qui ont abusé d’une autre façon de leur position de pouvoir.

Je ne suis pas optimiste

Je ne suis pas optimiste, parce que je ne crois pas que les cardinaux et les évêques aient jamais accordé une grande attention aux victimes de ces crimes. En dépit d’excuses tardives, une vaste documentation montre qu’ils ne commencent à prendre de telles accusations au sérieux, que lorsqu’elles menacent leur propre position de pouvoir.



Et je ne suis pas optimiste parce que, jusqu’ici, les débats ont montré une ignorance honteuse des causes de tels crimes, du type d’homme prédisposé à les commettre, et des questions qui doivent être examinées afin de comprendre ces conduites criminelles.



Le célibat et l’homosexualité ont été mentionnés de façon répétées comme causes possibles de la pédophilie et/ou des abus sexuels sur des personnes des deux sexes, dont la confiance et la dépendance à l’égard d’un prêtre, en particulier, confèrent à celui-ci la possibilité d’en faire ses victimes.



Pourtant, il n’y a aucune preuve que le célibat, comme mode de vie choisi, induise cette sorte de comportement. Et un homme homosexuel n’est pas plus enclin – en fait, des études ont montré qu’il l’était beaucoup moins – à commettre de tels crimes, qu’un hétérosexuel. L’homosexualité est une condition sexuelle, une identité, qui va bien au-delà d’un comportement sexuel.

Mariage et femmes prêtres


La pédophilie est un crime dans lequel un adulte masculin ne peut contrôler son besoin pressant d’abuser d’un jeune garçon. De façon similaire, l’abus sexuel et/ou le viol de petites filles ou de femmes découle de l’incapacité d’un homme de contrôler son besoin furieux de domination et de contrôle sexuel. Aucune étude sérieuse n’a jamais révélé de lien d’aucune sorte entre l’homosexualité et de tels crimes.



Permettre à des prêtres masculins de se marier et à des femmes d’accéder à la prêtrise sont les deux autres éléments qui ont été invoqués dans le débat en cours. Le Pape a clairement réaffirmé que ces deux objets ne pouvaient être mis en discussion.



Permettre aux prêtres de se marier, voilà qui les humaniserait certainement en les rapprochant de la vie et des problèmes de la plupart de leurs paroissiens. Cela pourrait contribuer à moderniser l’Eglise catholique.



Je doute, cependant, que cela ait beaucoup d’effet sur le pourcentage des prêtres pédophiles. Permettre à des femmes d’accéder à la prêtrise contribuerait sans doute largement à briser le contrôle patriarcal absolu, que les hommes détiennent toujours dans la hiérarchie. Ceci dit, cela prendrait des décennies – peut-être plus longtemps qu’il ne reste à vivre à chacun-e de nous sur terre – pour conduire à un changement systémique de ce pouvoir patriarcal.

L’Eglise comme système

Le pouvoir patriarcal en tant que tel est à la racine des problèmes auxquels l’Eglise catholique, de même que de nombreux gouvernements, entreprises, institutions militaires et autres organisations sont confrontés aux Etats-Unis et dans le monde. Soyons clairs, je ne parle pas de foi, de croyance, de dévotion ou de communauté. Je parle de l’Eglise comme système, un système patriarcal.



Le silence et le secret ont toujours bien servi le patriarcat. Leurs moeurs, leurs modes de pensée et de comportement patriarcaux, amènent les cardinaux et les évêques à se protéger eux-mêmes. Des préjugés patriarcaux circulent dans les discussions sur le célibat et l’homosexualité, établissant un lien entre des choix sains et les conditions qui permettent des aberrations criminelles. Ce sont des valeurs patriarcales qui ont amené le Cardinal Bernard Law, de Boston, à négliger les plaintes d’une paroissienne concernée, pendant des années, tandis que le même prêtre continuait à abuser des jeunes garçons.



Tant que nous ne déciderons pas d’examiner longuement, attentivement et de façon approfondie comment le patriarcat opère dans notre monde, tant que nous n’envisagerons pas les relations de pouvoir que nous avons laissé dominer tous les aspects de la vie sociale, nous continuerons à bâtir sur une base viciée. Dans le problème de l’Eglise catholique aujourd’hui, il y autre chose que le célibat des prêtres, qu’ils le soient effectivement ou prétendent l’être.

Mettre en cause le patriarcat


Tout cela tourne autour d’une attitude – «les garçons doivent être des garçons» – qui encourage les hommes qui ne supportent pas de traiter des garçons, des filles et des femmes innocent-e-s comme des proies, de même que les hommes qui veillent sur eux/elles, à fermer les yeux, parce que ces criminels sont, après tout, leurs frères en privilèges patriarcaux.



Quoi qu’il advienne (ou pas) de la réunion de Rome, les gens, qui sont le véritable corps de l’Eglise, me semblent ne plus vouloir se soumettre à des lois qui conduisent leurs enfants et eux-mêmes à devenir des victimes. Il faut souhaiter qu’ils appellent au réexamen et au changement, dans une mesure qui puisse finalement affecter le patriarcat là où il réside.



* Margaret Randall est une militante féministe. Elle s’intéresse à l’interaction entre le personnel et le global dans nos vies. Parmi ses ouvrages: This is About Incest, Gathering Rage: The Failure of Twentieth Century Revolutions to Develop a Feminist Agenda (A propos de l’inceste, la colère monte: L’échec du XXe siècle à développer un agenda féministe), and Hunger’s Table: Women, Food & Politics (La table de la faim: Femmes, nourriture et politique). Cet article est extrait de Znet, 12 mai 1992. Traduction et intertitres de notre rédaction.