Des satellites pour surveiller les migrants et les migrantes





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Des satellites pour surveiller les migrants et les migrantes

L’Université des îles Canaries a présenté récemment, avec l’entreprise Spot Image, un projet pilote de surveillance, destiné à détecter les embarcations des réfugié-e-s et des migrant-e-s grâce à six satellites reliés par la technologie MariSS (Maritime Security Service). Des moyens de haute technologie qui vont très probablement renforcer l’emprise des passeurs.

Annoncé par le gouvernement espagnol, le recours aux satellites de surveillance était resté dans le flou. Maintenant, les choses se précisent, puisque l’on sait comment et qui va exercer cette surveillance. Spot Image et l’Université des Canaries ont déposé auprès du gouvernement régional et de l’Agence spatiale européenne (ESA) un projet de détection des petites embarcations, appelées «cayucos», qui se risquent à parcourir le long trajet (jusqu’à 1200 km) séparant les côtes d’Afrique des Canaries. Mais ni l’ESA, ni Spot Image n’en disent mot. Seul le journal El Pais, qui passe pour le porte-parole officieux du gouvernement social-démocrate espagnol, a livré des informations à ce propos.

Une surveillance totale

Les trois satellites français à haute résolution SPOT, avec images en stéréoscopie, travailleront en alternance, tous les trois jours, sur la zone maritime concernée; les informations seront ainsi quotidiennement rafraîchies. Une coopération avec le satellite taïwanais Formosat, de conception européenne, permettra d’agrandir la zone de surveillance. Mais comme il s’agit de systèmes simplement optiques, donc aveugles de nuit ou par temps couvert, les satellites radars canadien Radarsat et européen Asar/Envisat seront mis à contribution, livrant leurs données informatisées. Ils ne passent toutefois sur zone que tous les trois jours, mais «comme les cayucos naviguent en haute mer environ cinq jours, nous avons de bonne chance de les repérer avant qu’ils arrivent en Espagne» explique Antonio Ramos, professeur à la Faculté des sciences maritimes et co-initiateur du projet.

Ces satellites sont capables d’identifier à partir de 28 caractéristiques des objets en mer. Un «cayuco» habituel, d’une longueur de 20 mètres environ, occupe au moins huit pixels sur une image satellite. Ces bijoux technologiques peuvent ensuite reconnaître les barques à partir de données concernant leur envergure, leur symétrie, leur sillage, leur taille, leur vitesse et leur route. Les données saisies par la Guardia civil sur les systèmes de navigation GPS des embarcations séquestrées contribueront aussi à définir les routes de navigation. Une base de données des «cayucos» permettra d’indiquer précisément aux satellites ce qu’ils devront rechercher.

Sans risque d’erreur, on peut prévoir avec certitude que l’autre côté ne restera pas inactif. Jusqu’à maintenant, toutes les tentatives pour colmater la voie maritime ont toujours entraîné une adaptation, tout en rendant plus dangereuse la traversée. Après la mise sous protection électronique de la côte sud de l’Espagne (système Sive), les migrant-e-s africains ont tenté de passer par-dessus les grillages métalliques des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, au Maroc. L’Union européenne ayant fait pression sur le Maroc, qui mena une brutale répression, les Africain-e-s ont ensuite tenté de passer par la Mauritanie, avec les milliers de victimes que cela provoqua.

Poussés dans les bras des passeurs

L’évolution risque d’être la suivante: des bandes, jusqu’alors négligeables, de passeurs des côtes de la Mauritanie – et maintenant même du Sénégal, éloigné de près de 1200 km des Canaries – vont sentir le développement de ce nouveau marché. Jusqu’alors, les voyages en «cayuco» étaient surtout organisés par les 50 à 100 passagers eux-mêmes, d’autant plus que les pêcheurs mauritaniens et sénégalais cherchaient aussi à rejoindre la «Terre promise» européenne. La rumeur faisant étant de bateaux ravitailleurs des «cayucos» en haute mer n’a jamais pu être confirmée par la surveillance aérienne ou maritime.

Les démarches seront donc de plus en plus clandestines; les migrant-e-s, poussés dans les bras des passeurs, en dépendront totalement. Car les bandes de passeurs et de contrebandiers auront les moyens de mettre en place les infrastructures pour échapper à la surveillance.

Le trajet court, à partir du Sahara, sera réactivé par des filières secrètes. Depuis la Mauritanie et le Sénégal, des embarcations plus petites et plus rapides, plus difficile à détecter, seront utilisées. Les garde-côtes italiens en ont fait l’amère expérience lorsqu’ils se sont engagés contre les passeurs albanais.

Dans toutes ces variantes, le risque physique de la traversée augmente, comme du reste l’emprise complète des structures quasi-esclavagistes dans lesquelles se trouvent ensuite ceux et celles qui ont survécu à cette dangereuse navigation et doivent rembourser des années durant le prix du voyage. Un trajet dont le coût ne cessera d’augmenter. La criminalité organisée et le trafic des passeurs, censés être combattues par l’engagement de nouveaux moyens technologiques, ne feront ainsi que prospérer.

Nous savons aussi maintenant qui rentrera en possession des données recueillies par les satellites. A la couverture militaire espagnole des îles Canaries se joindront, à l’initiative de l’Agence européenne pour la gestion de la coordination opérationnelle aux frontières extérieures (Frontex), l’Autriche, la France, l’Italie, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, l’Allemagne et la Grèce. Ici, l’Europe se construit.

Ralf STRECK*

 

*Vorwärts, 9.6.06. Traduction et adaptation de la rédaction.