Lever les yeux au ciel





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Lever les yeux au ciel

En 1988, Adriano Sofri, ancien militant de l’organisation Lotta Continua, a été accusé par Leonardo Marino, un repenti, d’avoir commandité l’assassinat du commissaire Calabresi seize ans plus tôt. Après une dizaine de procès entachés d’irrégularités, d’incohérences et de manipulations, il fut condamné à 22 ans de prison avec deux de ses camarades, Ovidio Bompressi et Giorgio Pietrostefani. Le 1er juin dernier, le nouveau gouvernement italien a gracié Bompressi. Pietrostefani étant, lui, toujours en fuite. Quand il s’empare de cette histoire, qu’en fait le théâtre?

Adriano Sofri est enfermé dans la cellule n°1 de la prison de Pise. Pas très loin de là, son dénonciateur vend des crêpes. Au début tout est simple: Sofri d’un côté, nous de l’autre. Lui, durablement enfermé dans sa prison; nous, loin, ailleurs, désireux de le raconter, de le montrer, de l’interpréter – et d’en découdre avec l’injustice. Tout est simple donc: la réalité est circonscrite et le théâtre en rend compte. Les rôles étant répartis, les positions stabilisées, les distances clarifiées, le ciel étant dégagé, le spectacle peut commencer…

Hélas, le théâtre ne vit pas d’équilibre, le monde non plus, et leur face-à-face réglé a, depuis longtemps, laissé la place à un combat où tous les coups sont permis. Et Sofri n’arrange rien. L’emprisonnement ne l’a pas réduit au silence. Du fond de son trou, il ne cesse d’écrire, de publier, d’intervenir, de se montrer. Il parle de tout, de la prison, de la vie, de l’art, de la politique, toujours des autres. Il regarde le monde, le raconte et ne demande rien, ni faveur ni grâce. Pire, il remue, il bouge, prisonnier modèle, le voilà en semi-liberté. Puis il disparaît dans un hôpital, frôle la mort et se retrouve en convalescence quelque part en Toscane.

La réalité n’est décidément plus ce qu’elle était, la présence non plus, et le théâtre alors? Allez donc raconter une histoire sans fin, en évolution, en mouvement, essayez de vous colleter avec le vivant. Les relations entre la matière événementielle et la scène, l’image et l’acteur, le documentaire et la fiction, tout bouge, fuit, les certitudes fondent, les nuages s’accumulent et le théâtre prend l’eau. En réalité, si on peut dire, le jeu s’est renversé: ce n’est pas nous qui interrogeons Sofri, mais lui qui questionne le théâtre.

Face à l’absurdité d’une situation odieuse, et du plus lointain d’un horizon à tout jamais bouché, Adriano Sofri continue de se demander à quoi ressemblent les nuages. Et les comédiens, cul par-dessus tête, regardent le ciel et se demandent, comme chez Pasolini: che cosa sono le nuvole? Tragi-comique: une histoire de crêpes qui ne passe pas.

Rencontre proposée au public après le spectacle, samedi 29 juillet à 22 h 30: Le «cas Sofri» – rencontre autour de la genèse de la pièce avec Hervé Loichemol et Michel Beretti.

Joël FAIVRE

 

  • Lever les yeux au ciel, de Michel Beretti. Mise en scène d’Hervé Loichemol. Jeudi 27, samedi 29 et dimanche 30 juillet à 21h00. Théâtre de l’Orangerie, Parc de la Grange, Avenue William-Favre, Genève
  • Réservation renseignements: 076 470 77 04 et Service culturel Migros, http://www.theatre.orangerie.ch
  • Charles Heimberg a écrit dans le numéro 127 (ancienne série) de notre journal, un article intitulé «Affaire Sofri comme objet d’histoire», que vous pouvez retrouver sur notre site www.solidarites.ch