Migros oppose frontaliers et chômeurs: la droite applaudit des deux mains!
Migros oppose frontaliers et chômeurs: la droite applaudit des deux mains!
En mars à loccasion de la journée contre
le racisme le Bureau genevois de lintégration
lançait une campagne contre les discriminations à
lembauche, en proposant à des entreprises un «CV
anonyme», effaçant des dossiers de candidat-e-s à
lemploi: nationalité, sexe, âge, état civil,
adresse… Les employeurs ayant accepté
lexpérience sont les Services industriels de
Genève (SIG), la commune de Vernier et le plus gros employeur
privé genevois: Migros. Lexpérience a duré
trois mois, davril à juin.
Au final, bilan modeste. Pour les SIG, sur 12 engagements, 2 femmes ont
été prises pour des postes «masculins». Pour
4 postes ouverts, Vernier a engagé 2 «personnes
âgées» qui nauraient sans doute pas
été prises. Mais, cest avec Migros que
laffaire se corsera.
Opération marketing
Dans le magazine Bilan du 30 août, le responsable genevois des
ressources humaines du géant orange, admet dabord,
laspect «marketing» de lopération:
«Il ny a pas de mal à en faire un peu en
matière de ressources humaines», déclare-t-il
satisfait, pour admettre ensuite que, sur les 6 postes ouverts à
Migros Genève durant la période: «Nous avons tout
de même engagé deux frontaliers, des dossiers que nous
naurions pas retenus pour un entretien sils
navaient pas été anonymisés. Car Migros a
instauré un quota pour lembauche des frontaliers.»
Aveu du fait que la participation Migros à
lopération, non reconduite, relevait du coup de pub.
Revendication aussi dune politique de quotas qui fera du bruit.
La Tribune rebondit le 2 septembre, en titrant sur la participation de
Migros, par son «quota dengagement» de 10% de
frontaliers-ères, à la «lutte contre le
chômage». Le radical François Longchamp saluera
linitiative Migros en se félicitant du fait quelle
aurait compris: «que le taux de chômage de notre canton se
traduisait par une augmentation des dépenses publiques, et
donc… par la hausse des impôts de chacun, y compris des
sociétés.»
Un comble quant on sait que Longchamp fait partie dun Conseil
dEtat qui a entrepris de réduire massivement
lemploi dans le secteur public, à hauteur de 1500 ou 2000
postes et que Migros Genève, félicitée pour sa
«prise de conscience» à propos dimpôts,
réussissait, en 2005, à ne verser que la somme de 892 000
Fr. dimpôts fédéraux, cantonaux et
communaux, sur le bénéfice et le capital, soit moins
dun pour mille dun chiffre daffaires
dépassant le milliard.
Migros, le capital à… la sauce néolibérale
Le lendemain, la Tribune titrera «Le quota frontalier de Migros
emballe les partis de droite» et en effet, de la postulante PDC
à lexécutif de la Ville, Anne-Marie Von Arx, au
député radical ultralibéral Kunz ou à la
députée libérale Fabienne Gautier,
présidente de la Fédération du commerce genevois,
les louanges pleuvent: «entreprise citoyenne», initiative
exemplaire, etc. Jusquà la députée du PS
Véronique Purro, qui soppose aux quotas, mais
«salue le fait quune entreprise prenne en compte la
situation du chômage.»
Bref, Migros se trouve sacrée championne de la lutte
anti-chômage. A ce stade, quelques faits méritent
dêtre rappelés. Des chiffres dabord. De mai
à juin, Migros Genève admet avoir engagé… 6
personnes! Pour une entreprise de près de 4000
employé-e-s, nest-ce pas là lindication
dune politique… de destruction demplois. Procès
dintention? Ses comptes parlent, entre 2004 et 2005, les charges
salariales de Migros Genève ont baissé de plus de 5
millions, un «allègement» qui représente sans
doute une centaine de postes supprimés. Dailleurs,
à léchelle nationale, Migros se félicite
davoir occupé 1223 personnes de moins en 2005 quen
2004, évolution à «mettre sur le compte de
loptimisation des structures et des processus» comme elle
dit.
La même entreprise sest dailleurs illustrée
cet été par une série de décisions montrant
sa conformité parfaite avec les règles du jeu
néolibéral: signature dune CCT nationale dont
Unia, le syndicat majoritaire du secteur, a été exclu,
abandon de la production de produits en Suisse (dindes, beurre, etc.)
au grand dam des organisations paysannes. Début septembre, la
Banque Migros annonçait aussi des dizaines de suppressions
demplois, à Genève notamment, malgré des
bénéfices de centaines de millions… Sans revenir sur
les conditions de travail dans la production de certains produits
agricole commercialisés ici et produits par exemple dans la zone
de non-droits dEl Ejido en Andalousie…
Fausse piste contre vraie perspectives de gauche
Mais, de tout ça il na pas été question. En
agitant le spectre des frontaliers-ères, comme cause
«externe» du chômage et leur rejet comme voie pour y
remédier, on occulte totalement le fait que ce sont les
règles mêmes du fonctionnement des entreprises
capitalistes, axées sur la concurrence et le profit maximum qui
produisent le chômage. On occulte aussi les réponses
à apporter: diminution du temps de travail et de
lâge de la retraite, salaire minimum légal pour
lutter contre le dumping salarial, politique volontariste de
création demplois dutilité publique
financée par une fiscalité ponctionnant les gros
bénéfices et les très hauts revenus, interdiction
des licenciements dans les entreprises qui font des
bénéfices, imposition légale de quotas
dembauche de chômeurs-euses…
En outre, la logique discriminatoire du rejet des
frontaliers-ères est pernicieuse. En effet, si on
laccepte, pourquoi sarrêter en si «bon»
chemin, les nouveaux frontaliers-ères dabord, les anciens
ensuite, les sans-papiers, les étrangers-ères, les
femmes… on trouvera toujours une catégorie de
travailleurs-euses à désigner comme boucs
émissaires. Or cette piste-là sape les bases mêmes
de la solidarité des travailleurs-euses, qui est le rempart
essentiel à opposer au rouleau compresseur capitaliste.
Sur TV Léman bleu, le 5 septembre, Christian Grobet des
Indépendants, saluait linitiative «civique et
citoyenne» de Migros, au nom de la priorité consistant
à «donner un emploi aux personnes citoyens et
étrangers qui vivent à Genève.» Il a
exprimé sa vision en affirmant: «On a eu la paix sociale
en Suisse grâce aux quotas, ces quotas ont été
supprimés avec la liberté de circulation et lon
voit ce qui se passe aujourdhui…» Position
social-démocrate dantan, nostalgique de la
«régulation» traditionnelle du marché du
travail helvétique au service de la paix du travail, qui
nest pas la nôtre. Elle pose problème et appelle un
débat. «A gauche toute!» devra prendre une position
claire sur une question aussi importante afin de trouver ensemble des
réponses adéquates pour lutter contre le chômage en
renforçant lunité des travailleurs-euses, quel que
soit leur statut. Nous y reviendrons. (pv)