OMC: dette et migrations
OMC: dette et migrations
Depuis trente ans, limmigration est au cur des
débats des sociétés occidentales.
Lirruption massive des «sans papiers»
depuis dix ans sur la scène sociale apporte une nouvelle
réalité à ce débat; une
réalité plus humaine, celle dhommes et
de femmes (de plus en plus de femmes) qui choisissent de quitter leur
pays, pour des raisons de plus en plus complexes.
Mais les dernières années ont vu
également le traitement de limmigration passer du
cadre national au cadre européen, voire mondial, avec les
négociations au sein de lOMC sur lAGCS
(Accord général sur le commerce des services). Le
mode quatre de cet accord, concerne en effet le mouvement des personnes
physiques.
Il est donc utile de remettre en perspective les enjeux migratoires
pour le capitalisme contemporain, même si la direction et la
dimension des flux migratoires nont jamais
été réductibles aux seuls
impératifs de laccumulation du capital. La
globalisation «néolibérale»
en cours a redéfini également ces mouvements. Les
nouvelles politiques européennes vont dans le sens
dune «marchandisation» accrue de
limmigration.
Des flux migratoires mouvants
Le monde a toujours connu des flux migratoires. Le peuplement de la
planète en a été le premier exemple.
Soit. Ces migrations sont devenues internationales avec la
création des Etats-nations. Les décolonisations
du XXe siècle ont fait passer le nombre de nations
dune cinquantaine à plus de 200. Mais les grandes
vagues migratoires nont pas attendu cet
éclatement: sans parler de lesclavage, migration
forcée, les vagues se sont succédées:
diaspora chinoise depuis le XVIIIe siècle, peuplement du
«nouveau monde» (51 millions de personnes entre
1846 et 1939), colonisation, conflits mondiaux… Le nombre de
migrant-e-s sélève
aujourdhui à environ 150 millions de personnes
(résidant à létranger
depuis plus dun an), soit 2,5% de la population mondiale.
Chiffre quil faut dautant plus relativiser
quil inclut non seulement les migrations vers les pays du
Nord, mais aussi celles entre pays du Sud qui sont, de loin, les plus
importantes. Par exemple, la France «accueille» 3,2
millions de personnes étrangères, la
Côte dIvoire: 3,4 millions!1
Ces mouvements sont de plus en plus complexes: les politiques
dendiguement des pays du Nord,
léloignement des frontières (espace
Schengen, par exemple), la séparation de moins en moins
nette entre immigration économique et politique, les besoins
en main-duvre qualifiée au Nord…
tous ces phénomènes créent des
étapes de transit pour les migrants. La frontière
mexicaine, le détroit de Gibraltar, le détroit de
Malacca entre lIndonésie et la Malaisie sont
autant de goulets détranglement. Des pays comme
le Sénégal et le Maroc sont aujourdhui
pays dimmigration et démigration
à la fois.
Mais ce qui a fondamentalement basculé au cours du XXe
siècle, cest le sens global de ces flux: ils sont
essentiellement aujourdhui issus du Sud, vers le Nord ou
vers dautres pôles du Sud (pays
pétroliers en particulier). Lappauvrissement de
ces pays par les politiques dajustement structurel, par le
pillage de leurs ressources naturelles, par lendettement qui
permet de maintenir une domination issue de la colonisation, tous ces
phénomènes créent ces mouvements
dune minorité de la population pour
sen sortir. Dune minorité, car
rappelons que, hormis lors de vagues de
réfugié-e-s liées à des
conflits violents, ce nest pas nimporte qui qui
émigre. Un émigré subsaharien sur
trois possède un diplôme supérieur. Ce
sont les classes moyennes qui sont concernées, les plus
aptes à valoriser leur savoir, linguistiquement et
socialement. Doù
limbécillité dune formule
comme «la France [ou la Belgique, ou la Suisse] ne peut
accueillir toute la misère du monde». De plus,
désormais, la décision
démigrer est prise par le migrant-e
lui-même, souvent en accord avec sa famille, et non plus par
les entreprises du Nord. Sil y a des immigré-e-s,
cest malgré tout parce quil existe une
demande pour cette main-duvre, docile et
flexible. Et plus seulement dans les secteurs traditionnels comme la
construction, la restauration, lagriculture, le nettoyage
urbain… Aujourdhui, ce sont des secteurs comme la
santé ou linformatique qui sont
concernés.
Le reste des activités manufacturières ne va plus
chercher sa main-duvre au Sud, on
«délocalise» dès que son
coût est de 6 à 10 fois inférieur
à celui dun salarié-e
européen, de 1 à 3 pour les services
informatiques et comptables. Ce phénomène ne
touche pas lAfrique sub-saharienne où,
paradoxalement, la main-duvre est
chère, à faible productivité et les
«coûts de transaction»
considérables (à lexception de Maurice
et Madagascar).
Un enjeu pour le capitalisme
Mais alors si il y a dun côté une offre
importante et continue et de lautre une demande,
où est le «problème»? Le
«problème» est double:
adéquation de la main-duvre aux
besoins au Nord et problème politique. Les besoins en
main-duvre du capital sont mobiles: les
transnationales profitent de la libéralisation des
mouvements de capitaux, des investissements directs avec une
très grande fluidité. Les maquilas en
Amérique centrale sont un bon exemple. On
déménage lusine de montage de zone
franche en zone franche en fonction des conditions du moment. La
coïncidence entre besoins du capital et
main-duvre est donc rarement
réalisée. Enfin limmigration a pris
dans les pays du Nord une dimension politique avec la crise de
surproduction des années 70. On a vu se multiplier les
réformes législatives placées sous le
sceau de la méfiance et de la nécessaire
protection contre une immigration «subie»
supposée porteuse de multiples dangers (terrorisme,
déstabilisation des systèmes sociaux…).
Ces réformes successives ont un objectif quasi exclusif:
diminuer lattractivité du pays
daccueil par labaissement des droits des
migrant-e-s. La France, la Grande-Bretagne sont en pointe dans ce
contexte. Des pays comme le Maroc ou le Sénégal,
attirés habituellement par la France, pour des raisons
historiques et linguistiques, voient aujourdhui leurs
migrant-e-s préférer lEspagne,
lItalie ou les Etats-Unis.
Une logique de prédation
Et cest donc cette contradiction fondamentale que doivent
gérer les pays du Nord: leur besoin en
main-duvre, lié à une
natalité en baisse (doù
lattirance vers lEspagne et lItalie)
et cette fermeture pour raison politique (montée de
lextrême droite, contre-réformes
sociales…). La réponse en cours, lourde de dangers, est
celle de «limmigration choisie» en cours
dans tous les pays du Nord: Union européenne, mais y compris
la Suisse avec ses réformes actuelles de la loi sur les
étrangers (Letr) et sur lasile (Lasi)
entérinée par un référendum
le 24 septembre 2006. Il sagit de choisir ses
immigré-e-s, en fonction des besoins des entreprises locales
et des «talents» des demandeurs-euses. Le
«marché du travail international»,
«larmée industrielle de
réserve» mondiale: voilà le projet. La
marchandisation de la force de travail prend ainsi une nouvelle
dimension. Les projets actuels de lOMC y sont directement
liés. Nous assistons à ce quAntoine
Math, du Gisti, appelle une «logique de
prédation».
Reste à savoir si la contradiction entre besoins
économiques et xénophobie ambiante sera
levée par ces politiques.
Il nen demeure pas moins que ces politiques
«dendiguement» ont des
conséquences sur les libertés. Le
récent premier Forum social caribéen qui
sest tenu à la Martinique a vu sa participation
restreinte par les refus massifs de visas par la France.
Un mouvement social qui sort de lombre
Le mouvement des sans-papiers est dans ce contexte un des grains de
sable qui pourraient enrayer ce projet. Voilà des hommes et
des femmes qui bravent ces obstacles, au risque de leur vie souvent,
payent des passeurs pour arriver ici. Et dire: cest
à nous de choisir où nous voulons vivre.
Ils et elles nont plus rien à perdre: retourner
au pays, cest décevoir la famille qui les a
envoyés, se retrouver condamné(e)s à
un mariage forcé, à lexcision de leur
fille, à la répression, à la
misère. Les grèves de la faim entamées
par des dizaines de sans-papiers, les occupations en Belgique sont la
preuve de cette volonté de rester malgré tout.
Encore plus intéressant est la mise en réseau
international des structures de migrant-e-s du Sud (les
refoulé-e-s de Ceuta par exemple) et les associations du
Nord (collectifs de sans-papiers, soutiens locaux…). Après
le Forum de Bamako en janvier dernier, la conférence non
gouvernementale euro-africaine, réunie à Rabat
début juillet, a adopté un manifeste rappelant
lexigence première de la liberté de
circulation.
Lors du Forum social européen
dAthènes, il a été
décidé dorganiser une 3e
journée daction sur les migrations le 7 octobre
2006, en mémoire des évènements de
Ceuta et Melilla de 2005.
*Source: CADTM Collectif
pour lAnnulation de la Dette du Tiers Monde (www.cadtm.org)
1 Chiffre davant la crise
ivoirienne actuelle