Inde : suicides dans les champs de coton

Inde : suicides dans les champs de coton

En ces temps de mondialisation, les
petits paysans du Sud doivent faire face à deux «vagues
scélérates», qui en submergent une grande partie.
La première, c’est le choc de l’ouverture au
marché mondial et à ses prix, dont
l’équité n’est pas la caractéristique
première. La seconde, c’est le débarquement de
l’agrochimie et de ses produits dopants (engrais, pesticides,
OGM, etc.), qui stimulent surtout son chiffre d’affaires. Une
fois le calme revenu, il ne reste qu’à décompter
les victimes, en attendant la prochaine lame. L’Inde
dénombre ainsi dix mille paysans suicidés depuis 2001,
cent mille depuis 1993. Voici, concrètement, comment cela se
passe dans le Maharashtra indien, l’Etat où se
déroula le Forum social de Mumbay il y a deux ans.

A cause de la baisse des prix du coton, plus de 4000 petits producteurs
de coton se suicident chaque année en Inde, un pays dont les
deux tiers de la population tirent ses revenus de l’agriculture.
Dans le seul état du Maharashtra, qui abrite aussi la capitale
financière du pays, Bombay, 600 producteurs de coton ont mis fin
à leur vie cette dernière année, 60 pendant le
mois de juillet. L’ampleur de la tragédie est telle que
les députés de l’opposition, à grand renfort
de slogans tels que «tueurs de fermiers» ont réussi
à faire ajourner une session parlementaire, reprochant au
gouvernement d’être incapable d’endiguer la crise.

C’est dans cette ceinture de la zone de Vidharbha, située
au nord de la région du Maharashtra, à l’ouest de
l’Inde, que 3,2 millions de fermiers produisent 75% du coton.
Selon les organisations locales pas moins de 95% d’entre eux sont
criblés de dettes. «Ce n’est vraiment pas une bonne
idée d’être cultivateur dans cette région et
c’est presque suicidaire d’être producteur de
coton», se plaint un des chefs de la communauté paysanne
de Vidharbha.

L’OMC fait son marché

Incapables de faire face à l’importation de coton
étranger à bas prix, les petits exploitants se retrouvent
coincés. A cause de ses engagements auprès de
l’Organisation mondiale du commerce, le gouvernement a
annoncé en 2005 qu’il ne pouvait plus acheter le coton aux
fermiers locaux. Le Maharashtra était jusqu’à
l’année dernière le seul état du
sous-continent à garder le monopole sur l’achat du coton
à un prix stable.

Si la crise trouve ses origines en 1997, lorsque le gouvernement a
baissé les taxes sur l’importation du coton, ce qui
s’est accompagné des premiers suicides, la situation a
empiré à partir de 2004, lorsque les autorités
locales ont fait la promotion d’une «graine miracle».
Beaucoup plus chère à l’achat, celle-ci
était soi-disant résistante aux ravageurs du cotonnier,
nécessitant quatre fois moins de pesticide qu’une graine
classique.

Nombre de petits producteurs se sont jetés sur ce qu’ils
ont cru la solution miracle pour augmenter leurs rendements. Mais
à la fin de l’année dernière, force a
été de constater que la plupart des plantations ne
résistent pas aux parasites, la mousson arrivée au
mauvais moment suffisant à balayer tout espoir de bonne
récolte. L’augmentation du prix des graines et des
fertilisants aggrave la situation économique des paysans, qui
doivent contracter de nouvelles dettes auprès de bailleurs de
fonds locaux à des taux exorbitants, jusqu’à 25%
parfois.

Une étude menée par l’état du Maharashtra
montre que les paysans suicidés avaient une dette moyenne de
3000 euros, soit près de quatre fois plus qu’un fermier en
activité. Un producteur du Maharashtra réussit à
mettre de côté en moyenne 100 euros par an, une
épargne déjà bien faible pour faire vivre une
famille de cinq personnes.

Pour tenter de résoudre le problème, les autorités
du Maharashtra ont tenté de pousser les agriculteurs vers la
culture de la canne à sucre, gourmande en eau. Sans
succès, la région du Vidharbha est
régulièrement frappée par les périodes de
sécheresse. Début juillet, la Haute Cour de justice de
Bombay a demandé au gouvernement central de lancer un site
internet pour répertorier les différentes mesures
d’aide aux fermiers et pour dresser la liste des
bénéficiaires.

Si, début juillet, Manmohan Singh a débloqué une
aide de 835 millions de dollars, le ministre en chef de
l’état du Maharashtra, Vilasrao Deshmukh, a reconnu le
mois dernier que le gouvernement n’avait pas de solution au
problème des cultivateurs. En outre, le malaise agraire ne
concerne pas uniquement le Maharashtra mais aussi les états de
l’Andhra Pradesh et du Kerala, affectés par la
sécheresse, les aléas de la mousson et de mauvais usages
des fertilisants qui ont appauvri le sol. En l’espace de neuf
ans, plus de 25 000 fermiers se seraient empoisonnés en Inde
avec ces mêmes pesticides censés traiter leurs
récoltes.

Marie PERRUCHET



(www.europe-solidaire.org)


Les fausses promesses de Monsanto

Selon les enquêtes menées sur place par des organisations
indiennes, le rendement du coton Bt, produit par la multinationale
Monsanto, va de 65 à 105% de celui du coton non
transgénique. En conditions optimales, les hausses de rendement
du Bt ont été négligeables. En situation de
sécheresse, les rendements de coton Bt ont été
bien inférieurs à ceux de la variété non
transgénique. Les bénéfices, lorsqu’il y en
a eu, étaient plus importants pour les grands exploitants, et en
baisse pour les petites et moyennes exploitations.

Le coton Bt n’a pas fait disparaître les problèmes
d’insectes; l’utilisation des pesticides n’a pas
diminué de façon notable. Malheureusement, les
agriculteurs qui ont cultivé du coton Bt ont eu davantage
d’infestations d’insectes ravageurs suceurs et ont
utilisé plus de produits pour les détruire.

Sur le plan financier, le coton Bt n’a pas été la
réussite prévue. Les agriculteurs qui ont planté
le Bt ont payé leurs semences trois fois plus cher que
d’ordinaire, et le Bt exige un apport plus grand en fertilisants.
L’une des difficultés associées au Bt est sa plus
grande vulnérabilité en conditions rigoureuses:
sécheresse, pauvreté du sol, insectes autres que ceux que
cible le Bt, maladies.

D’après
Jennifer BROMM, assistante à la recherche au Centre
d’agriculture biologique du Canada (CABC):
www.organicagcentre.ca.