Le Lieu commun expérience daction collective
Le Lieu commun expérience daction collective
En mai 2003, durant les deux
semaines précédant le G8, au Parc des Bastions, je me
rappelais avoir vécu des moments de partage idéaux. Par
exemple, nous, les anciennes MLF, avions été
invitées pour discuter sur le thème du «puritanisme
des féministes». Assises en rond sur lherbe, nous
débattions avec des jeunes, hommes y compris.
Cétait une très jeune femme qui dirigeait le
débat, elle passait la parole alternativement à une femme
et à un homme, jamais deux hommes ne parlaient lun
après lautre. Chaque personne prenait le temps de
sexprimer à fond, les gens sécoutaient
calmement, ne sarrachaient pas la parole. Lanimatrice
avait réussi à créer un climat de respect et de
confiance réciproques remarquables. Après le débat
officiel, nous continuions à dialoguer, à faire
connaissance.
Dautres jours, des anciens délinquants avaient
raconté leur vie en prison, des femmes mexicaines leurs luttes
pour la dignité. A dautres moments, je regardais des
animations pour enfants, des artistes créer des masques, des
gens préparer des repas en commun. Ces souvenirs de partage
étaient tellement forts que durant des mois, je nai pu
retraverser le Parc des Bastions sans chercher de lil et
espérer retrouver la roulotte de léquipe
danimation.
Issu de luttes ancestrales
Trois ans plus tard, à mon grand bonheur, je découvre que
cette expérience a été analysée et
théorisée dans leur travail de diplôme par deux
étudiant-e-s de lInstitut détudes sociales.
De plus, Sébastien Cramer et Armande von Wyss avaient
eux-mêmes participé activement à lanimation
du Lieu commun.
Dans leur réflexion approfondie sur cette première
expérience danimation, les jeunes
diplômé-e-s ont trouvé lélan pour se
lancer avec enthousiasme dans leur vie professionnelle.
Ils se sont même ouvert des perspectives de travail social
institutionnalisé, en sinspirant des trois grands axes du
Lieu commun: 1) le plaisir, dans la spontanéité, la
convivialité, la fête; 2) linvestissement de
territoires éphémères, espaces de liberté
où lon ne sétablit pas; et 3) la
reconnaissance mutuelle, en bref, lestime réciproque qui
se développe dans les liens affectifs.
Léquipe initiatrice du Lieu commun, un groupe
détudiant-e-s en sciences sociales et en lettres, a
construit cette expérience dans une logique communautaire et de
mise en commun, qui fait référence au concept anglais de
«commons», à limage de ces paysans qui ont
fait sauter barrières et clôtures imposées par les
seigneurs. En français, on pourrait utiliser le vieux terme les
biens communaux. Il nous rappelle quau Moyen-Age, la
moitié des terres étaient communales. Ainsi, les luttes
ancestrales contre la parcellisation et la propriété
privée sont relayées par les luttes actuelles contre la
privatisation des biens communs, ou pour la re-communalisation des
biens (squats, jardins communautaires, occupations dusines). Ces
étudiant-e-s ne parvenaient pas à sidentifier aux
structures organisées politiquement pour contrer le G8 et
cherchaient un espace de rencontre ouvert et convivial, pour
sensibiliser les gens non politisés. Lesprit du Lieu
commun na jamais été dentrer dans une
logique daffrontement, il est resté un lieu politique
étrange, nexistant pas pour recruter, appeler à
voter ou à signer une pétition. Il na pas de
revendication hors de pouvoir être ce quil est: un exemple
concret de commun. Il na rien à vendre.
Moment de grâce
Dans leur travail de diplôme Sébastien Cramer et Armande
von Wyss ont développé tout le cadre théorique des
sources dinspiration: linformation conscientisante (Paolo
Freire), lorganisation participante (Gérard Mendel) et la
créativité résistante (Michel Benasayag). Ils ont
interviewé huit membres du groupe des Communs pour mieux cerner
la pensée, laction et les fruits de laction des
initiateurs et initiatrices de ce moment de grâce horizontale.
Il y a plein de pistes à creuser à partir de ce travail,
afin de rechercher des modes de fonctionnement cohérents avec
lidéal quun autre monde est possible.
Il ne faut absolument pas que les traces de cette expérience du
Lieu commun restent dans les hauts murs dune bibliothèque
publique ou entre les mains de ceux qui lont vécue, mais
quelles soient répercutées. Invitons
durgence Armande et Sébastien, ainsi que leurs camarades,
à venir en débattre avec les militant-e-s de
solidaritéS!
Le lieu commun, un exemple démancipation par laction collective,
travail effectué dans le cadre de la formation ESTS,
présenté par Sébastien Cramer et Armande von Wyss,
FTP01, Genève juillet 2006.
Lesprit des communs
Les communs sont partie prenante de lécosystème
local complexe des Bastions, comprenant, entre autres, agents
municipaux, profs duni, hérissons, cèdres du
Liban, techniciens de surface, praticiens de la rue des Granges,
poissons rouges, protozoaires, mégaphones
réformateurs, amoureux des bancs publics
Pour que ce Parc reste le Bastion des communs, il sagit
quaucun élément ne prenne le dessus sur les
autres, et dans ce sens, sexisme, racisme, patriarcat et relations
marchandes sont exclus de fait.