Les leçons de lexpérience écossaise
Les leçons de lexpérience écossaise
1ère partie publiée dans solidaritéS N° 119
A gauche du New Labour de Blair, le Parti Socialiste écossais (SSP). Un exemple pour la refondation dun authentique mouvement socialiste international ?
La création du Parti socialiste écossais (SSP) découlait dune compréhension de la nécessité doccuper lespace laissé vide par la lembourgeoisement du Parti travailliste. Il y avait une urgence particulière à cause de lexistence du Parti national écossais (SNP), lequel commençait à occuper cet espace. Mais cet espace existe aussi dans dautres pays.
Dans les pays capitalistes avancés, les anciens partis ouvriers de masse ont abandonné la défense des intérêts immédiats de la classe ouvrière et dirigent directement loffensive contre les acquis ouvriers. Ces partis ont également abandonné toute perspective de transformation socialiste de la société, au contraire, ils se font les apôtres de lidéologie du marché. Cest notre point de départ. Nous devons regrouper tous ceux qui refusent daccepter quil ny ait pas dalternative au capitalisme et qui sont prêts à se battre pour la réhabilitation des idées du socialisme. Dans la période actuelle, cest là que se dessine la ligne de clivage comme base de regroupements et de la création de nouveaux partis.
Reconstruction des partis socialistes de classe
Ce que nous disons nous semble être valable pour les pays capitalistes avancés avec une tradition de partis de masse sociaux-démocrates et staliniens, essentiellement en Europe. Là où il ny a jamais eu de parti ouvrier de masse, comme aux Etats-Unis, établir un tel parti sur nimporte quelles bases représenterait un pas en avant. En Europe, ce serait un pas en arrière à léchelle historique. Est-ce quun tel pas en arrière est inévitable? Nous intervenons dans un cadre politique où à léchelle internationale, le socialisme nest plus une référence automatique pour des millions de gens, comme cétait le cas avant. Mais ce nest pas pour autant quun siècle de développement politique de la classe ouvrière a été effacé dun seul trait. Lembourgeoisement de la social-démocratie, leffondrement du stalinisme et la désintégration des courants réformistes de gauche ont affaibli temporairement le mouvement ouvrier, mais ont aussi levé des obstacles de taille à la création de véritables partis socialistes de masse.
Il ne suffit pas de dire que nous sommes en général pour la création de nouveaux partis ouvriers et que nous y participerons. Nous devons dire que la construction de partis ouvriers sur un programme socialiste est la tâche stratégique clef des révolutionnaires dans la période actuelle et que nous nous battrons pour établir et construire de tels partis en leur donnant le programme politique le plus avancé possible dans les circonstances concrètes daujourdhui.
Méthode de construction commandée par un objectif stratégique
La plupart des forces pour construire de nouveaux partis viendra de la nouvelle génération. Pourtant, pour établir des partis capables dattirer les travailleurs et les jeunes il peut être nécessaire de travailler avec des forces politiques existantes. Celles-ci incluront des éléments et des courants venant de lex-social-démocratie, des anciens partis staliniens, des trotskistes, des syndicalistes, des nationalistes de gauche et des forces venant des alliances rouges-vertes.
Il serait pourtant faux de dire que, parce que la création de nouveaux partis des travailleurs est la tâche clef, nous devrions simplement nous dissoudre dans ces partis. Mais poser comme pré-condition que ces partis adoptent tout le programme historique du marxisme relèverait de la folie sectaire. Tout le problème est de savoir comment faire intégrer par ces partis les leçons de 150 ans dhistoire du marxisme. Nous devons défendre notre programme patiemment, sans forcer le rythme, ni de la lutte des classes ni du développement des partis.
La politique du SSP est duvrer à lémergence dune alliance internationale de partis socialistes.1 Cet objectif sappuie sur la réalité de lapparition de nouvelles formations dans une série de pays. Il serait prématuré de chercher à lancer une alliance formelle aujourdhui. Le processus est inégal, plus avancé dans certains pays que dans dautres. Mais il a déjà été possible détablir des liens avec les nouvelles forces qui émergent en Europe. Le SSP a participé a une rencontre à Lisbonne, en mars dernier, à linvitation du bloc de gauche portugais. Cette organisation a été créée en janvier 1999 à linitiative du PSR (section de la IV Internationale Secrétariat unifié) de lUDP (organisation ex-maoïste) et de Politica XXI, regroupant des intellectuels venants pour lessentiel du PC. Très rapidement, ses effectifs ont largement dépassé la somme de ses organisations constitutives et le Bloc a obtenu deux députés aux législatives doctobre 1999. La plupart des autres organisations présentes à cette rencontre sont aussi nées de la convergence de forces dorigines diverses et ont réussi à attirer des forces plus larges. De Norvège, il y avait lAlliance électorale rouge, à lorigine le front électoral dun parti maoïste, mais qui sest transformée en formation plus large en souvrant vers dautres courants socialistes. Du Danemark, il y avait lAlliance rouge et verte, créée en 1989 par la convergence de trotskistes, dun secteur du PC, dun courant social-démocrate de gauche et dun courant vert. De Turquie il y avait le Parti de la liberté et de la solidarité (ODP) créé en 1996, fort de 30 000 adhérents et qui est né dun regroupement comprenant des organisations guévaristes, des secteurs des anciens partis pro-Moscou, des trotskistes et dautres. Il y avait aussi des courants venus de lEtat espagnol et la LCR français.
Aider à la construction dune alliance socialiste internationale
Le contexte global est celui où la classe ouvrière dEurope occidentale a été la cible depuis plus de vingt ans dune offensive capitaliste de grande envergure visant à lui reprendre tous les acquis obtenus dans la période de laprès-guerre. Cette offensive a été accompagnée dune offensive idéologique vantant la soi-disant supériorité, de léconomie de marché. Depuis leffondrement de lUnion soviétique, cela a été renforcé par tout un discours sur léchec du socialisme, menant à la conclusion que le capitalisme est le seul système qui tient la route, quon peut le bricoler mais pas le réformer sérieusement et certainement pas le remettre en question car il ny a pas dalternative. Il faut garder en tête ce contexte dune offensive capitaliste soutenue et prolongée, car elle a eu des effets profonds sur les organisations et sur la conscience de la classe ouvrière, et cest dans ce cadre que se déroule la recomposition actuelle du mouvement ouvrier.
Il importe de souligner que loffensive contre la classe ouvrière a été portée dès le début par des gouvernements non seulement de droite mais aussi de gauche Commençons par la social-démocratie. Pendant plusieurs décennies après 1945, le rôle de la social-démocratie a été de défendre un ordre capitaliste dans lequel la classe ouvrière avait obtenu des acquis par rapport à la période précédente. La social-démocratie était associée à la défense de ce quon a appelé le consensus daprès-guerre, établi dans une situation après 1945 où le rapport des forces était favorable à la classe ouvrière et où les capitalistes craignaient vraiment la révolution dans plusieurs pays dEurope.
Le rôle anti-ouvrier des partis historiques de la gauche
Mais depuis les années 70, le message du capital a été clair – la période des concessions est terminée, nous nen avons plus les moyens, en plus nous avons besoin de reprendre ce que nous avons été obligés de vous accorder avant. Dans cette situation les réformistes avaient un choix : soit sappuyer sur les travailleurs pour défendre les acquis, soit obéir aux ordres de leurs maîtres capitalistes. Unanimement, ils ont fait ce deuxième choix. Toute illusion qui aurait pu exister selon laquelle ces partis avaient en quelque sorte une double nature, quils étaient suspendus quelque part entre la classe ouvrière et la bourgeoisie, devrait être dissipée.
Non seulement ces partis ne se sont montrés daucune utilité pour défendre la classe ouvrière, mais ils se sont même avérés être des instruments pour sattaquer à elle. Et nulle part on na assisté à une scission de gauche significative en réaction contre ce processus. Voilà ce qui nous amène à la conclusion que ces partis sont finis comme outils potentiels pour la défense de la classe ouvrière. Ce serait également une illusion de croire que sous la pression, ces partis pourraient mener une autre politique, conforme aux intérêts des travailleurs et des opprimés. Ils plieront et reculeront sous la pression de la résistance ouvrière, comme nimporte quel gouvernement bourgeois. Mais quand la pression retombe, ils repartent à lattaque car telle est leur fonction.
Les anciens partis communistes ont une marge de manuvre très réduite. Malgré leur autonomie croissante à légard de Moscou dans les années 60 et 70, une grande partie de leur identité découlait de leurs liens avec lUnion soviétique. Coupés de leur source, il leur reste peu de choix. Soit devenir un partenaire subordonné des partis socialistes dominants, soit camper dans une opposition stérile, soit être partie prenante du processus de formation de nouveaux partis des travailleurs. Cest uniquement en Italie que lon a vu un parti, le PRC (Rifondazione), connaître ce type dévolution, non sans dénormes difficultés et sans quune issue positive soit encore certaine.
En laissant de côté le PRC, dont lévolution politique nest pas garantie, mais qui a évolué vers la gauche et se situe en opposition au gouvernement de centre gauche, et avec peut-être un point dinterrogation sur le PDS en Allemagne, les partis communistes qui restent ne seront pas les forces motrices de nouveaux partis. Ce nest pas un accident. Bien que ces partis aient eu dans leurs rangs de nombreux militants et cadres qui croyaient sincèrement à la nécessité dune transformation socialiste de la société, ils avaient cessé depuis longtemps dêtre les partis révolutionnaires quils prétendaient être. Des décennies de collaboration de classe ne constituent pas une bonne préparation pour une politique de classe indépendante. …Suite et fin dans notre prochain numéro.
* Militant du Parti socialiste écossais (SSP)
1 «Socialiste» doit-être compris ici – et en général dans larticle de Murray Smith – en fonction du sens quil a conservé dans le mouvement ouvrier britannique, et qui est différent de celui communément admis en France : est «socialiste» le militant ou lorganisation qui, sans être nécessairement marxiste révolutionnaire, lutte contre le capitalisme et pour le socialisme.