Libre opinion Palestine: les faux amis
Libre opinion Palestine
Les faux amis
La grammaire intitule ainsi les mots dont la ressemblance
avec ceux dune autre langue suggère une
signification fausse. Par exemple le français «beurre»
ne traduit pas lespagnol «burro», qui signifie âne.
Litalien, plus crâne, résume: «traduttore, traditore». Il
est bien temps que la réflexion politique sapplique à
nouveau cette vieille règle de la pensée critique qui consiste
à vérifier la signification des appels à laction.
Ecouter ses émotions,
est-ce bien suffisant ?
Le PSG, les différentes composantes de lADG et donc
solidaritéS, des organisations de défense des droits de
lhomme, des organisations palestiniennes, aghrébines
ou arabes, ou plus généralement concernées par cette
région, mais également des organisations de défense
des droits de lhomme de Genève ou de France voisine,
mais également la LCR 74, bref 26 organisations ont
appelé à manifester le 12 janvier à Genève sous lintitulé
suivant «Palestine. Pour le droit universel à une vie
humaine et digne. Ne restons pas passifs.
Manifestation».
A première lecture, et dans le contexte actuel où le
droits du peuple palestinien, de ses autorités
internationalement reconnues comme les droits
personnels de nombre de Palestinien-ne-s, sont
lobjet de violences sans précédent, lappel à manifester
va de soi. Dans de telles conditions, je veux croire que
nombre de signataires nont pas jugé utile de lui consacrer
une seconde lecture.
«Palestine». Laquelle? Celle de la puissance mandataire?
Celle de 1948? Celle de 1967? Le contenu du
tract, au fil de ses paragraphes et comme dans un kaléidoscope,
les suggère et les mélange toutes dans un
texte dont le contenu fortement émotionnel ninvite pas
à la réflexion.
Cette seconde lecture, je lai faite. Et pour trouver quoi?
Une révision antisioniste de lhistoire
La confusion du tract sur lidentité palestinienne
nexplique pas la réalité que nous combattons, la négation
effective par le gouvernement israélien de lexistence
de la Palestine. Elle exprime le refus de reconnaître
Israël. Ce refus-là, je le combats avec la même
énergie que je mets à revendiquer la reconnaissance de
lEtat palestinien.
Procès dintention? Retournons au texte. Pour
condamner la politique israélienne, ce texte choisit de
la réduire à trois dates clés qui rendraient compte
dun phénomène constant et linéaire:
- la signature des accords dOslo en 1993 (curieusement intitulée «processus dOslo»),
- «plus de 50 ans de douleur et dhumiliation» (pourquoi 1952, ou plutôt avant 1952? En quoi cette date rend-elle compte dun tournant dans la situation?)
- Loppression des Palestiniens par lEtat dIsraël avec lappui de lOccident est antérieure à la création de lEtat dIsraël (de combien, de 3 ans? et à cette époque lAngleterre mandataire ne combattait-elle pas les armes à la main limmigration juive? ou de plus de 3 ans?)
qui tend la main au bon vieil
antisémitisme!
Il nest pas insignifiant, ce refus de prendre en compte
lhistoire réelle de laffrontement entre Israël et les
Palestiniens. Ce «conflit» est en fait la superposition
de deux conflits, le conflit entre deux peuples victimes
de lhistoire dune part, et dautre part le rôle que leur
font jouer dans leur affrontement limpérialisme
essentiellement américain et les classes ou castes
dominantes arabes.
Il nest pas indifférent dignorer les circonstances de
lassassinat de Yitzhak Rabin sous les coups de
lextrême droite israélienne lorsque ce premier ministre
marchait vers une paix historique avec les Palestiniens !
Il nest pas insignifiant doublier de rappeler que larrivée
au pouvoir du fossoyeur dOslo, Benjamin Netanyahu,
est largement due aux attentats terroristes du Hamas au
cours de la campagne électorale qui suivit lassassinat
de Rabin.
Comment qualifier un texte qui ignorerait la Shoah en la
noyant dans la brume dun récit de lhistoire? Qui inventerait
un soutien occidental antérieur à la création de
lEtat dIsraël? Voilà comment : un tel texte serait
antisémite.
Il nest peut-être pas inutile de rappeler ici que, de 1933
à 1941, Hitler préparait ouvertement et dans
lindifférence de lOccident lanéantissement du
judaïsme européen, quil mettait ce programme en
uvre au cours des années 1941 à 1945, et que de
1945 à la création de lEtat dIsraël lAngleterre, les
armes à la main, combattait limmigration en
Palestine des survivants dAuschwitz et dailleurs.
Faut-il connaître lhistoire pour
se solidariser avec les Palestiniens?
Certes, lhistoire juive et palestinienne est tragique et
difficile à résumer en un tract. Le choix de se lancer,
dans de telles circonstances, dans un récit de
lhistoire plutôt que de chercher à mobiliser pour le
cessez-le-feu immédiat, est évidemment intentionnel.
Dans le premier cas, on fait appel à une opinion
légitimement émue par la violence pour lendoctriner.
Dans le second, on pouvait en revanche essayer de
rassembler le plus grand nombre de personnes de
bonne volonté pour tenter, lucidement, de développer
le bon sens qui veut que les problèmes politiques qui
déchirent cette région ne trouveront de solution que
politique. Et que la politique a besoin du cessez-le-feu
pour se développer. Comment espérer sous la
mitraille tisser les indispensables liens entre travailleurs
israéliens et travailleurs palestiniens?
Une tâche prioritaire de la gauche:
combattre le racisme et lantisémitisme
Cette trop courte contribution naborde que marginalement
le fond dun débat nécessaire: comment
contribuer au cessez-le-feu dans cette région du
monde? Avant dêtre en mesure de lentamer, il était
prioritaire de dénoncer un appel de gauche aux relents
antisémites qui est parvenu à mobiliser la gauche
genevoise, et au-delà.
Karl GRÜNBERG
Secrétaire Général dAcor Sos Racisme