Le Plan Colombie au quotidien
Le Plan Colombie au quotidien
Témoin au procès des occupants de la Citibank à Genève, le 15 janvier dernier, la syndicaliste latino-américaine décrit la vie quotidienne des opprimé-e-s à lheure du Plan Colombie. Derrière la violence des paramilitaires, elle dénonce la responsabilité des multinationales.
Belen TORRES*
La Colombie abrite pas moins de 86 cultures indigènes et afro-américaines différentes. Au long dune dure résistance de plus de 300 ans, les peuples afro-colombiens ont construit leurs propres communautés sur les côtes de lAtlantique et du Pacifique. Cette dernière est actuellement le théâtre de lhorreur: les paramilitaires y commettent des massacres en série, avec comme objectif lexpulsion des populations noires (90%) et indigènes(10%).
Indigène et Afro-américains visés
Dans cette région, le capital transnational a de grands projets dexploitation et cest précisément la diversité culturelle des communautés, organisées en Conseils communautaires et municipaux, qui constitue le principal obstacle à la liberté dinvestissement étranger. Un exemple: sur le fleuve Yurumangui, le 23 mai 2000, le gouvernement national a octroyé 54000 hectares aux 4000 personnes qui luttaient depuis 12 ans pour la légalisation de la propriété collective. Ce titre de propriété constitue désormais un obstacle au développement des projets transnationaux.
Ainsi, le 27 avril 2001, après avoir massacré 150 personnes aux sources du fleuve Naya, des paramilitaires ont pénétré dans le hameau dEl Firme, où ils ont découpé à la hache sept membres du Conseil Communautaire, provoquant le déplacement de 1050 personnes. (…) Cette région recèle des gisements pétrolifères et miniers, ainsi que des projets de voies de communication considérés comme primordiaux [canal reliant les deux océans, ndr.] (…).
Le Plan Colombie cest la guerre
En Colombie, tous les éléments du futur de lAmérique Latine sont en jeu: cest ici que la géopolitique des multinationales se redéfinit. Dans les années 50, la mise en place de projets pétroliers et agro-industriels avait déjà coûté la vie à plus de 300 000 personnes et occasionné plus de 2 millions de déplacé-e-s dorigine rurale. La guerre a toujours été le meilleur moyen den finir avec les populations «inutiles», «en trop» (…). Les formes de vie communautaires sopposent en effet à la compétition irrationnelle du capital. (…) Cest sans doute notre plus grande malchance à nous, communautés paysannes, afro-colombiennes et indigènes, dhabiter sur des territoires extrêmement riches en ressources naturelles et minérales.
Avec le Plan Colombie, on cherche a imposer par la guerre les mesures dajustement structurel permettant la mise en place de méga projets transnationaux. (…) Il marque une nouvelle étape de lintervention militaire des Etats Unis dans notre pays. En sattaquant aux communautés rurales, afro-colombiennes et indigènes, il détruit le tissu social – tout en épargnant les organisations de narco-traficants. Il a servi dexemple pour toute lAmérique centrale, à travers le Plan Puebla-Panama. (…)
Le Plan Colombie est le fer de lance du nouveau projet hégémonique des Etats Unis dans la région: la création dune zone de libre échange de toute lAmérique, lALCA, qui est en réalité un plan dannexion, par le biais du commerce, de lAmérique Latine par lAmérique du Nord.
Les dollars de la terreur
Les Etats Unis estiment à 400000 le nombre de personnes déplacées par la première phase du Plan Colombie, vu lintensification de la guerre au sud du pays. Le coût du conflit sélève à 7558 millions de dollars, financés à 48,5% par des ressources de lEtat colombien, à 46,6% par la communauté internationale, et à 4,9% par le crédit. Les Etats-Unis apportent 1,3 milliard de dollars en matériel de guerre. La zone pilote du plan est dun grand intérêt stratégique:
- Site de plusieurs gisements pétroliers.
- Porte dentrée contrôlant lAmazonie, avec sa biodiversité et ses innombrables ressources naturelles de première importance pour la planète.
- Jonction du projet dinterconnexion fluviale dAmé-rique du Sud avec le réseau routier planifié pour accéder à la zone forestière amazonienne.
- Zone frontière avec lEquateur, pays pétrolier en crise, où les Etats Unis ont transféré une partie des installations militaires qui opéraient au Panama.
Chasse gardée des multinationales
La priorité donnée à linvestissement étranger, en particulier à lindustrie pétrolière, a été de fait exigée par le biais dun amendement au Plan Colombie. Ce dernier représente aussi une grosse affaire darmement et déquipement militaire pour les entreprises nord-américaines. Les firmes états-uniennes Bell et United Technologies (dont la Citybank est le principal investisseur) se disputent la fourniture dhélicoptères.
Pour sa part, lUnion Européenne a exprimé son rejet du Plan Colombie et son soutien à la paix et aux Droits de lHomme. Mais ses actions démontrent le contraire. (…) En effet, les multinationales européennes sapproprient des secteurs comme lélectricité, les communications, leau, la terre, les ressources naturelles et minières. Par exemple, la société financière espagnole Union Fenosa est propriétaire des compagnies délectricité de Bogota et a encore racheté 15 entreprises de services publics étatiques; curieusement, ces investissements ont été précédés par une intense répression anti-syndicale (…).
Les banques espagnoles Santander et BBVA sapproprient de la même façon des banques nationales, des hôpitaux publics et des entreprises de télécommunications, suite à des privatisations scandaleuses. La Compagnie espagnole des Pétroles CEPSA (dont ELF en France détient 36,5% du capital), effectue des explorations dans le Catatumbo et les municipalités de Cordoba et Zambrano (département de Bolivar). La multinationale espagnole Repsol opère quant à elle dans le territoire indigène Uwa, région de conflits aigus opposant des paysans à la violence paramilitaire. (…)
Autorités colombiennes complices
Les entreprises transnationales ont des intérêts sur lensemble du territoire colombien. Les firmes canadiennes et nord-américaines, telles la Corona Goldfields et Conquistador Mines, cherchent à sapproprier les mines dor les plus importantes dAmérique, situées au sud du département de Bolivar, par le biais dune étroite collaboration avec le gouvernement national qui garantit la privatisation de lentreprise nationale des mines, le contrôle territorial par des groupes paramilitaires responsables du massacre de plus de 700 personnes et le déplacement forcé de plus de 20000 petits paysans-mineurs afro-colombiens. Des lois sont édictées, qui libéralisent linvestissement «honorable» dans une régions semée de fosses communes et de disparus.
En construisant le barrage Urra1, la multinationale suédoise Skanska a inondé et déplacé le peuple indigène Embera Katio, détruisant la pêche et provoquant des dommages écologiques irréparables pour obtenir limportant marché de la production et de la distribution dénergie. La forte résistance pacifique du peuple Embera Katio à ce projet a coûté la vie à dix de ses leaders, membres dautorités traditionnelles et dirigeants syndicaux dentreprises électriques publiques en voie de privatisation.
Partout la même odeur de pétrole
Dans lEst de la Colombie, la multinationale pétrolière BP-Amoco produit quotidiennement plus de 500 000 barrils, protégée par 2000 soldats. Elle est accusée par diverses organisations des Droits de lHomme dagir en complicité avec des groupes paramilitaires. Cette exploitation a nécessité lexpropriation de plus de 500 familles paysannes, le déni des droits syndicaux des travailleurs et lassassinat des dirigeants paysans qui ont protesté contre les désastres environnementaux provoqués par cette compagnie. Encore plus à lEst opère la compagnie Occidental, qui a effectué ses exploitations pétrolières dans des conditions similaires, provoquant lextermination physique de la communauté indigène Guahiba. Elle réalise actuellement des travaux dexploration dans le territoire sacré des Uwas, avec lappui dun puissant appareil militaire, tentant dexpulser la communauté Uwa de son territoire. Cette compagnie est aussi celle qui a fait le plus defforts pour la promotion du Plan Colombia, dans le but notamment de briser la résistance Uwa.
Amazonie menacée
La présence de multinationales pétrolières est une grave menace pour la forêt tropicale et les rares communautés indigènes à pratiquer encore un mode de vie traditionnel. La Colombie a une position stratégique entre océan Atlantique et Pacifique: elle offre une porte dentrée aux promoteurs vers les gisements pétroliers de lAmazonie. Cela démontre que cest bien lor noir qui est primordial dans la mise en place du Plan Colombie, non le problème de la drogue. Les compagnies Occidental et BP, en tant quexploitants des principaux gisements pétroliers de Colombie, sont les plus importants investisseurs étrangers dans léconomie du pays. Quel rôle joue les multinationales qui opèrent dans des régions politiquement agitées? Ne sont-elles pas les protagonistes des conflits eux-mêmes.
Chaque jour, vingt personnes sont assassinées et deux disparaissent pour des raisons politiques en Colombie. En 2001, on a recensé plus de 250 massacres, 147 assassinats de dirigeants syndicaux et au moins 10 000 menaces contre des travailleurs membres dassociations; le 80% des assassinats de syndicalistes dans le monde a lieu en Colombie.
Chaque jour, 1025 personnes sont dépossédées de leurs terres afin de satisfaire lappétit des investisseurs nationaux ou étrangers. Les victimes de la violence sont des dirigeants populaires, des syndicalistes, des défenseurs des droits de lhomme, des étudiant-e-s, ainsi que des indigènes et des paysan-nes qui se refusent à abandonner leurs terres.
Traduction dAlain CASSANI. Coupures et intertitres de la rédaction.