Contretemps: critique de l'écologie politique

Contretemps: critique de l´écologie politique


Se situer «à la rencontre des courants de radicalité critique, de pensées et de cultures de traditions différentes, entre démarches militantes et universitaires», tel était le pari lancé par les animateurs de la revue Contretemps (directeur: Daniel Bensaïd) au moment de son lancement en mai 2001. Un an et trois numéros plus tard, le pari est largement tenu.



Il suffit pour s’en convaincre de consulter le sommaire de la quatrième livraison (mai 2002). Deux dossiers distincts mais animés par la même exigence critique s’y côtoient: l’un consacré à la «critique de l’écologie politique», l’autre au regretté sociologue Pierre Bourdieu.



Trois aspects importants de l’écologie politique sont examinés dans la première partie. Tout d’abord, la dimension éthique de cette doctrine. Dans un texte intitulé «Pour une éthique écosocialiste», Michael Löwy revient sur l’histoire d’un courant peu connu du socialisme, l’écosocialisme, dont les origines remontent à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Celui-ci partage évidemment avec le socialisme la critique radicale du capitalisme, et la volonté de lui substituer un système basé sur «le plein accomplissement (des) potentialités humaines». Mais il met également en question certains travers «productivistes» et «quantitativistes» présents dans le marxisme des origines. A l’article de Löwy fait d’ailleurs écho, en fin de volume, un Manifeste écosocialiste international, signé par de nombreux militants et intellectuels, qui insiste sur la nécessaire «redéfinition des voies et des buts de la production socialiste dans un cadre écologique



La seconde dimension de l’écologie politique envisagée est son rapport à la politique. On notera ici la remarquable contribution du sociologue Willy Pelletier, consacrée à l’institutionnalisation des Verts dans le paysage politique français. Les Verts, soutient Pelletier, connaissent depuis quelques temps un véritable procès de « normalisation ». De parti contestataire qu’ils furent à leurs débuts, ils se sont transformés en organisation politique ordinaire. En témoigne notamment l’évolution du «libéral-libertaire» Daniel Cohn-Bendit, passé de la subversion «anti-systémique» à un alignement quasi complet sur les positions de la Banque centrale européenne.



La troisième dimension abordée est le rapport de l’écologie à l’économie. Se dégage dans cette section la contribution de Jean-Marie Harribey, professeur d’économie à Bordeaux, qui porte sur la distinction marxiste classique entre la valeur d’usage et la valeur d’échange. La conclusion de Harribey est que les discours actuellement en vogue (y compris à droite) concernant le «développement durable» ne doivent pas masquer le fait que «la qualité – la soutenabilité – de la vie suppose la régression, puis l’abolition du capital en tant que rapport social.» On remarquera aussi l’article d’une grande rigueur analytique de notre camarade François Iselin, consacré au statut de la nature comme source de richesse économique.



L’autre dossier porte sur Pierre Bourdieu, sur ses théories sociologiques mais plus encore sur son rapport à la politique. Le fait d’avoir préconisé une certaine distance entre «le savant et le politique» n’a pas empêché Bourdieu d’encourager, au cours de sa carrière, un nombre important de mouvements sociaux. Son engagement est devenu particulièrement visible au moment du soutien qu’il apporta aux grévistes de «novembre-décembre 95», et lorsqu’il lança un Appel pour des états généraux du mouvement social. Annick Coupé, porte-parole du Groupe des Dix et responsable des syndicats SUD, revient longuement sur l’action du sociologue. Ses propos le concernant sont à la fois éclairants et émouvants. Ils montrent la difficulté inhérente à tout engagement politique des scientifiques, et aussi l’intransigeance de Bourdieu à l’endroit du mouvement social lui-même : «(…) les intellectuels qui se sont engagés aux côtés de mouvements politiques ou sociaux dans l’histoire, en général, étaient peu critiques, dit Coupé. Pierre Bourdieu, lui, a toujours gardé le droit et le devoir d’être critique vis-à-vis des mouvements sociaux même, et je dirais d’autant plus qu’il les soutenait très fortement



Razmig KEUCHEYAN

Contretemps, Critique de l’écologie politique. Dossier : Pierre Bourdieu, le sociologue et l’engagement, mai 2002, éditions Textuel, 207 p.