Du côté de l’UDC blochérienne, durcissement xénophobe programmé

Du côté de l’UDC blochérienne, durcissement xénophobe programmé

L’Union démocratique du centre (UDC) a été le grand vainqueur des dernières élections nationales d’octobre 1999. Sous l’impulsion de la section zurichoise et de son «formidable» appareil de propagande, le rééquilibrage des forces politiques, au sein de la droite, s’est progressivement établi au profit de l’UDC. Le parti a élargi son audience en absorbant une partie de l’électorat de la droite bourgeoise gouvernementale et surtout de la droite radicale populiste: dans les cantons catholiques, il a fait les yeux doux à une partie de l’électorat démocrate-chrétien, irrité par les prises de position du PDC sur l’Europe, l’asile et l’avortement; en Suisse orientale, l’électorat de la droite radicale populiste, singulièrement du Parti suisse de la liberté – anciennement Parti des automobilistes (1985-1994) – a été séduit par un mouvement nationaliste, xénophobe, qui en appelle à la responsabilité individuelle dans une perspective néolibérale, tout en partageant les responsabilités gouvernementales. Quelques mois avant les prochaines élections fédérales, il vaut la peine de se pencher sur le nouveau» programme de l’UDC.


Les succès de l’UDC résultent de la convergence, dans un contexte d’incertitude économique, de crise des valeurs et de perte des repères, d’un discours politique populiste avec un électorat de droite préoccupé par la sécurité intérieure, la défense des traditions, la conservation de l’«identité helvétique» et le rejet de l’asile. L’UDC zurichoise est le fruit d’une tendance européenne observable dès la fin des année 70: la convergence d’un néo-conservatisme, débarrassé de ses nostalgies pour l’Ancien Régime, avec un néolibéralisme réduit au fétichisme du marché. Une rencontre qui permet de dépasser le clivage entre une Suisse traditionnelle, apparemment tournée sur elle-même et une Suisse moderne, urbaine, ouverte sur l’extérieur. L’UDC a ainsi gagné une audience croissante dans des couches citadines, favorables à la mondialisation néolibérale.

Le changement dans la continuité

En 2003, on prend les mêmes et on recommence. En agitant devant l’électorat de droite et d’extrême droite les mêmes slogans populistes néo-conservateurs, les dirigeants de l’UDC espèrent poursuivre leur marche en avant triomphale, amorcée en 1991. A la différence près que l’UDC vise désormais explicitement un second siège au Conseil fédéral. Un second siège qui tomberait alors entre les mains des «durs» de Zurich. Au détriment de qui?

Résultats des partis bourgeois aux élections nationales (1979-1999)

1979 1983 1987 1991 1995 1999 Conseil national Différence 1995 Total deux Chambres
PRD 24% 23,3% 22,9% 21% 20,2% 19,9% 42 -3 60
PDC 21,3% 20,2% 19,6% 18% 16,8% 15,9% 35 +1 50
UDC 11,6% 11,1% 11% 11,9% 14,9% 22,5% 45 +16 52
PSL 2,6% 5,1% 4 0,9% -7


Dans la forme, le programme électoral entériné par les délégués de l’UDC à Hochdorf (LU), et intitulé «Qualité suisse – UDC», ne diffère guère de la plate-forme électorale de 1999: les thématiques abordées sont quasiment les mêmes. Sur le fond, cependant, le constat est net: l’UDC a encore musclé son discours sur ses thèmes de prédilection: la famille, la politique d’asile et la sécurité intérieure.

La famille contre les femmes

Sous prétexte de la sacro-sainte responsabilité individuelle dans le cadre de la famille, l’UDC réclame la suppression des bureaux de l’égalité et de la condition féminine, des études genre dans les hautes écoles, ainsi que le désengagement immédiat de l’Etat des crèches et du parascolaire. Vous voulez des crèches? Organisez et financez-les vous-mêmes. Pour l’UDC, «l’accent doit à nouveau être mis sur le sens des responsabilités de la famille. La responsabilité de l’épanouissement des enfants et du bien-être des membres de la famille appartient en premier lieu à la famille»1: «chaque famille doit pouvoir décider de sa propre responsabilité comment elle entend répartir les tâches en son sein»2.


Cet argument fallacieux illustre en réalité le fort conservatisme social qui traverse aujourd’hui le parti. L’UDC prône, à mots couverts, un ordre patriarcal strict, qui fige la répartition sexuelle des tâches. Depuis ses débuts en politique, Christophe Blocher ne cesse de vilipender ce qu’il appelle les «fruits pourris de 1968», qui détruisent les structures traditionnelles de la famille. Son premier grand combat sur la scène nationale, il l’a mené contre le nouveau droit du mariage, en 1979. Qualifiant de «faux droit du mariage»3, un projet qui supprimait la subordination légale de l’épouse à son mari (!), Christophe Blocher avait pris la tête d’un comité référendaire, dans lequel étaient notamment représentés le Redressement national et la Ligue vaudoise, qui allait rassembler 45% des suffrages, en octobre 1985. C’est cette campagne électorale qui a lancé véritablement Christophe Blocher dans le combat politique à l’échelle nationale.


Pour l’UDC aujourd’hui, la nouvelle menace pour la famille et le mariage, c’est le partenariat homosexuel: «l’institution du mariage ne saurait être vidée de sa substance. L’UDC demande ainsi que le règlement de la situation juridique des couples composés de personnes du même sexe se limite à des adaptations ponctuelles du droit successoral»4. Point final.

Criminaliser l’immigration

Le discours sur l’immigration véhiculé par l’extrême droite populiste des années 70 a été récupéré par l’UDC dès les années 80, et progressivement dirigé, au cours des années 90, contre les requérant-e-s d’asile, présentés comme des criminels. L’UDC, sous l’influence de sa section zurichoise, a fait de l’asile un enjeu politique national. Ses positions de pointe ont permis à ses «partenaires» bourgeois de durcir les leurs: sous prétexte de ne pas voir une partie supplémentaire de leur électorale glisser dans le camp de l’UDC, le PRD et le PDC ont encore musclé aussi leur discours.


Bienvenue dans le monde idéal de l’UDC!

Sachez que le programme de l’UDC ne se limite pas aux thèmes de la famille, de l’asile et de la sécurité. Loin s’en faut.

  • Une santé à deux vitesses par le transfert vers l’assurance complémentaire d’un certain nombre de «prestations de luxe», actuellement couvertes par l’assurance de base. Le risque est grand de voir l’IVG disparaître du catalogue des actes remboursés par l’assurance maladie obligatoire.
  • La création d’une prévoyance vieillesse, à deux, voire à trois vitesses, par la mise en valeur des deuxième et troisième piliers; l’âge de la retraite porté pour les deux sexes à 65 ans.
  • Une éducation entièrement mise au service de l’économie en faisant jouer entre les élèves, dès leur plus jeune âge, la concurrence et la performance; la suppression du soutien étatique à la culture.
  • Le désengagement de l’Etat dans la promotion des nouvelles énergies; la construction d’un second tunnel au Gothard et l’élargissement à six voies de l’autoroute A1 entre Lausanne et Genève.
  • La libéralisation totale des chemins de fer, du marché de l’électricité et, partielle, du marché du gaz.
  • L’inscription du secret bancaire dans la Constitution fédérale.


Meilen est le dernier exemple en date. Dans cette petite bourgade zurichoise5, le Conseil communal à majorité bourgeoise, a provoqué une véritable levée de bouclier en Suisse alémanique, en décembre 2002, en proposant le découpage de la commune en différentes zones, dont certaines se voient interdites aux requérant-e-s d’asile: ceux-ci ne peuvent accéder aux «zones noires»; sous certaines conditions, aux «zones rouges» et, sans aucune restriction, aux «zones vertes». Une mesure qui dépasse largement celle proposée par l’UDC, et qui vise à restreindre la liberté de mouvement des seuls requérants d’asile dont la demande a été rejetée. Ainsi, pour faire quelques brasses dans la piscine communale, le requérant d’asile se voit affublé d’un accompagnant; il ne pourra d’ailleurs le faire qu’en dehors des périodes scolaires! Sous pression, le Conseil communal, présidé par un dur de l’UDC, a certes dû faire machine arrière, décidant d’augmenter les patrouilles de police près des écoles, des salles de sport et au centre de Meilen.


Pour les élections de 2003, l’UDC place une nouvelle fois au cœur de son programme le thème des étranger-e-s et de la sécurité. Sur la forme, l’UDC ne change pas son fusil d’épaule: le parti stigmatise toujours les «abus du droit d’asile» et exige le recours à l’armée pour surveiller les frontières, présentées comme de véritables passoires. Une idée fait son chemin parmi les dirigeants de l’UDC: la réintroduction systématique dans les trains de la bonne vieille méthode d’interrogation des voyageurs6.

Tous les étrangers dans le colimateur

L’UDC a encore durci ses positions par rapport à 1999. Elle ne parle plus de stabiliser le nombre d’étranger-e-s, mais de le diminuer! Pour atteindre cet objectif, elle propose trois mesures brutales: réintroduire le statut de saisonnier (sans le nommer) par l’octroi, pour les travailleurs extra-communautaire, de cartes de séjour de courte durée, qui exclut toute possibilité de regroupement familial; expulser manu militari les jeunes délinquant-e-s et leur famille en cas de récidive; refuser d’entrer en matière sur les demandes d’asile des personnes ayant transité par des «pays sûrs» et accélérer l’examen des requêtes et des éventuelles procédures de recours. En outre, l’UDC réclame la suppression de l’octroi de permis humanitaires et provisoires, la levée du secret bancaire pour les requérants d’asile7, et l’internement des requérant-e-s sans papiers dans des camps gardés, prisons déguisées, jusqu’à l’exécution des mesures d’expulsion.


Dans son programme, l’UDC pousse à bout sa rhétorique xénophobe, mettant dans le même panier les réfugiés, les sans papiers et tous les autres immigrés, femmes et hommes: «Par sa taille et sa densité géographique, la Suisse n’est de toute évidence pas un pays d’immigration. Néanmoins, elle est devenue la destination d’un grand nombre de faux réfugiés et d’immigrants clandestins (…) un habitant sur cinq de la Suisse est étranger»8.


La manœuvre est claire. En désignant implicitement tout résident étranger comme un illégal, voire un criminel en puissance, et en associant à cette stigmatisation des thématiques émotionnellement fortes, l’UDC nourrit sciemment la xénophobie latente d’une partie de l’électorat de droite et d’extrême droite et espère encore gagner des franges de l’électorat socialiste. Karl Schröder, secrétaire de l’UDC zurichoise, l’a bien compris. Il y a trois ans, il déclarait au Temps: «nous avons du succès parce que nous nous emparons des thèmes qui préoccupent la population et qui sont négligés par les autres formations (…) ce sont les thèmes émotionnels qui font recette (…) C’est vrai que nous exagérons consciemment»9.


Michel FOLAIN

  1. La Famille – Fondement durable de la société, Politique familiale de l’UDC, juillet 2001, p.4.
  2. Programme de l’UDC, cinquième projet, décembre 2002, p.20.
  3. Zürcher Bote, numéro 43, 26 octobre 1984.
  4. La famille – fondement durable de la société, Politique familiale de l’UDC, juillet 2001, p.14.
  5. Christophe Blocher y a fait ses premiers pas en politique, en tant que conseiller communal, de 1974 à 1978.
  6. Document de travail du groupe  » Sécurité intérieure « , Contrôles aux frontières – plus nécessaire que jamais, mars 1999.
  7. SVP, Für ein wirkungsvolles Asylgesetz, Die Forderungen der SVP zur bevorstehenden Asylgesetzrevision, 6 januar 2003.
  8. Programme de l’UDC, cinquième projet, décembre 2002, p.32.
  9. Le Temps, 27 septembre 1999.