Refuser le paquet fiscal, un enjeu décisif!
Refuser le paquet fiscal, un enjeu décisif!
Tout dernièrement, au mois de décembre 2003, la majorité bourgeoise des Chambres fédérales a approuvé un programme daustérité de quelque 3 milliards de francs, qui entrera en vigueur en 2006. Ses principales victimes seront les assurances sociales, les réfugié-e-s, la protection de lenvironnement, la formation, laide au développement et la culture. Le Conseil fédéral a dores et déjà annoncé son intention de déposer un nouveau plan déconomies, de lordre de 2 milliards, après le vote du 16 mai prochain sur le paquet fiscal. Rappelons que ce dernier devrait entraîner des pertes de recettes fiscales dau moins 1,5 milliard pour la seule Confédération. Sur le plan fédéral uniquement, les mesures daustérité dune part, de réduction des ressources fiscales de lautre, prises ou préparées en lespace de 6 mois à peine, représentent donc la somme denviron 6,5 milliards, soit environ 13% du budget annuel de la Confédération. Cest sans compter ce qui se passe au niveau cantonal et communal. Dans le canton de Zurich, par exemple, emmenée par le Directeur des Finances, lUDC Christian Huber, la majorité bourgeoise a adopté, le 24 février dernier, un plan daustérité de 1,7 milliard, comprenant notamment la suppression de 1230 postes de travail dans la seule administration cantonale. Mais ce nest pas suffisant pour Huber: il prévoit déjà un nouveau plan qui comprendra, déclare-t-il «dautres économies encore plus douloureuses».1
La rapidité et lampleur de ces mesures témoignent à elles seules de la volonté du grand patronat et des partis de droite dintensifier la politique combinant caisses vides et austérité. Dans ce contexte, le vote du 16 mai prochain revêt une importance cruciale: lapprobation du paquet fiscal ouvrirait toute grande la porte au déchaînement dune telle politique.
Décharger les possédants pour mieux attaquer les salarié-e-s
Pour limmense majorité des salarié-e-s ou des personnes avec un revenu normal, bref pour celles et ceux qui gagnent moins de 7000.- ou 8000.- francs par mois, le paquet fiscal constitue une gigantesque escroquerie. Dun côté, ils ne bénéficieront pas ou à peine des baisses dimpôt proposées. De lautre, ce sont eux qui feront les frais des économies encore plus brutales que lapprobation du paquet justifierait et entraînerait tout à la fois, non seulement sur le plan fédéral mais cantonal et communal. Rappelons que si le manque à gagner pour la Confédération atteint 1,5 milliard, il sélèverait à 2,5 milliards au minimum pour les cantons et les communes. En cas de vote positif, les attaques contre les dépenses pour la protection sociale, lemploi, léducation, laide au logement, la culture, etc. sont donc préprogrammées.
Le paquet fiscal se compose de trois volets qui se rejoignent sur un point: ils bénéficient presque exclusivement aux couches sociales qui jouissent de revenus élevés ou très élevés. Le premier volet allège limpôt fédéral direct. Il est présenté comme une «aide aux familles». A ce détail près quil ne profite, dans les faits, quaux familles riches. Quon en juge! Dabord, environ 20% des ménages ou des personnes seules ne paient pas dimpôt fédéral direct, parce que leurs revenus sont trop faibles pour être assujettis. Eux nauront évidemment pas un sou de moins à payer. Quant aux ménages ou personnes seules disposant dun revenu brut total jusquà fr. 8000.- par mois, ils économiseront moins de 10 francs par mois: même pas léquivalent dune place de cinéma! En revanche, laffaire devient très intéressante à partir dun revenu supérieur à fr. 20000.- par mois: léconomie atteint alors 450 francs par mois, près de 50 fois plus que pour le/la salarié-e normal-e!
Le second volet réduit considérablement limposition des propriétaires immobiliers qui habitent leur propre maison ou appartement. Or, cest le cas dun tiers seulement des gens qui habitent en Suisse. Dautres part, les propriétaires immobiliers se recrutent essentiellement parmi les couches aisées et riches. Ces couches bénéficient donc une deuxième fois du paquet fiscal.
Enfin, le troisième volet supprime les droits de timbre de négociation. Il sagit dun impôt portant sur les émissions de certaines valeurs mobilières. Cet impôt touche les cercles qui participent aux transactions financières, autrement dit les couches fortunées, qui sont donc privilégiées une troisième fois.
Le carnaval des mensonges, tromperies et autres sornettes
Pour justifier leur appui au paquet fiscal, ses partisans, relayés de façon complaisante par les grands médias, avancent inlassablement trois principaux arguments. Passons-les en revue.
1.«Lexplosion des charges fiscales»: tel est le titre dun site internet de propagande parrainé par la plus importante association patronale helvétique, Economiesuisse [sic]. Ce même site poursuit en affirmant que le poids des impôts «augmente plus vite en Suisse que dans les autres pays industriels. Résultat: une perte de compétitivité de nos entreprises et une charge croissante pour les citoyens».2
Cet argument est fallacieux. En 1980, la quote-part fiscale (soit le rapport entre le total des recettes fiscales prélevées, y compris les cotisations aux assurances sociales, et le Produit intérieur brut) une mesure qui permet dévaluer le poids global des impôts dans chaque pays atteignait 30,8% en Suisse. Elle se situe à 31,3% en 2002. Difficile de parler «dexplosion fiscale».
Mais peut-être la position relative de la Suisse sest-elle effectivement dégradée? Comme le montre le graphique ci-dessous, en 1980, la quote-part fiscale suisse était inférieure de 4,9 points de pourcentage à la moyenne de 20 pays industrialisés. En 2001, lécart se situait à 9,1 points de pourcent.3 Loin davoir perdu de lavance, le capitalisme suisse a considérablement amélioré sa compétitivité sur le plan fiscal.
Doù vient alors le sentiment, partagé par de très nombreux-euses salarié-e-s, que leurs impôts ont nettement augmenté durant les dernières années? La variable qui vient dêtre citée la quote-part fiscale ne mesure que le poids global de limposition dans un pays. Elle ne dit rien sur la question de savoir qui paie les impôts. A cet égard, on dispose dautres données qui indiquent clairement que la charge fiscale de la grande majorité des salarié-e-s a augmenté, alors que celle des couches aisées et riches a fortement diminué. Prenons lexemple du plus important canton helvétique. A Zurich, les impôts portant sur le revenu dun couple sans enfant et disposant de 3600.- francs bruts par mois, ont été accrus de 4% entre 1980 et 2002. Ce couple paie aujourdhui 100 francs dimpôt de plus, par année, quen 1980. En revanche, le même couple, mais disposant de 29000.- francs par mois (soit huit fois plus), paie 15% dimpôt, soit 18000.- francs par année, de moins quen 1980!
2. En Suisse, selon le Crédit Suisse, on assiste à «une explosion des dépenses publiques».4 Quant à Economiesuisse, elle prétend que «la Suisse est, de tous les pays [industrialisés], celui qui a proportionnellement le moins bien maîtrisé lévolution de ses dépenses publiques».5 Vérifions. En 1980, la quote-part de lEtat (cest-à-dire le rapport entre le total des dépenses des collectivités publiques, y compris les assurances sociales, et le Produit intérieur brut) sélevait à 34,3% en Suisse. En 2001, cette quote-part atteint 38,6%.6 Il ny a donc pas eu explosion mais croissance très lente: 0,6% par an. Par ailleurs, en 1980, la quote-part suisse était inférieure de 6,4 points de pourcentage à la moyenne des 20 pays industrialisés. En 2001, lécart est resté le même: 6,4 points de pourcent. En 2001 comme en 1980, seuls trois pays présentent une quote-part étatique légèrement inférieure à celle de la Suisse. Economiesuisse induit donc les gens en erreur.
3. Daprès lUDC, il y a eu «explosion de la dette»7 en Suisse. Décidément, lexplosion est à la mode à droite! Mais ici comme avant, il sagit dune propagande fallacieuse. En 1980, la dette brute de lensemble des collectivités publiques suisses (Confédération, cantons, communes et assurances sociales) équivalait à 43% du produit intérieur brut. En 2002, cette proportion est passée à 53%.8 Lendettement a donc progressé au rythme lent de 0,9% par an. En comparaison internationale, la dette publique suisse a augmenté trois fois plus lentement que la moyenne des 20 pays industrialisés. Résultat: alors quen 1980, lendettement public helvétique était supérieur de 2,5 points de pourcentage à la moyenne de ces 20 pays, il est aujourdhui inférieur de 14,5 points de pourcent. Sur ce plan également, le capitalisme suisse a amélioré son rang.
Les baisses dimpôt ne créent pas demploi, elles en détruisent!
Il est souvent affirmé que les diminutions dimpôts ont pour effet de relancer léconomie et, ainsi, de créer des emplois. Il sagit dune légende. Les allègements fiscaux réalisés dans dinnombrables pays durant ces deux dernières décennies nont pas stimulé lemploi, pour la simple et bonne raison quils profitent essentiellement aux couches fortunées. Or, celles-ci nutilisent guère les montants ainsi économisés pour accroître leur consommation mais pour spéculer en Bourse, ce qui ne crée aucun emploi.9 Ce qui ne relève pas de la légende, en revanche, cest que les cures daustérité induites par les réductions dimpôt suppriment, elles, de nombreux emplois. Le plan déconomies de 1,7 milliard adopté par la majorité bourgeoise du Parlement du canton de Zurich, il y a quinze jours à peine, se soldera par lélimination de milliers de postes de travail. Dans la seule administration, 1230 suppressions auront lieu dans les quatre ans à venir.
Vive la fraude fiscale!
Gageons que parmi ces 1230 postes supprimés, les Radicaux et UDC auront à cur de faire figurer un nombre appréciable de contrôleurs fiscaux. Ces deux partis ne sont-ils pas des défenseurs acharnés du secret bancaire, lequel na dautre fonction que de protéger les riches qui fraudent le fisc? Le Conseil fédéral se garde bien de faire exécuter des études approfondies sur le manque à gagner qui en résulte pour les collectivités publiques et les assurances sociales. Dès lors, on en est réduit à des approximations, qui débouchent sur un montant de lordre de 5 milliards de francs par an. En dautres termes, si une lutte sérieuse était menée contre la fraude fiscale, la Suisse dégagerait non pas des déficits, mais des excédents budgétaires!
Un programme durgence
Il ne suffit pas de sopposer au prochain paquet fiscal. Il faut dégager les voies dune alternative, sous la forme dun programme fiscal durgence qui pourrait sarticuler autour des grands traits suivants:
- Opposition décidée à toute politique des caisses vides et à toute politique daustérité.
- Baisse massive des dépenses militaires.
- Abolition de la TVA compensée par une hausse des taux de lImpôt fédéral direct sur les revenus élevés, les grandes fortunes et les gros bénéfices.
- Introduction dun impôt fédéral sur les successions importantes.
- Imposition des gains réalisés grâce à la spéculation en Bourse.
- Imposition des transactions financières de nature spéculative.
- Harmonisation des taux dimposition cantonaux afin dempêcher la sous-enchère fiscale de certains cantons (Zoug, Schwyz, etc.).
- Levée du secret bancaire et lutte résolue contre la fraude fiscale.
Pierre VANEK
- Neue Zürcher Zeitung, 25 février 2004.
- Voir www.finances-saines.ch, 20 février 2004
- Voir Compte dEtat de la Confédération, diverses années.
- Voir Crédit Suisse, Economic Briefing No 34, sept. 2003, p. 4.
- Voir La Vie économique, No 2, 2004, p. 35.
- Cf. Compte dEtat de la Confédération, diverses années.
- Voir conférence de presse de lUDC, 5 janvier 2004.
- Compte dEtat de la Confédération, diverses années.
- Voir par exemple Matthew D. Shapiro et Joel Slemrod, Did the 2001 Tax Rebate Stimulate Spending? Evidence from Taxpayer Surveys, University of Michigan, octobre 2002; Paul Krugman, «The Tax-Cut Con», The New York Times, 14 septembre 2003; Lawrence Mishel, «Grading the «Jobs and Growth Plan»: generating 5.5 million new jobs by the end of 2004 is the test of success», Economic Policy Institute, 3 novembre 2003; Jean Gadrey, «Prélèvements obligatoires: un choix de société», Alternatives économiques, février 2004.