La Chine, Eldorado de l'automobile?

La Chine, Eldorado de l’automobile?

Le 76 e salon de l’auto ouvre ses portes à Genève. Les «milieux économiques» entonnent une nouvelle fois un hymne à la bagnole, au bitume et à la croissance… On rappelle rageusement la «provocation» de Christian Ferrazino, maire en 2004, qui avait osé boycotter l’inauguration du Salon pour tenir conférence de presse sur les rues sans voitures. Le radical Pierre Maudet, qui n’a pas peur du ridicule, prend le parti de sa ville: « Après les toilettes publiques à 400 000 francs pièce, le caprice du boycott du Salon de l’auto, et la récente affaire de l’immeuble de la rue du Stand, je me demande quel sera son prochain délire aux frais du contribuable et aux dépens des Genevois » ( Glocal , 28 novembre 2005). Mais les TPG gratuits? Vous n’y pensez pas, même pendant les pics de pollution1. Il faut surtout oublier les «particules fines», les émissions de CO2 , la guerre qui fait rage en Irak autour des puits de pétrole et… l’explosion de la production automobile chinoise qui inquiète.

Le monde compte aujourd’hui quelque 550 millions d’automobiles particulières, dont environ 220 millions aux Etats-Unis. Dans ce pays, pour chaque voiture, ce sont 700 m2 de terres propices à l’agriculture (planes et bien drainées, etc.) qui sont asphaltés,: en tout, 168 000 km2 (plus que la superficie totale de l’Angleterre et du Pays de Galles).

Riz ou asphalte?

Si la Chine, qui ne cesse d’accroître son parc automobile, atteignait un niveau de motorisation comparable, elle compterait près d’un milliard de véhicules avec une emprise au sol de 750 000 km2 , soit près de trois fois la surface de l’ensemble de ses cultures de riz… On pourrait tenir le même type de comptes fantastiques pour l’Inde…De telles extrapolations sont certes absurdes, mais elles montrent le problème.

En 1994, Pékin a décidé de faire de l’automobile un secteur moteur de sa croissance pour les décennies à venir, même si cette orientation a été immédiatement contestée par un groupe de chercheurs. Dans un livre blanc, ils/elles proposaient alors de donner une priorité absolue au rail, combiné avec le bus et la bicyclette, un complexe globalement plus efficace du point de vue de la mobilité et moins dévoreur d’énergie et d’espace, en particulier agricole2.

C’était compter sans la logique du profit. Le parc automobile chinois (bus et camions compris) devrait doubler d’ici 2010, de 35 à 60-70 millions de véhicules (dont 28 à 36 millions de voitures)3. Depuis 2002, le réseau routier de ce pays est devenu le second au monde (il n’était que le 39 e en 1997); fin 2005, son marché automobile s’est hissé à la deuxième place, avec 6 millions de véhicules vendus4 et un potentiel de consommation estimé à 75 millions d’unités (le 20% des familles qui détiennent 80% de l’épargne); quant à VW, il écoule déjà plus de voitures en Chine qu’en Allemagne5…

Les investissements dans ce secteur ont explosé (principalement des entreprises étatiques en joint venture avec des multinationales étrangères): la production dépasse les capacités d’absorption du pays et pourrait atteindre 15 millions d’unités en 2007 (tous véhicules confondus) – quelque 20% de la production mondiale (!) – dont une moitié pour l’exportation6. La guerre des prix fait rage: les entreprises US, européennes et japonaises ne cessent de comprimer leurs effectifs et les pires chocs sociaux sont encore à venir. En même temps, l’accroissement du parc automobile mondial aggrave les déséquilibres écologiques globaux de façon dramatique. Peut-on sortir de cette course à l’abîme sans rompre avec la mondialisation capitalise et sa logique productiviste? Poser la question, c’est y répondre.

Jean BATOU

  1. En Ville de Genève, le PS a refusé avec la droite de voter l’urgence en faveur de notre motion pour la fermeture de l’hypercentre et la gratuité des TPG pendant les pics de pollution.
  2. Lester Brown, «Paving the Planet: Cars and Crops Competing for Land», Worldwatch Issue Alert , 14 février 2001.
  3. Julien Allaire, «Le Casse-tête de l’Etat chinois: encourager la consommation automobile en décourageant la consommation d’énergie», Revue de l’énergie , n° 564, février 2005.
  4. CRI Online Deutsch , 16 janvier 2006.
  5. Forbes , 15 décembre 2003.
  6. DW World-DE , 8 juillet 2005.

12 raisons de boycotter le Salon

  1. Aux Etats-Unis, 90% des déplacements se font en voiture, soit, en moyenne, 15000 km par an. Ainsi, l’automobiliste moyen passe-t-il/elle 443 heures par an derrière son volant (Christian Science Monitor , 15 octobre 2003).
  2. Les enfants vivant en bordure des routes fréquentées par plus de 20000 véhicules par jour ont six fois plus de chance de développer un cancer que ceux qui vivent aux abords de voies peu parcourues (moins de 500 véhicules par jour) (Monitor Publishing , avril 2000).
  3. Chaque jour dans le monde, 3000 personnes meurent et 30000 sont sérieusement blessées dans des accidents de la circulation. 85% des victimes – piétons, cyclistes et passagers de bus – des pays à bas ou moyens revenus n’ont jamais possédé de voiture (The Guardian , 18 janvier 2003).
  4. Les automobiles sont responsables du tiers de la consommation de pétrole mondiale et des deux tiers de la consommation des Etats-Unis (The Guardian , 18 janvier 2003). Chaque année, 6 millions de tonnes de pétrole sont rejetées dans les mers (http://daac.gsfc.nasa.gov/).
  5. Une automobile moyenne produit l’équivalent de son propre poids en dioxyde de carbone chaque année (environ 300 millions de tonnes à l’échelle mondiale); aux Etats-Unis, elle monopolise 40% de l’espace urbain et occupe trois fois plus de place que le logement d’une personne (Transportation Alternatives; New Transportation Vision ).
  6. L’air conditionné des voitures constitue la principale source de CFC libéré dans l’atmosphère, responsable de la destruction de la couche d’ozone (New Transportation Vision).
  7. Un quart des dégâts écologiques engendrés par l’automobile résulte de sa production (Stattauto and the Green Consumer Guide). Pour les gaz à effet de serre, la production de la voiture en dégage 11%, son usage, 68%, enfin, l’extraction, le raffinage et la distribution du fuel, 21% (J. de Cicco & Feng An, «Automakers’ Corporatee Carbon Burden», Washington, Juillet 2002).
  8. L’Américain-e moyen passe le quart de son temps de veille dans sa voiture ou à travailler pour la payer.
  9. Deux voies de chemin de fer peuvent transporter autant de passagers par heure que seize voies d’autoroute. Dans un cas, il ne faut que 15 mètres de large, dans l’autre, 120 mètres (New Transportation Vision ).
  10. Tripler le nombre de cyclistes dans une ville permet de réduire de moitié les collisions entre cyclistes et automobiles (Transport Alternatives , nov. 2004).
  11. « Le vélo est le véhicule d’une nouvelle mentalité. Il défie simplement un système de valeurs qui suppose la dépendance, le gaspillage, l’inégalité face à la mobilité et le carnage quotidien » (James McGurn).
  12. « Sans l’ombre d’un doute, le principal agent de la désintégration sociale, de la pollution, de l’empoisonnement des gens et de l’environnement, du gaspillage d’énergie, et même des homicides… c’est l’automobile » (Richard Register, écologiste urbain).