L'association RHINO «dissoute»... à qui le tour ensuite? Résistons!

L’association RHINO «dissoute»… à qui le tour ensuite? Résistons!

Sombre période pour les droits démocratiques et les libertés publiques. A Genève, des syndicalistes sont traîné-e-s devant les tribunaux pour avoir fait leur travail, les partis bourgeois s’en prennent au droit de manifester par un projet de loi liberticide, le Département chargé de la police, avec à sa tête un élu du PS, se permet d’interdire aux opposant-e-s à la guerre en Irak de manifester le 18 mars devant la mission des USA, alors même que ce droit à été confirmé par un tribunal… Une étape très grave de cette entreprise de démantèlement antidémocratique a été franchie, à Genève mi-février, avec la décision du Tribunal de première instance du canton de décréter la «dissolution» pure et simple de l’association RHINO.

Au-delà du soutien populaire manifesté aux occupant-e-s – depuis 18 ans – de ce haut-lieu culturel alternatif, symbole de la défense du droit au logement contre les spéculateurs immobiliers, cette décision scandaleuse doit être dénoncée et combattue par tous/toutes les démocrates pour qui la liberté d’association est un droit essentiel. Cette décision ne saurait être prise comme un épisode «ordinaire» de la bataille autour de RHINO. Si son principe était admis ou généralisé, il n’y a guère d’association, de syndicat, de mouvement politique progressiste, qui ne serait menacé par l’épée de Damoclès d’une interdiction pure et simple de son existence même, avec saisie de ses moyens matériels.

Flashback… et années brunes

Pour mesurer la gravité de la situation, reportons-nous dix ans en arrière. A cette époque le Conseil fédéral présentait aux Nations Unies un rapport sur la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, entré en vigueur pour la Suisse en 1992. Le gouvernement s’y targuait des « mesures adoptées et des progrès accomplis dans l’application des droits reconnus par celui-ci. » Il évoquait l’art. 56 de la Constitution garantissant la liberté d’association1 en indiquant certes que celui-ci limitait l’« exercice de ce droit » en stipulant que les associations « dont les buts ou les moyens employés sont illicites » n’étaient pas protégées.

Mais, commentant cette réserve, le gouvernement affirmait alors que « Le Tribunal fédéral a toutefois décidé que seules devaient être interdites les associations qui se proposent de faire triompher leurs vues par des moyens autres que démocratiques et pacifiques. » Il relativisait encore cette restriction en indiquant que les mesures prises, le cas échéant, contre une association seraient « plus ou moins graves selon la nature de l’illicéité ou du danger qu’elle présente. » « Le principe juridique de proportionnalité joue ici un rôle essentiel » rajoutait-il. Enfin, il se voulait rassurant, indiquant que « dans la pratique, les autorités […] n’ont fait usage de cette habilitation que dans les années trente et quarante, à l’encontre de certains partis politiques. » Et en effet, c’est dans les années brunes que le parti communiste suisse fut interdit et dissous, dès 1937 à Genève et en 1940 sur le plan fédéral.

Qui est pacifique et démocratique?

Si la décision concernant Rhino – qui sera l’objet d’un recours – était confirmée, cette association aurait ainsi l’«honneur» d’être la première organisation progressiste à être interdite à Genève depuis le PC dans les années trente. Or RHINO cherche-t-elle à faire « triompher ses vues par des moyens autres que démocratiques et pacifiques », pour reprendre les termes du Conseil fédéral? Au contraire: pacifique l’occupation initiale des immeubles de RHINO l’a été, pacifiques les dix-huit ans de vie sociale de ce lieu irremplaçable le sont restés. Les seules velléités d’usage de violence dans cette affaire ont émané des propriétaires, qui ont exigé jusqu’ici sans succès, que la force publique soit mise en œuvre pour jeter ses habitant-e-s à la rue. Pour ce qui est des moyens démocratiques, parlons-en. Un commentateur relevait dans la Tribune de Genève que la dissolution de RHINO «tombait à pic» pour le premier débat au Grand Conseil… concernant l’initiative populaire cantonale lancée par RHINO afin que les citoyen-ne-s aient leur mot à dire sur l’avenir de ce lieu. Initiative signée par plus de 12 000 personnes!

Alors, que reproche-t-on à cette association que le président du parti libéral s’est cru autorisé au Grand Conseil à traiter de «bande de malfaiteurs»? Essentiellement de ne pas considérer que le sacro-saint «droit à la propriété» prime sur tous les autres droits!

Morale et droit absolu des propriétaires

Voyons cela de plus près. Dans la demande de dissolution de RHINO, déposée en avril 2005 par le cabinet de l’avocat d’affaires Bénédict Fontanet, on trouve des griefs parlants. Quant aux moyens employés par RHINO ceux-ci sont systématiquement présentés, de manière trompeuse on l’a vu, comme relevant de la «violence», de la «force», etc. L’association est même présentée comme le «bras armé» (sic!) des occupant-e-s. C’est tout juste si la «guerre contre le terrorisme» n’est pas invoquée pour justifier la liquidation nécessaire du pachyderme à la corne rouge.

Les différents recours en droit de RHINO sont traités d’«artifices», visant à prolonger une occupation qui serait non seulement illicite, mais aussi «illégitime». Au-delà du mensonge concernant le fait que RHINO aurait, par essence, vocation à entretenir un statut d’«occupation illicite», alors que tout le projet, les démarches et négociations entreprises par l’association visent à trouver une solution légale durable, on apprend dans ce texte que les buts de RHINO ne seraient pas seulement «illicites», mais encore «contraire aux mœurs»!

Démonstration, en résumé, de cette immoralité prétendue: non seulement le droit suisse mais aussi la « morale dominante » (sic!) « garantissent la propriété privée ». Dans les statuts de Rhino figurent notamment comme objectif le fait que « l’association s’efforce de soustraire les immeubles qu’elle occupe du marché immobilier et de la spéculation. » « Or une telle soustraction, contre la volonté des propriétaires, est illicite et évidemment contraire aux mœurs. » CQFD.

Jusque là, la «démonstration», prêterait à rire. On présente comme criminel et illicite non pas tels ou tels actes concret, mais bien un objectif idéal, de soustraire un bien de première nécessité et répondant à un besoin essentiel – en l’occurrence du logement – au marché et aux spéculateurs. On affirme le primat absolu du «droit à la propriété», allant d’ailleurs jusqu’à un «droit à la spéculation» implicite, en niant l’existence même d’autres droits relevant des libertés élémentaires, comme en l’occurrence la liberté d’association, le droit élémentaire et citoyen à utiliser les moyens juridiques et démocratiques existants pour défendre sa cause… ou le droit au logement, consacré par ailleurs par la Constitution genevoise.

Jugée à cette aune-là, toute volonté d’agir dans le sens d’une alternative à l’ordre dominant, sans parler même de rupture avec celui-ci, tout mouvement citoyen visant à faire primer les droits économiques et sociaux de la majorité sur les intérêts des possédants et des nantis, serait «illicite» ab ovo et initio et toute association allant dans ce sens – comme l’est par exemple solidaritéS – devrait être dissoute par décret sur le champ.

C’est Nöel pour Fontanet…

Mais la plaisanterie s’arrête quand on lit le jugement rendu par le tribunal. Dans les grandes lignes, celui-ci, tranche en faveur du raisonnement de Fontanet & Co. Il remet en cause, en tant que tel, l’objectif de «soustraction» du marché (et de la spéculation!) des immeubles en question et il présente l’action de RHINO comme étant « une obstruction systématique à l’exercice du droit de propriété » d’où il conclut que son «but réel» est illicite et que l’association doit être liquidée.

Nous reviendrons sur le combat spécifique de RHINO, sur sa place dans la défense du droit au logement et d’un espace culturel de la première importance à Genève. Nous reviendrons aussi sur la volonté du gouvernement et de la majorité du parlement d’invalider l’initiative populaire lancée par RHINO (IN 132) débattue au dernier Grand Conseil. Mais au-delà de cette bataille, répétons-le encore une fois, nous nous opposerons et nous appelons chacun-e à s’opposer, avec la dernière énergie, à la dérive liberticide représentée par cette tentative d’«exécuter» judiciairement une première association, qui résiste…

Pierre VANEK

  1. Art. 56 de la Constitution d’avant la révision totale de 1999.