Venezuela: apprendre d’un échec
Venezuela: apprendre dun échec
«Face aux résultats
serrés en faveur du «Non» à la réforme
de la Constitution, qui ouvrent la porte à un renforcement de la
droite, nous devons entamer une réflexion profonde. Elle devrait
nous être utile pour comprendre la situation que nous vivons et
celle que nous allons vivre dans les mois à venir, afin de
construire ce dont nous aurons besoin. Il est urgent et
nécessaire de changer et dapprofondir notre
réflexion: cest la tache de ceux-celles qui croient et
luttent pour un Venezuela socialiste. Les bilans et analyses
contradictoires se multiplient: la droite et
limpérialisme débattent de la façon de
continuer à affaiblir le processus, tandis que les secteurs
bureaucratiques essaient de cacher leur responsabilité par
rapport à ce qui vient darriver.» Voici le bilan
dun collectif de militant-e-s de la gauche
révolutionnaire, après léchec du
récent référendum chaviste. Nous en publions ici
de larges extraits.
Nous qui avons fait campagne pour le «oui» en essayant
dapprofondir le processus révolutionnaire, qui avons mis
tous nos efforts pour affronter limpérialisme, les
patrons et les médias privés pendant tous ces mois, nous
avons besoin de réfléchir profondément, de
proposer, de souligner de nouveau les problèmes existants. Nous
croyons quils sont une des raisons de notre défaite
actuelle. Nous voulons faire ce débat et cet échange de
propositions avec les millions de gens qui ont voté
«oui», mais aussi avec les secteurs de base des
travailleurs-euses et pauvres du pays qui ne lont
malheureusement pas fait, mais nont rien à voir avec
limpérialisme et lopposition.
Maintenir lobjectif socialiste
En premier lieu, nous croyons que toute proposition doit être
conçue à partir de la réaffirmation de
lactualité de la lutte pour transformer le Venezuela en
un pays socialiste. Aucun des problèmes que nous avons ne peut
être résolu dans le cadre du capitalisme qui domine encore
dans notre pays. Profitant de cette défaite, de nombreux
secteurs y compris au sein de lappareil
dÉtat vont faire pression et essayer de montrer
quil était erroné de parler de socialisme
(
). [Pourtant,] reculer dans ce domaine marquerait la
défaite du processus révolutionnaire. Discutons des pas
que nous pouvons faire, des mesures quil est nécessaire
de prendre, de comment reformuler lorganisation partidaire,
sociale et les prises de décision, afin de maintenir fermement
le cap vers le pays dont nous avons besoin.
Si un secteur important des électeurs-trices chavistes
sest abstenu, et quun secteur a même fait
lerreur de voter «non», cela répond à
des causes profondes que nous ne pouvons ignorer. (
) Il est
évident que le poids des médias privés et les
moyens quont encore les secteurs patronaux pour faire campagne
aux quatre points du pays pèsent. Mais il y a aussi
dautres problèmes, de la responsabilité directe du
gouvernement, en premier lieu davoir proposé une
concentration excessive du pouvoir entre les mains du Président
(avec sa réélection indéfinie, le choix des
vice-présidences, etc.), ce qui na pas été
apprécié par un secteur qui avait pourtant voté
pour Chávez en décembre dernier.
[De même,] le gouvernement parle du projet socialiste et de
légalité, mais il ne résout pas les
problèmes sociaux cruciaux, comme
linsécurité, le logement, les bas salaires de
larges couches de la population, alors que des secteurs enrichis
disposent encore de grandes entreprises et maintiennent leur pouvoir
économique et politique. Nous savons que des conquêtes
sociales très positives ont été introduites et que
la réforme en apporterait dautres, mais les
révolutions ont des lois incontournables: pour avancer, il faut
prendre des mesures claires qui affaiblissent le pouvoir
économique capitaliste et sorientent en fonction des
besoins sociaux. Dans ce domaine, malgré des pas importants,
nous sommes encore bien en deçà du nécessaire.
Cette collision entre la campagne médiatique de la droite et les
problèmes réels toujours non résolus est à
lorigine des doutes, de la méfiance et de la peur dans un
secteur de notre propre base sociale.
Les résultats de dimanche ont montré quune large
partie de la population partage lidée davancer
vers le socialisme. [Pourtant,] des secteurs qui sont partie prenant du
processus ont malheureusement appelé à voter
«non», à sabstenir ou à voter nul,
collaborant de fait avec la droite. Certains, comme Podemos1 ou Baduel2,
parce quils ont opté en faveur dun projet
antisocialiste. Dautres, parmi les dirigeants syndicaux et
sociaux, ont refusé dappeler à voter
«oui» par sectarisme et ont ainsi aidé la droite
à gagner dune très courte tête. Il
nen reste pas moins, que [nous devons nous] mobiliser pour
conquérir dès maintenant la journée de 6 heures de
travail, y compris dans le secteur informel, la sécurité
du logement, la propriété de la terre, ainsi que
dautres mesures figurant dans la proposition de réforme.
[Nous devons nous souvenir que] cer-tains opposant-e-s à cette
réforme disaient quon pouvait obtenir ces conquêtes
sans passer par elle.
Non à la bureaucratie et la corruption
Une structure bureaucratique et corrompue mine les gouvernements des
Etats, les mairies et les ministères. Elle est le produit des
problèmes sociaux non résolus, mais conduit à une
situation sans issue. Il faut prendre ce problème à la
racine sous peine de perdre le processus révolutionnaire. Comme
les militant-e-s de Marea Clasista y Socialista (Marée classiste
et socialiste) lavaient déjà revendiqué: il
est nécessaire den finir avec les fonctionnaires
enrichis, avec ceux qui font des affaires avec des secteurs du pouvoir
économique, avec ceux qui se promènent en Hummer et
autres types de camionnettes luxueuses. Les Ministres qui attaquent les
droits de la base représentent des obstacles, comme
lactuel Ministre du Travail et toute son équipe
(
). Le Président doit se concentrer sur ces enjeux qui
ont lourdement pesé sur les votes en faveur du «non»
ou de labstention. Tous les secteurs socialistes bolivariens
confondus attendent un changement profond de léquipe
gouvernementale: ce sont ces fonctionnaires qui démoralisent la
base, qui éloignent les travailleurs-euses et les pauvres du
processus. Ce sont eux qui nont pu convaincre certains secteurs
de voter pour le «oui», car ils indiquent quotidiennement
quils font tout le contraire de ce quils disent.
Notre processus révolutionnaire a besoin dun changement
profond et urgent. Il le mérite. Le temps nest plus aux
changements superficiels, par ailleurs impossibles. Il faut ouvrir le
débat sur les grandes décisions économiques et
politiques avec la base et les organisations sociales et politiques
liées au processus. Il faut en finir avec les fonctionnaires
choisis à discrétion qui nagissent quen
fonction de leurs intérêts personnels. Il faut
réviser le rôle des ministres et des ministères du
Pouvoir Populaire, pour que toutes les décisions prises soient
débattues et décidées par les secteurs populaires
concernés. Il faut en finir avec les salaires de fonctionnaires
qui vivent dans un Venezuela «Saoudite», achètent
des propriétés et résident dans des hôtels
luxueux. Cela na rien à voir avec un projet socialiste.
Nous réclamons le renvoi de ces fonctionnaires inefficaces et
sans scrupules. Il faut laisser la place à ceux et celles qui
travaillent pour le processus, aux véritables leaders ouvriers,
populaires, paysans et étudiants, qui sont partie prenante de
leurs secteurs sociaux et leur reflet direct.
Organiser les secteurs honnêtes et conséquents ( )
Pendant la campagne pour le «oui», nous avons maintenu
notre vision critique, comme lont fait des milliers de
compatriotes au sein du Parti socialiste unifié du Venezuela3
et des mouvements sociaux. Dans toutes les manifestations pour le
«oui», on respirait une ambiance de soutien à
Chávez et au processus, combiné à un sens critique
et à lintuition que de grands problèmes demeurent.
Nous sommes des milliers et des milliers à appuyer
Chávez. Nous sommes descendus dans la rue pour soutenir les
revendications salariales, paysannes, de logement, etc. Nous avons
débattu ensemble pour empêcher que le PSUV ne se
transforme en un nouvel organe bureaucratique (
), comme le
veulent certains secteurs de lappareil qui contrôlent ses
premiers mois de vie. Nous avons été nombreux à
lavant-garde de la campagne pour le «oui» et nous
nallons pas accepter que le Congrès essaie maintenant de
maintenir les vices bureaucratiques qui ont mené à la
situation que nous vivons.
Pour sortir de cette situation et pour que le processus puisse
sapprofondir, le pouvoir doit véritablement passer aux
mains du peuple et de ses organisations. Le Congrès du PSUV doit
devenir la plus démocratique des instances, dans laquelle nous
pourrons tous prendre parti, proposer, critiquer et décider pour
le mieux de la révolution bolivarienne, sans restriction ni
ingérence bureaucratique qui empêchent la discussion libre.
Nous avons une immense confiance dans la poursuite du projet
socialiste: nous pourrons tenir tête ainsi à
nimporte quelle tentative de la droite. Mais la confiance doit
aller de pair avec lunité et lorganisation dans la
construction despaces communs pour débattre de tous ces
thèmes. Nous mettons la publication de Marea et nos meetings au
service de ces besoins. Il est indispensable que la base et les
militant-e-s les plus conscients et les plus honnêtes du
processus disposent despaces communs.
Avec les centaines de dirigeante-s syndicaux classistes et populaires
du pays, et avec les dizaines de milliers de militant-e-s du PSUV, nous
avons été là où nous devions être,
avec le peuple bolivarien, affrontant lempire et la droite en
faisant un effort maximum pour approfondir la révolution. Nous
sommes satisfaits de cela. Cette tache est toujours nécessaire,
cest pourquoi nous réaffirmons notre engagement dans le
processus révolutionnaire et notre détermination à
résoudre les problèmes sociaux en permettant aux
travailleurs-euses et au peuple de gagner les conquêtes sociales
qui étaient dans le projet de réforme. (
) Bien
sûr, Chávez a le droit dexprimer ses opinions et
propositions. Mais il a aussi la responsabilité
découter la base et de souvrir aux changements que
la réalité impose.
Caracas, le 3 décembre 2007
* Stalin Pérez
Borges, Vilma Vivas, Marco García et Ismael Hernández ont
signé cette déclaration au nom de Marea Clasista y
Socialista (Marée classiste et socialiste) MCS au lendemain de
léchec du référendum de réforme de
la Constitution du 2 décembre, le «non» y ayant
remporté 51% des suffrages. MCS est un regroupement des
militant-e-s de la gauche révolutionnaire, dont des dirigeants
syndicaux de lUNV et des militant-e-s qui avaient initié
la construction du Parti révolution et socialisme en 2005 et ont
décidé de rejoindre le Parti socialiste unifié
(cf. note 3). Ce texte est paru dabord sur le site
www.aporrea.org.
1. Podemos («Pour la démocratie sociale») est un
parti politique de centre-gauche, issu dune scission du MAS en
2003, qui a pris ses distances par rapport à Chávez en
2007, lorsque ce dernier a lancé le projet du Parti socialiste
unifié du Venezuela. Podemos a fait campagne contre le projet de
réforme de la Constitution.
2. Le général Raul Baduel était commandant de la
base de Maracay lors du coup dÉtat manqué de 2002.
Il avait alors menacé de marcher sur Caracas contre les
putschistes. Il a été promu chef de larmée
jusquà sa retraite, à 50 ans, puis Ministre de la
défense. En avril 2007, il avait critiqué Chávez
en désapprouvant le nouveau slogan de larmée
(«La Patrie et le socialisme ou la mort!»); en juillet, il
a quitté le gouvernement; en novembre, dans une
déclaration très médiatisée, il a
assimilé la réforme de la Constitution à un
«coup dÉtat».
3. Le Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV), dont
lidée a été lancée par Hugo
Chávez lors de la campagne électorale de 2006, a
commencé à se former en avril 2007. Fin juin, lorsque les
inscriptions des candidatures ont été terminées,
il comptait 5,7 millions «daspirants». A
lexception de Podemos (6,5% aux dernières
élections), de Patria para Todos (5,13%) et du PC
vénézuélien (2,94%), lensemble des partis
qui soutenaient alors le gouvernement bolivarien ont
décidé dintégrer le PSUV. Au sein de la
gauche révolutionnaire et du syndicalisme classiste,
lattitude à observer envers le PSUV a provoqué des
divisions. Le principal courant ayant décidé dy
entrer sest regroupé au sein de Marea Clasista y
Socialista.