Ouverture des magasins: divisés, les socialistes cèdent aux pressions de la droite

Ouverture des magasins: divisés, les socialistes cèdent aux pressions de la droite

Après plusieurs années
de tractations en coulisses, le Conseil d’Etat, par la voix du
chef du département de l’économie Bernard Soguel
(PS), a soumis au Grand Conseil un projet de loi sur le commerce et les
établissements publics, d’office présenté
comme un compromis.



Au coeur de la controverse, deux questions:
•    l’interdiction de la vente
d’alcool dans tous les shops des stations-service situés
sur le territoire cantonal et l’interdiction de la vente
d’alcool entre 20 h. et 6 h. dans tous les magasins du canton;
•    les heures de fermeture des magasins.

Pour limiter la surconsommation d’alcool – dont les restes et les
débris encombrent la voie publique- qui expédie
régulièrement les victimes aux urgences des
hôpitaux, solidaritéS avait déposé un projet
de loi interdisant la vente d’alcool à l’emporter
après 20 h. et dans les shops. Sur ce point, le Conseil
d’Etat n’a pas transigé: cette limitation de la
vente d’alcool est maintenant inscrite dans la loi. Un motif de
satisfaction, mais qui ne suffit pas à faire passer la pilule
amère de l’ouverture prolongée des magasins
adoptée par le Grand Conseil.

Les patrons de la branche, relayés au Parlement par leurs
défenseurs (radicaux-libéraux-UDC), refusaient toute
idée de restriction de la vente d’alcool et voulaient
l’ouverture de tous les magasins au minimum jusqu’à
20 h. du lundi au vendredi et jusqu’à 18 h. le
samedi.  Les député-e-s des partis
radicaux-libéraux-UDC se sont escrimés à
défendre la vente d’alcool et la prolongation de
l’ouverture des commerces jusqu’à 20 h. Ce sont bien
sûr les mêmes qui se plaignent de la démission des
familles dans l’éducation des enfants. Hypocrites!

Les syndicats quant à eux avaient apporté une
pétition au château exprimant un refus clair de toute
nouvelle dégradation des conditions de vie du personnel de la
vente.

Le «compromis» du Conseil d’Etat consistait en une
restriction de la vente d’alcool, mais avec l’acceptation
d’une dégradation (dite modérée ) de la
situation pour le personnel: ouverture des commerces du lundi au
vendredi jusqu’à 19 h. (clients servis
jusqu’à 19h30), maintien de 20h. le jeudi et suppression
de la demi-journée de fermeture pour les commerces ouvrant le
samedi.

Certains socialistes optent contre l’unité à gauche, pour les alliances à droite…

Le groupe PopVertsSol avait déposé des amendements
relayant les demandes des syndicats. Le PS, divisé, les a fait
échouer. Le Parlement cantonal est composé de 57
élu-e-s de droite (40 radicaux-libéraux, 17 UDC) et de 58
élu-e-s de gauche (41 socialistes, 10 Verts, 6 POP, 1
Solidarités). Si la gauche avait voté en bloc,
l’ouverture des commerces resterait fixée à 18h30
(caisses ouvertes jusqu’à 19h.), ce qui est
déjà bien assez pénible pour le personnel. Que la
droite vote comme un seul homme en faveur des demandes des patrons de
la vente n’étonne personne, mais quels sont les arguments
du Conseil d’Etat qui ont convaincu les socialistes?

L’argument premier, c’est la concurrence intercantonale.
Comme pour la fiscalité, chaque canton essaie d’attirer
les consommateurs-trices en dérégulant le commerce un peu
plus que ses voisins.C’est d’abord un argument patronal,
car en réalité les courses hors du canton se font surtout
le samedi, pendant l’horaire normal et toutes les
expériences d’ouverture prolongée (pendant
l’eurofoot ou le jeudi jusqu’à 20h.) montrent
qu’en réalité très peu de personnes font
leurs courses après 18h30 et qu’en particulier dans les
petits commerces, la faible affluence ne justifie pas une ouverture,
même du simple point de vue des coûts. D’ailleurs
dans les centres ville, seules les grandes enseignes ouvrent le jeudi
soir. Le marché n’est pas extensible à loisir, et
la consommation ne va pas augmenter parce qu’on prolonge
l’ouverture des commerces.

Le second argument, c’est le confort personnel et la soi-disant
modernité d’avoir des commerces ouverts plus longtemps.
Pourtant chacun-e le sait, les vendeuses et les vendeurs connaissent
des conditions de travail dures, avec des horaires irréguliers,
non planifiés, de longues heures debout ou coincés
derrière une caisse, des salaires bas voire très bas et
aucune convention collective ne couvre toute la branche.

La prolongation d’ouverture d’une demi-heure signifiera
concrètement que des femmes et des hommes rentreront à
20h, après une journée de travail épuisante.
Refuser de travailler jusqu’à cette heure-là sera
dès maintenant un motif de licenciement. Les patrons de la vente
ne se feront pas faute de le rappeler à leur personnel. Que des
socialistes n’aient pas voté pour soutenir les amendements
de PopVertsSol et ainsi reconnaître qu’il est inadmissible
de prolonger sans contrepartie le temps de travail dans la vente en dit
long sur le «socialisme» qu’ils-elles
défendent!

Les patrons jubilent

Ils ont réussi à mettre un gouvernement (et un parlement)
à majorité de gauche dans leur poche. C’est eux qui
sont à l’offensive, c’est eux qui marquent des
points. Et comme ils l’annoncent déjà, ils
n’entendent pas en rester là. L’appétit vient
en mangeant. En vue des élections cantonales du printemps
prochain la droite a déjà laissé percevoir son
intention de lancer une initiative pour l’ouverture des commerces
à 20 heures tous les jours, avec dans la ligne de mire la
levée de toutes les limitations.

Comment s’opposer à cette dérive inacceptable?

Le personnel de la vente est, pour l’instant, peu organisé
syndicalement. C’est un secteur où le
mécontentement est grand, mais malheureusement la peur du patron
l’est plus encore. Organiser la résistance ouvrière
dans la vente reste un travail de longue haleine.

La loi sur le commerce et les établissements publics qui vient
d’être adoptée au Grand Conseil (sans la voix de
solidaritéS…) élargit les heures d’ouverture sans
rien dire évidemment sur les salaires ni sur les conditions de
travail des employé-e-s.

solidaritéS  estime qu’il faut corriger le tir.
C’est pourquoi nous appelons les syndicats et la gauche à
lancer une initiative législative annulant, dans la loi sur le
commerce et les établissements publics, les articles  qui
prolongent l’ouverture des commerces. Quant aux trop bas salaires
des vendeuses et des vendeurs, c’est le projet de loi
déposé en janvier 2008 par solidaritéS en faveur
de l’inscription dans la Constitution d’un salaire
minimum  qui devrait permettre à la gauche unie de trouver
une solution. Saura-t-elle cette fois s’unir?

Henri Vuilliomenet