Pour une prévoyance vieillesse solidaire (I) : un deuxième pilier de moins en moins crédible

Pour une prévoyance vieillesse solidaire (I) : un deuxième pilier de moins en moins crédible

La crise financière et la
dégringolade des bourses, les décisions
fédérales visant à diminuer les rentes du
deuxième pilier (diminutions du rendement et du taux de
conversion, cf. encadrés), la recapitalisation des caisses
publiques, l’initiative «Pour un âge flexible de
l’AVS», et les contre-arguments de Couchepin, voilà
qui rend d’actualité le débat sur la
prévoyance vieillesse.

L’initiative du PS et de l’USS pour des rentes AVS
non diminuées dès l’âge de 62 ans va à
contre-courant de la volonté de la droite de diminuer de
manière constante les prestations vieillesse, et c’est
pourquoi il faut la soutenir, malgré ses limites et ses
ambiguïtés (passage de l’âge terne AVS des
femmes à 65 ans, retraite à 62 ans pour les petits
revenus quasiment illusoire, vu que l’AVS est loin d’offrir
un revenu permettant de vivre).

Ceci dit, une véritable proposition politique pour une
prévoyance vieillesse solidaire doit être globale, et
répondre aux projets néolibéraux.

Que visent les néolibéraux?

Les prestations sociales sont une des cibles principales des
néolibéraux. Pour les prestations vieillesse, cela se
traduit à trois niveaux:

  • L’augmentation de l’âge de la retraite à 67 voire 70 ans.
  • La diminution des rentes du deuxième pilier.
  • L’individualisation de la prévoyance vieillesse.

L’argument pour l’augmentation de l’âge de la
retraite se limite au constat de l’augmentation de
l’espérance de vie. Parce que l’on vit plus
longtemps, il faudrait travailler plus longtemps. Tant que l’on
est capable de travailler, il faut travailler. Et pourtant la
possibilité de profiter d’une retraite durable, en bonne
santé, est certainement préférable pour une
majorité de travailleuses et travailleurs.

Alors vient l’argument: «Ça coûte plus cher,
on ne peut pas supporter ces coûts.» La
malhonnêteté de cet argument, c’est qu’il
mélange un constat réel, objectif, l’augmentation
de l’espérance de vie, avec un choix politique, jufeant le
coût insupportable.

De plus, deux données montrent le mensonge contenu dans cette
notion d’«insupportable»: l’augmentation de
l’espérance de vie est d’environ 1,3 % par
année, et l’augmentation moyenne du PIB, qui est la mesure
des richesses produites, est de 2,9% par an ces 10 dernières
années. En d’autres termes, si l’on consacrait
chaque année la même part des richesses produites à
la prévoyance vieillesse, on pourrait non seulement payer les
rentes plus longtemps, mais même les augmenter!

Une diminution sournoise

La diminution des rentes du deuxième pilier est plus sournoise.
Elle est aussi «justifiée» par l’augmentation
de l’espérance de vie, avec en plus une volonté
d’évaluer à la baisse le rendement accordé
aux salariées et salariés. Elle est sournoise car elle se
traduit par de nombreuses mesures présentées comme
techniques et non politiques, et l’aspect difficile voire
rebutant de la technique permet à ces mesures
d’échapper en grande partie au débat
démocratique.

Taux de conversion, taux minimal, réserve pour fluctuation de
valeur, taux technique, ne sont pas des concepts que les travailleuses
et travailleurs utilisent quotidiennement.

Regardons comment cela fonctionne:

a) Taux de conversion (cf. encadré ci-dessous)

En 2006, décision de diminuer progressivement le taux de
conversion de 7,2% (femmes) et 7,1% (hommes) à 6,8% en 2014.
Comme il faut bien profiter des crises boursières qui font peur,
le Conseil Fédéral en a rajouté à la baisse
en septembre 2008, proposant de passer à 6,4% en 2011!

Taux de conversion

C’est le pourcentage qui permet de calculer le
montant de la rente annuelle pour un capital accumulé (appelé avoir de
vieillesse) au moment de la retraite. Si ce taux égale 7,1%, cela
signifie que la rente annuelle pour un capital de 100 000 francs égale 7100 francs.

Ce
taux est défini dans la loi, et s’applique au minimum LPP. Pour ce qui
concerne les prestations sur-obligatoires (celles qui dépassent le
minimum LPP), il n’y a aucune prescription, il est possible de prendre
un taux supérieur ou inférieur, ou de déterminer autrement le montant
de la retraite, par exemple en primauté des prestations. 

Concrètement, cela signifie qu’avec le même avoir
vieillesse, le même capital accumulé, après avoir
payé les mêmes cotisations, une majorité des
salariées et salariés (celles et ceux soumis au minimum
LPP et aux caisses qui suivront cette baisse) verront leur retraite
diminuée de 11,1% pour les femmes, et de 9,9% pour les hommes.
Pour bien évaluer le sérieux de ces mesures, il suffit de
savoir que la prévoyance vieillesse se gère sur le long
terme (20 ans et plus), et que 2 ans après avoir pris des
décisions censées être mûrement
réfléchies, le Conseil fédéral propose
simplement de doubler la baisse, en l’appliquant plus rapidement!
Et dire qu’une majorité de parlementaires vont approuver
cette manière de se moquer du monde.

Réserve de fluctuation de valeurs

Les normes comptables RPC 26
instaurent la nécessité, pour les caisses de pension, d’introduire une
réserve, donc d’accumuler un capital, pour se protéger des risques de
fluctuation de valeurs, concrètement les variations de la bourse. Ce
sont en général les banques (sans conflit d’intérêt??) qui évaluent le
montant de ces risques, et dans la pratique on observe que ces réserves
doivent correspondre à 20% du capital de la caisse. Comme en
capitalisation intégrale une caisse doit couvrir le 100% de ses
engagements, l’introduction de ces normes comptables implique que les
caisses doivent maintenant avoir un capital qui recouvre le 120% de
leurs engagements. C’est tout simplement une recapitalisation de 20%,
120 milliards pour l’ensemble de la Suisse! 

b) Autres moyens de diminuer les rentes

Ces autres moyens concernent le rendement minimal LPP,  les
réserves pour fluctuation de valeur (voir encadré
ci-dessus) et le taux technique.

Depuis son origine (1985), le deuxième pilier devait garantir
aux avoirs vieillesse des salariées et salariés un
rendement minimum de 4% (à comparer au rendement moyen entre
1985 et 2007 de 5,8%!).

2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
Taux minimal (%) 4 4 4 3.25 2.25 2.5 2.5 2.5 2.75
LPP- 40 (%) (*) 0.52 -4.58 -8.4 10.66 5.27 14.52 6.35 1.46 ?

* Cet indice calculé par la banque Pictet, donne le
rendement obtenu par un portefeuille moyen proche de celui des caisses
de pension

Sous la pression des assureurs privés et prenant prétexte
de 2 mauvaises années boursières, le Conseil
fédéral décida de diminuer ce taux (cf. tableau
ci-dessus).

L’effet sur les futures retraites d’une telle mesure est de
taille: Sur 40 ans de cotisations, le passage de 4% à 2,5%
diminue la retraite de 29%, et si cette différence n’est
appliquée «que» pendant 10 ans, la diminution de la
retraite atteint 10%.

Derrière ces pertes importantes pour les salariées et
salariés se cache une très nette différence de
classe: pour tout capitaliste qui se respecte, un rendements
inférieur à 10% est proche de l’inacceptable, par
contre, pour les travailleuses et travailleurs, un rendement de 2 ou 3%
est déjà trop pour ces milieux. L’Association
Suisse d’Assurances  détient un quasi record à
ce niveau: elle propose un rendement égal à 70% du
rendement des obligations de la Confédération sur 7 ans,
ce qui signifie par exemple un taux minimal de 1,75% pour 2009. En
d’autres termes 30% de moins que le rendement le plus simple et
le plus sûr disponible pour n’importe quel ignorant en
matière financière.

Ces éléments sont d’autant plus scandaleux si on
les met en relation avec le deuxième moyen sournois de baisser
les prestations de retraites: les réserves pour fluctuations de
valeurs. Il faut savoir que c’est par ordonnance, donc sans
débat démocratique ni possibilités de voies de
recours, que le Conseil fédéral a décidé,
en 2004, d’introduire de nouvelles normes comptables. On est en
plein dans le domaine de ces choses techniques difficilement
compréhensibles, qui ont pourtant des conséquences
vraiment importantes: elles augmentent simplement de grosso modo 120
milliards  de francs la capitalisation nécessaire des
caisses du deuxième pilier.

Ainsi, dans ce que certain-e-s décrivent comme une
démocratie modèle, il est possible d’introduire
sous le manteau, de manière bien cachée, une
recapitalisation de 120 milliards du deuxième pilier. Les
banques sont discrètes à remercier le Conseil
fédéral pour ce cadeau, puisque ce sont bien elles qui
vont gérer ces milliards.

Et ces réserves – ce ne devrait pas être une surprise –
ont des effets négatifs sur les prestations: tant que ces
réserves n’auront pas été mises de
côté, accumulées, les rendements supérieurs
aux minimas décrits ci-dessus ne peuvent pas être
attribués par exemple à l’indexation des rentes ou
à l’augmentation des avoirs vieillesse des actifs. Ils ne
peuvent servir à rien d’autre qu’à amortir
les fluctuations boursières.

Considérons maintenant ensemble taux minimas et réserve
de fluctuations de valeur, pour constater à quel point on se
fout de la gueule du monde: le seul rendement attribué aux
salariées et salariés devient peau de chagrin,
inférieur à ce qu’il est possible d’obtenir
sans aucun risque, mais il faut mettre de côté 120
milliards pour se préserver des risques!

Enfin le taux technique, qu’on ne va pas chercher à
expliquer longuement ici. On se contentera de signaler qu’il est
en relation avec les taux minimas et de conversion, mais
qu’à lui tout seul il peut permettre une baisse
supplémentaire des prestations retraites de l’ordre de 2
à 3 %.

Faisons le total de ces «décisions techniques»: 11%
pour le taux de conversion, 10% pour le taux de rendement, non
compensation du renchérissement «grâce» aux
réserves de fluctuation de valeurs, qui peut facilement
correspondre à 1% par an pendant 10 ans, donc encore 10% et 2-3%
pour le taux technique, on arrive à une diminution de un tiers
des rentes auxquelles salariées et salariés pensaient
avoir droit! Par exemple, on passe de 3000 francs à 2000 francs
par mois.

Troisième objectif néolibéral: L’individualisation de la prévoyance vieillesse

Cela commence par le passage quasiment généralisé
de la primauté des prestations à celle de la
capitalisation. Qu’est-ce que cela veut dire?  En
primauté des prestations, on définit le montant de la
retraite du deuxième pilier en fonction du dernier salaire, par
exemple 60% du dernier salaire brut, auquel s’ajoute la rente
AVS. Ainsi une salariée ou un salarié peut compter sur
environ 80% de son dernier salaire pour sa retraite. L’objectif
social est défini, il s’agit pour les caisses de prendre
les mesures pour que cet objectif soit garanti.

Dans le cas d’une primauté des cotisations, chacune et
chacun accumule son propre capital, dont le montant va
déterminer celui de la retraite. Dans un tel système, les
salariées ou salariés ne savent  pas la retraite
qu’ils auront mais supportent seuls les risques de mauvais
rendement, et toute forme de solidarité y est bannie. La
tendance, qui a déjà été
d’actualité aux Etats-Unis, est que chacune et chacun
reçoive une somme au moment de leur retraite, et qu’ils la
gèrent comme bon leur semble. Et tant pis pour toi si tu es un
mauvais boursicoteur, et tant pis pour tout le monde si la bourse
s’effondre. La prévoyance vieillesse à
caractère social disparaît en laissant la place à
une marchandise, source potentielle de profit privé.

Un autre projet

Ces perspectives de retraites qui partent en fumée et la crise
financière actuelle décrédibilisent fortement le
système suisse des 3 piliers, et en particulier le
deuxième pilier.

En d’autres termes, les conditions politiques sont favorables
à la présentation d’un autre projet et à la
lutte, peut-être même sous la forme d’initiative,
pour le mettre en pratique. Dans le prochain numéro de
solidaritéS, je reviendrai en détail sur un projet
possible, mais sachons déjà qu’il doit avoir comme
objectifs:

  • De garantir à l’ensemble de la population, sous la
    forme d’un système solidaire, une rente de l’ordre
    de 80% du dernier revenu, avec un minimum de 3500 francs mensuels et un
    plafond à définir.
  • De garantir le maintien du pouvoir d’achat par une
    indexation annuelle qui compense l’augmentation du coût de
    la vie.
  • De fonctionner principalement sur un financement par répartition.
  • De tenir compte des droits acquis d’une majorité des
    salariées et salariés, aussi bien financièrement
    que démocratiquement, par leur possibilité de participer
    à la gestion du système.

Cela est possible, nous en parlerons dans le prochain numéro!

Michel Ducommun