La crise économique globale: une opportunité pour changer les choses

La crise économique globale: une opportunité pour changer les choses

Profitant du fait qu’un certain
nombre de représentant-e-s de mouvements sociaux de quatre
continents sont rassemblés à Pékin pour le Forum
des Peuples Asie-Europe, le Transnational Institute et Focus on the
Global South ont organisé des réunions informelles du 13
au 15 octobre dernier. Nous avons fait le point sur la signification de
la crise économique mondiale et sur l’opportunité
qu’elle représente pour nous de porter à la
connaissance du public des alternatives prometteuses et
réalisables sur lesquelles beaucoup d’entre nous avons
travaillé depuis des décennies.

Ce texte est le produit collectif de nos nuits pékinoises. Nous,
premiers signataires, le soumettons comme une contribution aux efforts
entrepris pour formuler des propositions autour desquelles nos
mouvements peuvent s’organiser pour promouvoir un ordre politique
et économique radicalement nouveau. Pour éviter
l’apparition multiple de mêmes signatures, merci
d’ajouter votre nom et/ou celui de votre organisation dans la
section «Commentaires» de la version anglaise du texte sur
le site: http://casinocrash.org/?p=235#comments

La crise

Le système financier mondial se délite à
très grande vitesse. Ce mouvement intervient en parallèle
à une multiplicité de crises: alimentaire, climatique et
énergétique. Il affaiblit sévèrement le
pouvoir des USA et de l’UE, mais aussi celui des institutions
multilatérales qu’ils contrôlent,
particulièrement le FMI, la Banque mondiale et l’OMC.

Ce n’est plus seulement la légitimité du paradigme
néolibéral qui est en question mais bien le futur
immédiat du capitalisme.

Le chaos est tel au cœur du système financier mondial que
les gouvernements du Nord recourent à des mesures que les
mouvements progressistes défendent depuis des années,
comme la nationalisation des banques.

Ces solutions sont entendues toutefois comme des mesures de
stabilisation à court terme; une fois la tempête
apaisée, les banques retourneraient bien sûr au secteur
privé. Nous avons une fenêtre d’opportunité
immédiate pour faire en sorte qu’elles ne le soient pas.

Le défi et l’opportunité

Ces crises profondes nous ouvrent un terrain inexploré et la
chute s’annonce sévère. Les populations
s’enfoncent dans un sentiment profond
d’insécurité et de pauvreté et beaucoup des
personnes les plus vulnérables vont voir leur détresse
s’aggraver.

Nous devons résister, dans cette période critique, au
fascisme, aux populismes droitiers, aux sirènes
xénophobes qui chercheront probablement à tirer avantage
des peurs et de la colère des peuples.

De puissants mouvements d’opposition au
néolibéralisme ont émergé ces
dernières décennies. Cela va s’amplifier au fur et
à mesure que les analyses critiques de cette crise sont
portées à la connaissance des peuples;
déjà, ceux-ci expriment leur colère face à
l’utilisation de fonds publics pour régler des factures
dont ils ne sont pas responsables, alors qu’ils doivent
déjà faire face à la crise écologique et
à une inflation insupportable, particulièrement des
produits alimentaires et énergétiques. Les protestations
iront croissantes à mesure que la récession frappera
concrètement les populations et que les économies
entreront en dépression.

C’est pour nous une nouvelle opportunité de faire
émerger les alternatives que nous défendons. Mais pour
qu’elles retiennent l’attention du public, elles doivent
être concrètes et immédiatement réalisables.
Des alternatives existent qui sont déjà mises en pratique
et nous avons également beaucoup d’autres bonnes
idées qui ont déjà été
expérimentées dans le passé mais qui ont
échoué.

Ce sont le bien-être des populations et la planète qui
sont au coeur de nos alternatives. Mais pour y parvenir, le
contrôle démocratique sur les institutions
économiques et financières est indispensable. C’est
là le fil rouge développé à travers les
propositions présentées ci-dessous.

Propositions pour le débat, l’élaboration et l’action

Finance

•    Introduire la socialisation complète
des banques, et pas seulement la nationalisation de leurs mauvais
résultats

•    Créer des institutions bancaires
fondées sur les besoins et les demandes des populations,
renforcer les formes populaires de crédit basées sur le
mutualisme et la solidarité

•    Instituer la complète transparence du
système financier via l’ouverture des documents comptables
au public, avec l’appui des mouvements citoyens et des syndicats

•    Introduire la surveillance du système bancaire par les populations et les Parlements

•    Appliquer des conditionnalités sociales
(notamment sur les conditions de travail) et environnementales à
tous les prêts notamment ceux à vocation purement lucrative

•    Prioriser le prêt à des taux
d’intérêt minimum pour satisfaire les besoins
sociaux et environnementaux et élargir la sphère de
l’économie sociale

•    Restructurer les banques centrales autour
d’objectifs sociaux et environnementaux qui soient
démocratiquement définis, et les rendre publiquement
redevables de leurs résultats et de leurs impacts

•    Préserver les transferts
d’épargne des migrant-e-s à leurs familles et
introduire une législation restreignant les charges et les taxes
sur ces transferts

Fiscalité

•    Fermer tous les paradis fiscaux

•    Supprimer toutes les exonérations
fiscales aux entreprises du secteur des énergies fossiles et
nucléaires

•    Appliquer un système fiscal réellement progressif

•    Développer un système fiscal
mondial pour empêcher les comptabilités de transfert et
l’évasion fiscale

•    Introduire une taxe sur les profits des
banques nationalisées, qui permettra de développer des
fonds d’investissement citoyens

•    Imposer rigoureusement une fiscalité
progressive sur le carbone, sur les acteurs qui présentent les
empreintes écologiques les plus importantes

•    Adopter des instruments de contrôle,
comme la taxe Tobin, sur les mouvements de capitaux spéculatifs

•    Réintroduire des droits de douane sur
l’importation de produits de luxe et sur les autres biens
déjà produits localement, de façon à
rénover la base fiscale des Etats mais aussi à soutenir
la production locale et contribuer à la réduction des
émissions de carbone à l’échelle globale.

Dépenses publiques et investissement

•    Réduire radicalement les dépenses militaires

•    Rediriger les dépenses publiques
nationales prévues pour le renflouement des banques vers des
revenus minimum garantis et une sécurité sociale, et
fournir des services sociaux universels tels que le logement,
l’eau, l’électricité, la santé,
l’éducation, la petite enfance et l’accès
à Internet

•    Utiliser les fonds d’investissement citoyens pour soutenir les plus pauvres

•    Assurer le rééchelonnement
négocié de leurs échéances aux
ménages risquant de perdre leur logement en raison du manquement
au paiement de leur prêt immobilier

•    Stopper la privatisation des services publics

•    Etablir des entreprises publiques sous le
contrôle des Parlements, des communautés locales et/ou des
travailleurs-euses afin de développer l’emploi

•    Améliorer la performance des
entreprises publiques à travers une gestion plus
démocratique – encourager une gestion
collaborative entre les responsables de ces entreprises, leurs personnels, leurs usagers-ères et les syndicats

•    Introduire une planification budgétaire
participative pour toutes les dépenses publiques quelque soit le
niveau

•    Investir massivement dans
l’efficacité énergétique, dans des
transports publics peu émetteurs de carbone, dans les
énergies renouvelables et la rénovation des grands
équilibres environnementaux

•    Contrôler et/ou subventionner le prix des denrées de base

Commerce international et finance

•    Instaurer l’interdiction permanente et
globale des ventes à découvert de titres et actions

•    Interdire les marchés dérivés

•    Interdire toute spéculation sur les produits alimentaires de base

•    Annuler la dette de tous les pays en
développement – la dette augmente alors que la crise cause
la chute des monnaies des pays du Sud

•    Soutenir l’appel des Nations Unies
à participer aux discussions relatives à la
résolution de la crise, qui aura un impact beaucoup plus grand
sur les économies du Sud

•    Supprimer progressivement la Banque mondiale,
le Fonds monétaire international et l’Organisation
mondiale du commerce

•    Supprimer progressivement la suprématie
du dollar comme monnaie de réserve au plan international

•    Etablir une commission populaire de recherche
sur les mécanismes structurants d’un système
monétaire international juste

•    Garantir que l’aide internationale ne chutera pas en raison de la crise financière

•    Abolir l’aide liée

•    Abolir les conditionnalités néolibérales de l’aide

•    Remplacer le paradigme d’un
développement fondé sur les échanges
internationaux, et recentrer le développement durable sur les
productions à destination des marchés locaux et
régionaux

•    Développer des incitations pour les productions locales

•    Suspendre toutes les négociations
d’accords bilatéraux de libre-échange et des APE
entre l’UE et les pays ACP

•    Promouvoir la coopération
économique régionale, telle que l’UNASUR,
l’Alternative bolivarienne pour les Amériques, le
Traité des Peuples… qui encouragent un authentique
développement et la suppression de la pauvreté

Environnement

•    Introduire un système global de
compensation pour les pays qui n’exploitent pas leurs
réserves d’énergie fossile afin de limiter les
conséquences sur le climat, comme l’a proposé
l’Equateur

•    Payer des réparations aux pays du Sud
pour les désastres écologiques causés par le Nord,
afin d’aider les populations du Sud à gérer le
changement climatique et les crises écologiques

•    Mettre en œuvre de façon stricte
le principe de précaution de la Déclaration des Nations
Unies sur le droit au développement comme une condition basique
de tout projet de développement ou de nature environnementale

•    Supprimer les prêts pour les projets
“Mécanisme de développement propre” du
Protocole de Kyoto qui comportent des impacts environnementaux
négatifs, tels que la monoculture d’eucalyptus, de soja ou
d’huile de palme

•    Cesser le développement des
marchés de carbone et de toutes les techniques contreproductives
sur le plan environnemental, telles que la capture de carbone, les
agrocarburants, le nucléaire ou la technologie «charbon
propre»

•    Développer des stratégies de
réduction radicale de la consommation dans les pays riches tout
en promouvant le développement durable dans les pays les plus
pauvres

•    Introduire un management démocratique
de tous les mécanismes de financement internationaux de
réduction du changement climatique, avec une participation forte
des pays du Sud et des sociétés civiles

Agriculture et industrie

•    En finir avec le paradigme pernicieux du
développement “tiré par l’industrie”,
dans lequel le monde rural est pressuré pour fournir les
ressources nécessaires au soutien de l’urbanisation et de
l’industrialisation

•    Promouvoir des stratégies agricoles
visant la sécurité alimentaire, la souveraineté
alimentaire et la durabilité

•    Promouvoir les réformes agraires et
toutes les autres mesures de soutien aux agricultures familiales et aux
communautés paysannes et indigènes

•    Stopper la diffusion des monocultures destructrices sur le plan social et environnemental

•    Stopper les réformes du droit du
travail qui visent à augmenter le temps de travail et la
précarisation des travailleurs

•    Sécuriser les emplois en
déclarant illégal le travail précaire et
sous-payé

•    Garantir aux femmes des
rémunérations égales pour un travail
équivalent, à la fois en tant que principe de base mais
aussi pour augmenter la capacité de consommation des
travailleurs-euses

•    Protéger les droits des
travailleurs-euses migrants face aux suppressions d’emplois,
garantir leur réintégration dans les communautés
d’origine. Pour celles et ceux qui ne peuvent pas retourner dans
leur pays de départ, le retour ne doit pas être contraint,
leur sécurité doit être garantie et ils-elles
doivent bénéficier d’un emploi et des minima
sociaux.