« Punir l’ensemble des Palestiniens du seul fait qu’ils continuent à exister »
« Punir lensemble des Palestiniens du seul fait quils continuent à exister »
Un entretien avec Michael Warschawski.
Depuis le début des bombardements, il se démène.
Multiplie les articles, les interviews et les témoignages pour
alerter, dire lhorreur et appeler à un sursaut. Pour
montrer aussi quil existe encore des voix
israéliennes pour dénoncer la politique des bombes et du
massacre des civils. Il sauve lhonneur autant quil
sauvegarde lespoir, celui dun avenir pas forcément
cantonné au bruit du canon et au son des armes automatiques.
Cela fait quarante ans quil en est ainsi, que Michael
Warschawski a choisi le camp des Justes. En 1967, alors quil
suivait des études talmudiques à Jérusalem, ce
jeune homme né à Strasbourg a rejoint le mouvement
trotskiste antisioniste Matzpen, alors le seul groupuscule
israélien à sopposer à loccupation
de la Cisjordanie. Après avoir participé en 1982 à
la fondation de Yesh Gvul, un mouvement dofficiers de
réserve et de soldats contre la guerre au Liban, il a
créé deux ans plus tard le Centre dinformation
alternative (AIC), qui rassemble plusieurs mouvements pacifistes
israéliens et organisations palestiniennes. Son
ambition ? « Informer les Palestiniens sur ce qui
se passe en Israël et les Israéliens sur ce qui se passe
dans les Territoires palestiniens », explique-t-il.
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Si le mouvement pacifiste israélien
nest plus aujourdhui que lombre de lui-même,
effondré après léchec de Camp David,
Michael Warschawski na par contre rien perdu de sa
combativité. Et lauteur de Programmer le désastre,
la politique israélienne à luvre, livre
paru aux éditions La Fabrique et dans lequel il se livre
à un « démontage en règle des
mystifications sur le Proche-Orient, fabriquées et/ou
entretenues par les médias internationaux », clame
depuis le début des bombardements sur Gaza son indignation et
son horreur. Avec gentillesse, cette voix précieuse et juste a
accepté de répondre à quelques questions pour le
site Article11.
Vous êtes lune des rares voix israéliennes
à sélever pour dénoncer la folie de cette
guerre. Ces courageuses et salutaires prises de position vous
exposent-elles à des rétorsions ?
Non. Les citoyens juifs dIsraël
jouissent dune liberté dexpression et de
manifestation réelle, et ne subissent pas de répression
policière pour leurs opinions, aussi radicales soient-elles.
Cela na pas toujours été le cas, comme la
montré laffaire du Centre dinformation alternative
en 1987 et mon incarcération en 1990. Par contre, en temps de
crise, ces libertés publiques nexistent plus pour les
citoyens arabes dIsraël : la répression
policière contre les manifestations arabes, ces deux
dernières semaines, a été particulièrement
sévère, alors que les Juifs ont, en règle
générale pu manifester librement.
Israël a la puissance militaire, mais semble par contre avoir
perdu la guerre de limage. Cest votre sentiment ?
Tout à fait. Avec les nouveaux moyens de
communication, la censure ne peut plus empêcher de montrer les
horreurs provoquées par Israël, et dès lors
quon peut les voir, la propagande israélienne na
plus deffet, sauf auprès de ceux qui sont de toute
façon biaisés en faveur
dIsraël.
La désapprobation quasi mondiale qui ne cesse de monter
autour des bombardements israéliens peut-elle avoir une
quelconque influence sur la poursuite de ces derniers ?
Israël reste extrêmement dépendant
de lopinion publique internationale et de limpact
quelle a sur la communauté internationale. Les grandes
manifestations de solidarité avec le peuple palestinien dans le
monde entier ont fait bouger les politiques et, même si les amis
dIsraël, en particulier Sarkozy-Kouchner, lui ont permis de
gagner du temps, les Etats, lEurope et les Nations-Unies font
maintenant peser des pressions qui vont obliger Israël à
signer un cessez-le-feu.
Justement : êtes-vous déçu par
limpuissance européenne et par celle de
lONU ?
Il ne sagit pas dimpuissance, mais de
manque de volonté politique, voire, dans une large mesure pour
certains Etats, de collusion avec Israël, comme pour
lEgypte et la France.
Que vous inspirent les positions des pseudo-intellectuels
français, ces Bernard-Henri Levy ou André Gluscksmann qui
se poussent du coude pour soutenir les frappes ?
Des personnages comme Glucksman et BHL ne
mont jamais inspiré. Il sagit dun
phénomène très français, celui des
producteurs médiatisés. Je dis producteurs et non
« intellectuels », car sils produisent
abondamment des mots, ils nont pas créé une seule
idée nouvelle ou originale, copiant tout au plus et avec dix ans
de retards les idéologues néoconservateurs
américains. De plus, un intellectuel digne de ce nom et
il fut un temps où il y en avait de grands en France est
toujours un dissident et un combattant, pas un idéologue de
lordre en place. Médiatisés, car ce nest
pas dans le monde intellectuel ou universitaire quils brillent,
mais dans les paillettes des talk-shows. Qui a entendu parler de BHL
dans une université américaine ou asiatique ?
Ces chiens de garde de lordre nont
jamais créé une seule idée intéressante et
originale. Et face au carnage actuel, ils ne font quaboyer avec
les loups et chanter les partitions des fanfares militaires, avec moins
de talents que les Oz et Yehoshua (1) qui, chez nous, sont leurs
modèles ?
Comment réagit la société
israélienne ? Y a-t-il un mouvement pour dénoncer
les frappes, une prise de conscience de lhorreur de la
situation ?
Il y a un soutien populaire large à la
politique gouvernementale (85 % de la population juive
dIsraël). Le mouvement dopposition à la
politique de guerre du gouvernement est très minoritaire, mais
son action et sa voix sont visibles, en particulier à travers
les médias.
Comme Eric Hazan, vous défendiez lidée
dun Etat unique où coexisteraient pacifiquement
Israéliens et Palestiniens. Y croyez-vous encore, après
ce déluge de feu ?
LEtat démocratique ou binational
nest pas une solution politique à court terme, mais
dabord et avant tout une vision de ce de quoi lavenir
devrait être fait, basé sur une égalité
complète au niveau individuel (citoyenneté) et au niveau
des collectifs identitaires qui font la réalité sociale
de la Palestine, prise comme entité géographique. A
priori, il ne sopposait pas à une solution politique dans
le temps court qui serait fondée sur une partition entre deux
Etats.
Cela dit, si le compromis fait de deux Etats
coexistant lun à côté de lautre ne se
réalise pas dans ce temps court, soit dici une
demi-douzaine dannées, cette option perdrait toute
possibilité concrète dadvenir, et la seule option
réaliste serait un seul Etat. Mais cela signifierait
léchec dune solution dans le temps court, et la
perspective dune solution dans deux générations ou
plus encore. La vraie question est donc celle du temps :
solution à relativement court terme ou poursuite du conflit pour
encore longtemps.
Comment ne pas baisser les bras quand on a lutté pendant 40
ans pour des idées sans cesse battues en brèche, et
aujourdhui littéralement
pulvérisées ? Quest-ce qui vous donne la
force de vous battre encore pour la paix et lhonneur ?
Mes petits enfants. Si nous laissons les
brèches de la coexistence se refermer, ils nont aucun
avenir dans cette région du monde. Ils seront à leur tour
des réfugiés et je me sens devoir impérativement
tout faire pour que cela narrive pas.
Comment croire quun Etat qui déshumanise ainsi un
peuple quil sest décidé à
détruire puisse encore avoir un avenir ?
Comme je viens de le dire, il ny aura pas
davenir pour la communauté juive-israélienne si
elle ne rompt pas avec le colonialisme, et comme mentalité et
comme projet politique.
Dans Politis le 8 janvier, Bernard Langlois replaçait ces
bombardements israéliens dans la logique de laprès
11 septembre et de la doctrine néoconservatrice, écrivant
notamment : « Les zélotes
dIsraël, là-bas ou ici, ne cessent de nous le
rappeler : la vaillante armée de lÉtat
hébreu ne se bat pas seulement pour sauver la patrie en danger,
elle est aussi la première ligne de défense de
lOccident et de ses valeurs contre le terrorisme et la
barbarie. » Est-ce selon vous la meilleure grille
danalyse pour expliquer la conduite dIsraël ?
Je suis entièrement daccord avec
lanalyse de Bernard Langlois : le cadre de la guerre
israélienne est celui de la guerre globale contre les barbares
(assimilés aujourdhui à la civilisation musulmane)
et son idéologie celle du choc des civilisations.
Puisque le Hamas nest quun prétexte aux
bombardements, quel est lobjectif réel de
lintervention ? Quelles issues et échéances
voyez-vous à cette attaque ?
On a beau chercher dans les déclarations des
dirigeants israéliens, on nentend pas de réponse
à la question : quel est lobjectif de la
guerre ? En fait, il sagit dun mélange,
fait de guerre punitive (vous avez choisi le Hamas, vous allez le
payer), de volonté daffaiblir au maximum le Hamas (tout
en sachant que le succès sera limité), de tenter
dimposer le contrôle dAbbas (2) sur la Bande de
Gaza (ce qui serait la fin définitive de ce qui lui reste de
légitimité populaire) et du plus profond de
linconscient, de punir lensemble des Palestiniens du seul
fait quils continuent à exister.
En 2005, vous avez expliqué « aimer Israël
comme on aime lenfant dun viol ». En est-il
toujours de même ?
Comme on aime son fils ou son frère qui est
à la fois lenfant dun viol et un voyou brutal et
extrêmement dangereux pour lenvironnement et pour
lui-même. Vient un moment où il faut
larrêter, le traduire devant les tribunaux et le punir.
1 Amos Oz et Abraham Yehoshua : écrivains
israëliens, réputés pacifistes, qui
ont soutenu lopération Plomb fondu contre
la population de la bande de Gaza (réd).
2 Président – en fin de mandat – de lAutorité
palestinienne. Proche des milieux occidentauxs et symbole de la coupure
entre le peuple palestinien et lélite politique de
lOLP et du Fatah.