Manif anti-WEF à Genève : quel bilan ?
Manif anti-WEF à Genève : quel bilan ?
Nous publions ici deux contributions
à propos de cette manifestation et de lengagement de
solidaritéS par rapport à celle-ci. La première
ci-dessous, signée par Pierre Vanek, sefforce de
refléter la position de la coordination de solidaritéS
Genève. Le deuxième texte critique de la position
précédente est une contribution dEric
Decarro et de Christian Tirefort, qui traduit un point de vue dans
lequel se reconnaissent également un certain nombre de camarades
de solidaritéS-Vaud.
Éléments pour en débattre
Au final, environ un millier de manifestant·e·s se sont
rassemblés le 31 janvier à Genève pour protester
contre le World Economic Forum et les politiques capitalistes qui y
sont prônées.
Cela malgré linterdiction de la manif
décrétée la semaine davant par le
gouvernement genevois à majorité rose-verte
et
aussi sans doute du fait de cette même interdiction, pour la
contester et réaffirmer un refus de voir les libertés
publiques suspendues à Genève.
Cest aussi un dispositif répressif
comportant autant de policiers que de manifestant·e·s,
dont le coût officiellement admis avoisine un million et demi de
francs, avec un appoint deffectifs policiers, venus
dautres cantons allant jusquà Berne, qui
était mobilisé pour imposer le diktat inacceptable de
Laurent Moutinot et du Conseil dEtat genevois interdisant le
défilé prévu.
Après un rassemblement dont on savait
dès la veille quil serait sans doute
« toléré » avec
plusieurs prises de paroles, dont celles de Jean Ziegler contre le
« bal des vampires » de Davos notre
camarade Eric Decarro, qui faisait partie de la
« direction » de la manif, pour le compte du
Forum social lémanique (FSL), annonçait le refus
réitéré sur place par la police de tout
déplacement de manifestant·e·s.
Sensuivirent un mot dordre de
« dispersion » lancé sans grand effet
par Eric, au nom de de l« Assemblée
populaire » tenue mercredi soir et de sa décision
de renoncer à manifester si cétait impossible sans
confrontation violente, puis une tentative dun départ en
manif « quand même », brutalement
étouffé dans luf par la police, et un jeu
du chat et de la souris pendant deux heures entre flics et
manifestant·e·s.
Au bilan, la « Coordination
anti-WEF » se félicite du fait que
lopposition au Forum de Davos se soit « fait
entendre largement et pacifiquement », soulignant
labsence de casse et
l« absurdité » et la
« disproportion » du dispositif
policier
La police et le Conseil dEtat
sattribuant de leur côté le mérite
davoir neutralisé les dangers et les diables peints sur
les murailles de Calvingrad par les uns ou les autres depuis des
semaines.
Pour notre mouvement un bilan simpose
également. Dans ce sens, on peut relever les points
suivants :
solidaritéS était présent, de
manière significative dans la rue à Genève ce
samedi
un groupe de plusieurs dizaines de
militant·e·s sétant dailleurs
réuni avant la manif pour partager les dernières infos
sur les conditions de celle-ci et discuter de notre forme
dengagement, avant de nous rendre au lieu de rassemblement en
cortège, avec en tête notre banderole
dénonçant l«Arnaque globale
capitaliste »
Au-delà de cette présence visible, notre mouvement
a participé dans la dernière ligne droite
à lorganisation concrète de cette manif
dans la mise sur pied de laquelle nous ne nous étions pourtant
pas engagés. Cela contrairement par exemple au mouvement
syndical genevois (CGAS), qui a estimé que suite à
linterdiction de la manif les conditions de
« sécurité »
nétaient pas réunies pour y appeler leurs
membres
Dès linterdiction de la manifestation, fait grave
et sans beaucoup de précédents depuis longtemps à
Genève, nous nous sommes mobilisés avec énergie
pour nous opposer à cette mesure liberticide. Convoquant et
animant un rassemblement ad hoc sur ce thème et faisant entendre
un vigoureux message en défense du droit de manifester, en nous
opposant aussi aux exigences des autorités de
« privatisation » du service dordre de
la manifestation
qui renvoyait la responsabilité de
lordre public aux auteurs de la demande dautorisation et
leur reprochait de ne pas être à la hauteur pour le
garantir.
Lors de l« assemblée
populaire » du mercredi précédant la manif,
tenue pour préparer celle-ci et sopposer à son
interdiction assemblée avec une soixantaine de
participant·e·s, à laquelle nous avons
appelé nous avons appuyé le point de vue des
« organisateurs » initiaux de la manif
(Attac-Suisse et PdT notamment
) qui proposaient de retirer leur
demande de manifester initiale, de dissoudre la coordination ayant
porté laffaire jusque là et de
« refonder » une demande sur une base plus
large, englobant si possible les syndicats
Une voie qui aurait
rendu plus difficile au gouvernement le maintien de son interdiction de
manif et qui aurait permis de donner à celle-ci un contenu
social concret qui lui faisait défaut ainsi quune ampleur
plus conséquente.
solidaritéS a pourtant sans doute commis des erreurs.
Celle dabord de « prendre acte » trop
facilement de la démobilisation de tout le secteur
altermondialiste « historique » à
Genève et de son manque dengagement en vue cette
manifestation au cours des semaines la précédant, comme
aussi de labsence dintérêt ou
dengagement syndical concret en vue de lorganisation de
cette manif avant la toute dernière minute. Nous en avons
tiré la conclusion que les conditions dune manif
réussie nétaient pas réunies à
Genève et que notre mouvement navait pas à se
substituer au secteur défaillant. Il aurait sans doute fallu de
notre côté de manière volontariste,
réveiller ce milieu pour débattre de la manif. Le FSL par
exemple aurait pu-dû être tiré de son sommeil plus
tôt
Nous avons, dun autre côté,
sous-estimé la mauvaise foi et le manque du minimum de sens
démocratique du Conseil dEtat qui a refusé la
demande dautorisation de la manif, sur recommandation
dune police qui se trouvait face à des interlocuteurs
quelle ne connaissait guère et quelle sest
permis de juger comme peu crédibles, et sous pression
dune campagne de droite visant à exploiter le spectre
ou la réalité espérée
dun remake de la « casse » en marge de
la manif contre le G8 en 2003.
Partant de notre évaluation politique et dune
intention, pour notre part, daller protester à Davos
même où une manif était, une fois
nest pas coutume, autorisée ainsi que de toutes
les déclarations des autorités comme de la police, selon
lesquelles la manif genevoise serait en principe autorisée, nous
avons communiqué trop brutalement notre décision de non
participation à lorganisation de cette manif (voir
le communiqué paru dans le dernier solidaritéS), qui a
ainsi pu être abusivement exploitée par les
autorités dans les médias à lappui de leur
position. Cela malgré notre prise de position claire et
explicite à ce sujet en préambule à notre position
concernant la manif et qui disait par avance notre ferme opposition
« à toute mise en cause des libertés
publiques et du droit de manifester à cette
occasion ».
Ainsi, on peut penser aujourdhui que solidaritéS
navait « pas le choix » den
être ou de ne pas en être et aurait dû
sengager dès le début dans lorganisation de
cette manifestation genevoise, y compris en posant publiquement notre
exigence dun engagement des acteurs de celle-ci à se
prononcer contre la violence, tant avant quaprès la
manif. (Point que nous avions soulevé, fin novembre
déjà, dans le petit cercle des organisateurs-trices et
qui navait pas reçu une réponse
satisfaisante !)
Par ailleurs, il vaut la peine de relever que :
En décembre, nous étions engagés
face à la crise dans lorganisation de la
manifestation à Genève « pour
défendre le climat et la justice sociale » dont
laxe correspond à nos yeux à une
priorité politique et semblait plus important que de ressortir
de sa boîte une dénonciation un peu rituelle du WEF
En décembre et en janvier, nous nous sommes
engagés de manière significative dans la mobilisation de
rue en solidarité avec le peuple palestinien contre
lagression militaire israélienne à Gaza. En
participant à de nombreuses manifs
dont il vaut la peine
de relever que lune dentre-elle réunissant
2000 personnes navait pas plus été
autorisée que celle du 31 janvier et sest tenue avec
notre appui
En désaccord avec la position de solidaritéS
En automne 2008, une réunion a été
convoquée à linitiative dAttac dans le but
dorganiser le 31 janvier à Genève une
manifestation contre le World Economic Forum (WEF). Nous avons
participé à cette réunion et sommes intervenus
pour inscrire la question de la crise au centre de la manifestation.
Nous avons ensuite transmis le dossier à solidaritéS
Genève pour quelle assure le suivi de cette mobilisation.
Ce nest que 15 jours avant la manifestation, que nous avons
appris par la presse que solidaritéS se distançait de
lappel à manifester. Lun de nous a
interpellé lorganisation à ce sujet et
exprimé son désaccord avec la teneur du communiqué
que solidaritéS sapprêtait à diffuser.
Mercredi 21 janvier, nous avons adressé un
message à la coordination de solidaritéS formalisant
notre désaccord avec ce communiqué qui prenait de fait
position, et de manière offensive, contre la manifestation
convoquée par la coordination anti-WEF. Ce communiqué
rendait un signalé service à tous les partisans
dune position dordre visant à interdire la
manifestation.
Nous estimions de plus inacceptable dinvoquer
largument « dune manifestation
hors-sol ». De nombreuses manifestations syndicales,
paysannes, anti-guerre ou pour les droits humains sont
convoquées dans ces conditions à Genève,
Bruxelles, Strasbourg ou Berne; elles nen sont pas moins
légitimes. Il appartenait dailleurs à
solidaritéS qui a participé à plusieurs
réunions de préparation délargir les
conditions dun soutien sur place, ce que lorganisation
na précisément pas fait.
Nous critiquions enfin lutilisation de
largument que « le capitalisme senfonce dans
une crise sans précédent depuis les années
30 » pour refuser de signer lappel à
manifester contre le WEF. Cest justement en raison de la crise
quil était encore plus important cette année de
manifester contre le WEF.
Avec sa position, solidaritéS, rompait le
front de gauche anticapitaliste en tentant de marginaliser les groupes
se référant au « bloc
révolutionnaire », lesquels disposent
aujourdhui dune base sociale indiscutable, avec la
précarisation croissante des jeunes. solidaritéS donnait
ainsi raison par avance à ceux qui voulaient criminaliser ces
camarades pour interdire la manifestation.
Les faits nont pas tardé à nous
donner raison : juste avant lenvoi de notre message, nous
avons appris que le Conseil dEtat interdisait la manifestation.
L. Moutinot et la droite libérale nont dailleurs
pas manqué de se référer à la position de
solidaritéS pour justifier cette décision.
Dès lors, nous avons fait tout notre possible
à titre individuel ou de membre du Forum social
lémanique (FSL) pour essayer délargir
lassise de la manif et faire lever linterdiction. En
apprenant la teneur du communiqué, le comité du FSL
sest rapidement réuni à linitiative de
plusieurs de ses membres. Il a pris publiquement position contre
linterdiction, soutenu la manifestation contre le WEF et, de
concert avec la coordination anti-WEF, lancé une invitation
à une assemblée publique pour exiger la levée de
linterdiction et maintenir lappel à manifester.
Bien fréquentée, cette assemblée a
constitué en tant que telle un élargissement de la base
politique organisatrice. Les participant·e·s ont
décidé à lunanimité de refuser
linterdiction de manifester, maintenir lappel et demander
durgence une entrevue avec le Conseil dEtat.
L. Moutinot nous a renvoyé au chef de la
police. Celui-ci nous a déclaré le vendredi quil
tolérerait un rassemblement, mais interdirait tout départ
en cortège. Nous avons plaidé en vain pour que la police
tolère la manifestation ce qui aurait permis de minimiser les
risques de débordement. Le samedi, malgré les actions
« préventives » de la police plus de
mille manifestants ont pu se rassembler. Sil y a eu des
escarmouches cest uniquement dû à
linterdiction signifiée par la police de se
déplacer selon le parcours prévu. Par contre, il
ny a pas eu la moindre casse.
Quelques commentaires politiques
1. Lattitude des représentants de solidaritéS dans
les dernières réunions de la coordination anti-WEF et de
lassemblée publique nous est apparue criticable. A aucun
moment ses représentants nont tenté de construire
un front anticapitaliste uni, encore moins de rassembler le plus de
forces possibles pour la réussite de la manifestation.
2. solidaritéS a systématiquement donné la
priorité aux accords dorganisation par rapport au soutien
militant de la manifestation. Ainsi son leitmotiv sur le
non-élargissement de la coordination et labsence des
syndicats. Le succès de lassemblée
générale du mercredi soir avant la manif na en
rien changé son positionnement: en maintenant obstinément
son refus de se joindre à la coordination anti-WEF, il a
largement contribué à lexpression des sectarismes
qui ont prédominé lors de la réunion du jeudi.
solidaritéS a opté pour une position « ni
dedans, ni dehors » difficilement compréhensible.
3. Dans cette affaire, solidaritéS a privilégié
ses intérêts dorganisation contre ceux du mouvement
dopposition au capitalisme. Non seulement il a donné des
prétextes aux autorités pour interdire la manifestation,
mais en plus il a accrédité lidée que la
violence était du côté des camarades du
« Black Block » et non du côté du capitalisme
qui affame les populations, détruit les équilibres
planétaires, sattaque aux rares acquis sociaux pour
sauver ses banques, exploite de plus en plus lourdement les
travailleurs quil emploie, exclut tous les autres et
péjore les conditions des sans emplois, conduit des guerres, etc.
4. La manif était clairement orientée contre la crise. Le
fait que solidaritéS ait refusé dappeler à
cette manifestation a décrédibilisé ses
protestations contre linterdiction. Cela montre aussi
quil ne prend pas vraiment cette crise au sérieux. Au
contraire, il continue son train-train comme si rien ne changeait. Or
cette manifestation était un moment lui permettant de proclamer
quil na certes pas de solutions
prédigérées, mais quil en débat,
quil appelle tout le monde à en débattre, parce
que la crise actuelle montre que non seulement le capitalisme
nest pas fiable en tant que système, mais quil est
destructeur et quil faut une autre société. 7