Soutenir Bil’in : faire connaître la résistance populaire non-violente du peuple palestinien

Soutenir Bil’in : faire connaître la résistance populaire non-violente du peuple palestinien

Israël a envahi des territoires palestiniens le 10 juin 1967
à la fin de la Guerre des 6 jours. Contraire au droit
international, cette occupation a conduit à leur
émiettement par la construction incessante de colonies au
mépris du droit et de la résistance des
Palestinien·ne·s. Mise en place dès 2002, la
prétendue « barrière de
sécurité » prétend justifier ce
processus.

    Depuis près de trois quarts de siècle,
le peuple palestinien revendique la reconnaissance de ses droits
nationaux. L’Etat d’Israël a opposé son
inflexible répression aux différentes formes de son
combat. Cette résistance, née avec les luttes de
libération des années 1950 à 1970, a
survécu à leur affaissement des années 1980 et
1990. Elle se poursuit dans des conditions difficiles.

    Les prétextes de
l’évangélisation et de l’éducation
étaient présentés hier pour dissimuler
l’intervention des canonnières et des rapaces. Les task
forces frappent aujourd’hui les peuples à coup
d’obus à l’uranium appauvri, de bombes à
sous-­munition ou de phosphore blanc au nom de la démocratie
et du droit des femmes. A nouveau, des armées occidentales
concourent au contrôle de précieuses matières
premières.

    D’autres pays occidentaux rejoignent
Israël dans un processus de recolonisation.
L’ennemi ? L’islam,
« l’islamisme », la culture de peuples
qui partagent le tort d’habiter une terre imbibée de
pétrole, d’avoir rêvé avec le nationalisme
arabe et l’Algérie en lutte pour son indépendance
et de vivre aujourd’hui révolte et déception.

    Depuis le 11 septembre 2001, une formidable
opération de propagande justifie la terreur en prétendant
combattre le terrorisme, à Gaza ou au Liban, en Afghanistan, en
Irak, en Iran, au Pakistan. Soucieuse de dissimuler sa
brutalité, la démocratie occidentale se reproche
d’avoir plié devant l’antisémitisme dans les
années noires du 20e siècle. Les sycophantes qui
soutiennent Israël contre les misérables qui vivent dans le
ghetto de Gaza, contre le Hamas, se revendiquent de la lutte contre
l’antisémitisme. C’est d’elle aussi, et du
souvenir de la Shoah, que se réclame l’Etat
d’Israël pour justifier sa politique anti-palestinienne.

    Comprendre la colère, expliquer le
désespoir ce n’est pas justifier. Les attentats kamikazes
étaient inacceptables et nous les avons condamnés. Et les
missiles envoyés sur Sdérot ? Mais peut-on ignorer
le carnage commis par Tsahal en guise de représailles ?

    Une résistance généreuse et
courageuse s’exprime dans toute la Palestine. La diabolisation
réduit le peuple palestinien à la violence aveugle et
l’ignore, comme elle ignore la solidarité que lui
témoignent des militant·e·s israéliens et
internationaux.

    Contre l’expropriation de leurs terres
agricoles pour y bâtir des colonies, contre la protection du
pillage colonial par la prétendue barrière de
sécurité, les villages de Nil’in, de Bil’in
et tant d’autres mènent depuis des années une lutte
opiniâtre dont l’opinion publique occidentale est
hélas trop peu informée. Car cette information est
indispensable pour dissiper l’ignorance à propos de la vie
quotidienne sous l’occupation israélienne. Sous sa botte,
chaque geste – l’éducation des enfants, la vie en
famille, la solidarité entre voisins – est un acte de
résistance. Il faut montrer les checkpoints, les
kilomètres et les heures perdus, les conséquences
mortelles de soins tardifs, les barrages qui interdisent aux
travailleurs-euses de rejoindre leur travail, la misère
qu’ils provoquent. Il faut dénoncer ceux qui tirent profit
des colonies et montrer l’importance, dans les pays occidentaux,
des actions de « boycott, désinvestissement et
sanctions » (BDS) que demandent les
Palesti­nien·ne·s et les
Isra­élien·ne·s conscients de la
nécessité d’affaiblir le racisme colonial
israélien.

    Le cinéaste israélien Shaï
Carmeli Pollak milite depuis des années avec les Anarchistes
contre le mur. Avec eux, il a participé aux manifestations
contre la prétendue « barrière de
sécurité » qu’organisent les
habitant·e·s de villages volés et humiliés.
Il s’est lié aux habi­tant·e·s de
Bil’in et à son Comité populaire et a entrepris de
raconter leur vie, leur combat. Achevé en 2006, son film
« Bil’in mon amour » a été
projeté en mai 2007 au Festival du Film documentaire de Nyon. Il
a gagné de nombreuses récompenses internationales. Ayant
pris part en 2007 à la Conférence internationale de
Bil’in, ACOR SOS Racisme a entamé une collaboration avec
Shaï Carmeli Pollak et le Comité populaire de Bil’in
pour aider à faire connaître sa lutte.

    Haytham al Khatib*, membre de ce Comité
populaire et le réalisateur israélien Shaï Carmeli
Pollak sont récemment venus à Genève
témoigner des conditions actuelles de la lutte, à
Bil’in et dans les autres villages de Cisjordanie, contre le mur
qui protège la colonisation de leurs terres.

    A l’invitation d’ACOR SOS Racisme, ils
ont pris part du 4 au 6 septembre à la Biennale Libre de
l’Image en Mouvement (BLIM) qui présentait les films de
Shaï Carmeli Pollak. Organisée par les Amis de
Saint-Gervais, elle a été un point fort de la campagne
« Sauvons la Maison de la Culture de Saint-Gervais ». Le 7
septembre, Rémy Pagani, maire de Genève, a reçu
ces deux militants, qui prenaient part, le lendemain, à une
soirée du Collectif Urgence Palestine (CUP-GE).

    Ce cahier informe sur une lutte qu’il appelle
à soutenir. Il présente deux articles
rédigés par Michael Sfard, avocat israélien de
Bil’in, dans le journal israélien Haaretz et par Mohamed
Khatib, animateur du Comité populaire de Bil’in, dans le
journal américain The Nation. Les deux expriment
l’importance pour eux du renforcement du soutien de
l’opinion publique occidentale à la cause du peuple
palestinien. La lutte non violente dont ils témoignent
disqualifie la propagande qui stigmatise les
Palestinien·ne·s.


Karl Grünberg

ACOR SOS Racisme

* Membre du Comité populaire de Bil’in.
Entre 15 et 17 ans Haytham al Khatib a passé deux ans en prison.
Il avait été raflé pendant la première
Intifada. Il se consacre au site de Bil’in et publie les films
qu’il tourne durant les manifestations. Pour les protéger,
il se consacre plus particulièrement aujourd’hui aux
photos et aux vidéos des soldats qui viennent de nuit rafler des
jeunes gens.


Bil’in, un village de Palestine, découvrez son combat, témoignez votre solidarité !

Chaque vendredi depuis février
2005, le Comité populaire de Bil’in (1700
habitant·e·s) marche sans violence malgré les
coups, les blessures, la brutalité militaire contre la
barrière qui coupe le village de ses terres agricoles, contre la
colonie construite sur celles-ci.

Tous les ans depuis 2006, une Conférence internationale
réunit trois jours durant à Bil’in les habitant-e-s
du village, les internationaux et les
Israélien·ne·s solidaires, les autorités
palestiniennes et des personnalités engagées dans la
défense des droits humains. Une délégation
suisse-romande croissante prend part à ses travaux.

    Très documenté, le site
www.bilin-­village.org/francais/ présente cette lutte et le
soutien à lui apporter. Un groupe de militant·e·s
israéliens, les Anarchistes contre le mur, développe
depuis des années des campagnes de solidarité avec les
villages palestiniens en lutte contre le mur. Son site :
www.awalls.org/qui_sommes_nous_francais. Le Comité populaire de
Bil’in et les Anarchistes contre le mur ont reçu en 2008
la médaille Carl von Ossietsky de la Ligue internationale des
droits de l’homme.

    Emmené par Desmond Tutu et Jimmy Carter, le
Comité des Sages s’est récemment rendu à
Bil’in. Ce soutien contribue à faire connaître leur
lutte et à desserrer l’étau de la
répression. Un procès en cours devant les tribunaux
canadiens contribue à la campagne BDS (Boycott, divestment,
sanctions).

Bil’in, un exemple de l’injustice subie en Palestine

La situation de Bil’in est à l’image de ce qui se passe dans toute la Palestine :

• L’occupation de la Palestine par les forces armées
israéliennes est condamnée par la résolution 242
de l’ONU ainsi que par la Cour Internationale de Justice (CIJ).
La colonisation, qu’elle soit légale ou illégale
selon Israël, a également été
condamnée par les résolutions 242 et 338.
• La construction du mur, l’annexion de terre pour en faire
des zones militaires, sont aussi condamnées par l’ONU, et
par la Cour Internationale de Justice (CIJ).
• La présence armée en territoire étranger
comme la vit le village de Bil’in, est une situation illicite
selon l’ONU, punissable d’une intervention armée
internationale, ainsi qu’une violation de la 4e Convention de
Genève.
• La répression armée des manifestations de
Bil’in, également interdite par toutes les cours et
instances internationales, est une violation des Droits de
l’homme, ainsi qu’une violation de la 4e convention de
Genève. Toutes formes de punitions collectives sont punissables
selon la 4e convention de Genève, et considérées
comme crime de guerre selon l’ONU.

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Quelques dates, quelques faits pour mieux connaître la lutte de Bil’in

Fin 2004 Des terres sont confisquées et l’armée communique l’ordre de construire le mur.

Février 2005 Le
Comité populaire de résistance contre le mur et les
colonies débute les manifestations non violentes à
Bil’in.

Octobre 2005 Bil’in
dépose plainte auprès de la Cour Suprême
israélienne et demande l’arrêt de la construction du
mur et des habitations dans le secteur de Mattityahu-Est.

Janvier 2006 La Cour Suprême israélienne ordonne d’arrêter la construction de logements à Mattityahu-Est.

Avril 2007 Deuxième édition de la Conférence sur la résistance non violente à Bil’in.

Septembre 2007 La Cour
Suprême israélienne juge que le mur porte préjudice
à Bil’in qui continue sa résistance non violente et
s’implique dans d’autres actions avec d’autres
villages et mili­tant·e·s israéliens contre
les routes d’Apartheid et contre l’occupation.

Juin 2008 Troisième édition de la Conférence sur la résistance non violente.

Juillet 2008 Bil’in
engage une action en justice contre les entreprises canadiennes Green
Mount Inc. et Green Park Inc. qui construisent et vendent des
habitations dans la colonie de Modi’in Illit. Après 10
mois et une nouvelle injonction du président de la Cour
Suprême, l’Etat d’Israël présente un
tracé alternatif pour le mur.

Août 2008 La Haute Cour
de Justice conclut le 3 août que ce nouveau tracé viole
l’arrêt de septembre 2007. Elle ordonne à
l’Etat de présenter un nouveau tracé le respectant.

Décembre 2008 La Haute
Cour de Justice ordonne une nouvelle fois le déplacement du mur
et déclare illégal le nouveau tracé proposé
par l’armée. L’Etat a l’ordre de se conformer
à un tracé excluant l’expansion des colonies et de
payer les frais de justice à Bil’in.

Avril 2009 Le 17 avril, lors de
la manifestation hebdomadaire, Bassem Abu Rahme est tué par une
grenade lacrymogène. Bil’in dédie à la
mémoire de Bassem sa 4e conférence sur la
résistance populaire.

Juin 2009 Mohammed Khatib et
l’avocate israélienne Emily Schaeffer font une
tournée au Canada pour parler de Bil’in et du
procès opposant le village aux 2 entreprises canadiennes. Lors
de la manif du 26 juin, le village reçoit le soutien de
l’auteure et militante altermondialiste canadienne Naomi Klein.

Juillet 2009 Les raids
nocturnes des forces d’occupation deviennent quotidiens.
17 activistes sont arrêtés dont 13 jeunes. Le
Comité Populaire demande l’intervention des instances
internationales et entame une campagne de manifestations nocturnes. Les
raids nocturnes ont débuté au moment où le
procès s’est ouvert au Canada.
KG
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Le mouvement de masse non-violent contre l’annexion face à une escalade meurtrière de la répression



Par Mohammed Khatib, animateur du
Comité populaire de Bil’in. Article paru dans
« The Nation », le 11 septembre 2009

Il y a quelques semaines, au cœur de la nuit, des dizaines de
soldats israéliens se sont violemment rués dans ma
maison. Pourquoi n’ont-ils pas tapé à la
porte ? Je la leur aurais ouverte. Ils m’ont
arrêté et laissé ma femme Lamia seule avec nos
quatre enfants. Khaled, le plus petit, il a 3 ans, s’est
réveillé avec l’image de soldats israéliens
à la face peinte qui emportaient son père. Depuis lors il
pleure sans arrêt. Il s’est récemment
réveillé terrorisé et sanglotant :
«Papa, pourquoi as-tu laissé les soldats
m’emmener ? ». C’est dans cette peur que
dorment constamment nos enfants.

    Beaucoup
d’Améri­cain·e·s savent que
l’administration Obama pousse le gouvernement israélien
à geler la construction des colonies. Mais savent-ils
qu’Israël, même s’il négocie avec les
USA, a pris des mesures, comme mon arrestation par exemple, pour
combattre le mouvement palestinien non violent qui s’oppose
à la construction des colonies et du mur sur le territoire
palestinien de Cisjordanie ?

    Les habitant·e·s de Bil’in et
d’autres villages n’ont cessé depuis plus de 5 ans
de protester contre le mur de séparation qui coupe le village de
ses terres pour assurer l’expansion des colonies
israéliennes. Nous avons porté notre cause devant les
tribunaux. En juillet 2004, la Cour internationale de justice de la
Haye a dit que le mur et toutes les colonies israéliennes
construits en Cisjordanie sont illégaux selon le droit
international. En septembre 2007, la Cour suprême
israélienne a jugé que le mur qui sépare
Bil’in de 50 % de sa terre est illégal selon la loi
israélienne. Mais le mur n’a pas encore été
enlevé.

    L’armée israélienne utilise de
façon croissante des armes létales et accroît sa
violence contre les manifestant·e·s. Elle arrête de
nombreuses personnes et de nombreux jeunes
manifestant·e·s. A Bil’in seulement, vingt-neuf
habitant·e·s ont été arrêtés
ces trois derniers mois. Douze d’entre eux sont des enfants.
Presque tous ont été raflés par
l’armée au milieu de la nuit. Leur détention a
été prolongée à plusieurs reprises.

    Mais les charges retenues contre eux sont sans
fondement. J’ai par exemple été accusé de
jeter une pierre. Je n’ai été libéré
sous caution, et à des conditions draconiennes,
qu’après que mes avocats ont montré au tribunal les
timbres de mon passeport : ils prouvent que je voyageais
à l’étranger au moment de l’infraction
présumée. Mon ami Adeeb Abu-Rahme, 37 ans et père
de neuf enfants, a été emprisonné durant plus de
six semaines et les charges retenues contre lui sont tout aussi
absurdes.

    A Bil’in, chaque vendredi nous marchons vers
le mur et protestons pacifiquement avec nos partenaires
israéliens et internationaux. Une fois par an nous organisons
une conférence internationale sur la lutte populaire
non-violente pour apprendre ensemble et nous inspirer de nos
expériences respectives : nous luttons ensemble pour
faire tomber les murs que l’occupation dresse entre les peuples.
Combien de fois n’avons-nous pas dit aux soldats
israéliens que nous n’avons rien contre eux comme
personnes mais que nous nous opposons à leurs actions de force
militaire d’occupation.

    Dix neuf manifestant·e·s ont pourtant
été tués par l’armée
israélienne lors de manifestations non violentes contre le mur.
Beaucoup d’autres ont été blessés, y compris
des Israélien·ne·s et des internationaux. A
Bil’in, nous avons perdu en avril notre ami Bassem Abu Rahme,
mortellement blessé par des soldats qu’il suppliait de
cesser de tirer sur les manifestant·e·s.

    Il y a quelques mois, les forces d’occupation
israéliennes nous ont prévenus de leur intention
d’écraser la lutte populaire. Pourquoi le gouvernement
israélien a-t-il décidé maintenant de renforcer la
répression des manifestations et d’écraser les
dirigeants du mouvement ? Peut-être a-t-il pris conscience
du développement de la lutte non violente ? Un nombre
croissant de villages la rejoignent, ils créent leurs propres
comités populaires et organisent à leur tour des
manifestations. La répression exprime-t-elle son
inquiétude face au développement du mouvement
international de boycott des entreprises et des hommes d’affaire
qui, comme Lev Leviev, sont impliqués dans le vol par
Israël de notre terre ? Craint-il peut-être que nos
manifestations apprennent au nouveau gouvernement US que le mur sert
à l’annexion de notre terre pour y construire des colonies
et que les protestations non-violentes des
Palestinien·ne·s sont brutalement
écrasées ?
    Sa réaction donne à penser
qu’Israël craint un peuple qui lutte pour ses droits de
manière non violente. Le gouvernement israélien semble
craindre que des Palestinien·ne·s au coude à coude
avec des militant·e·s israéliens ne mettent en
danger son occupation, que la chute des murs dressés entre les
êtres humains est dangereuse. Peut-être l’Etat
d’Israël craint-il par-dessus tout l’espoir
qu’ont les peuples de vivre ensemble dans la justice et
l’égalité pour tous.

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De retour à Varsovie, 1968



Par Michael Sfard, avocat israélien de Bil’in, paru dans Haaretz, sept. 2009

Mon père fut arrêté à 21 ans. Les agents des
services secrets le traquaient depuis plusieurs semaines et la crainte
du moment où ils l’attraperaient le rongeait et mortifiait
ses parents âgés.

De nombreux membres du syndicat étudiant ont été
arrêtés avec lui. Leur cœur battait lorsque
s’ouvrait la lourde porte de fer de leur cellule. Qui serait
aujourd’hui appelé pour l’interrogatoire ?
Qui passerait les dix prochaines heures avec les deux enquêteurs,
le gentil et le méchant?

    Au cours de ses nombreux interrogatoires il ne fut
ni battu, ni torturé. Les mêmes questions lui
étaient sans cesse répétées :
« Qui sont les leaders ? », « Admets avoir
planifié des attaques contre les forces de
sécurité », « Qui sont vos contacts
à l’étranger ? ». Il mangeait
bien. Il n’a jamais eu froid. Mais ses parents ont vieilli durant
les trois mois de sa détention et ma mère a pleuré
des torrents de larmes. Cela se passait à Varsovie, en 1968.

    La semaine dernière, on a annoncé que
le Major Général Gadi Shamni et le brigadier
général Noam Tivon, qui commande la division de
Judée-Samarie des forces de défense israéliennes
(IDF) ont fini leurs périodes. Leurs poitrines brillent des
décorations qui ont récompensé leurs succès
au cours de leurs années de service. L’affaiblissement des
structures du Hamas en Cisjordanie, le renforcement des forces de
sécurité de l’Autorité palestinienne,
l’amélioration du niveau de vie dans les villes
palestiniennes et, plus important que tout, la diminution en
Israël du nombre d’attaques terroristes de Cisjordanie.

    Une décoration leur manque. Ils ne sont pas
parvenus à réduire Bil’in, ce pénible
village qui, chaque semaine depuis près de cinq ans, manifeste
avec obstination pour rappeler au monde que des millions de personnes
continuent de subir l’occupation.

    Bil’in était à peine connu en
Palestine. Son combat non violent en a fait un symbole d’un lieu
où Israé­lien·ne·s et
Palesti­nien·ne·s agissent coude à coude. Il y
a deux ans la Cour suprême israélienne a jugé le
mur construit sur les terres de Bil’in illégal et
ordonné à l’armée de tracer une nouvelle
route. L’armée n’a toujours pas
exécuté ce jugement. Les deux généraux
décident aujourd’hui que le moment est venu de briser
cette magnifique solidarité, ils tentent d’écraser
les manifestations du vendredi à Bil’in.

    Cette orientation a débuté il y a 6
mois en autorisant des grenades lacrymogènes spéciales.
Les manifestant·e·s de Bil’in sont depuis longtemps
les cobayes de toutes sortes d’armes inventées dans les
labos de l’armée : des balles de poivre
brûlant la peau, « le cri », un engin
sonore, est supposé réduire les
manifestant·e·s à l’impuissance,
« le putois » projette un liquide puant qui
colle et provoque vomissements et douleurs abdominales. Ils subissent
aussi les balles enrobées de caoutchouc, les grenades
lacrymogènes ordinaires, les balles réelles et les
matraques. L’histoire des manifestations de Bil’in raconte
celle d’innombrables os brisés, visages
ensanglantés, ecchymoses prenant toutes les couleurs de
l’arc-en-ciel.

    Les grenades lacrymogènes spéciales
sont lancées avec la force d’un petit missile, elles ont
une grande portée. Leur utilisation marque une escalade de la
violence. Cette arme a gravement blessé à la tête
un manifestant américain, Tristan Anderson, dans le village
voisin de Nil’in. Il est hospitalisé depuis cinq mois au
centre médical Tel Hashomer, à Sheba. A Bil’in,
elle a tué Bassem Abu Rahme, un jeune homme respecté de
tous, le premier manifestant tué à Bil’in.

    Après les grenades spéciales, les
raids nocturnes. Pour arrêter ceux que l’armée ou le
Shin Bet désignent comme membres du Comité populaire.
Depuis deux mois, plusieurs fois par semaine, les enfants de
Bil’in sont réveillés par le crissement des jeeps
de l’armée et les grenades assourdissantes. A trois
heures du matin des compagnies de soldats sous les ordres de Shamni et
Tivon envahissent les maisons pour arrêter tous ceux qu’ils
peuvent saisir : hommes, adolescents, enfants. Certains sont
relâchés après quelques heures, d’autres
après quelques semaines. Certains restent en détention
sous d’absurdes accusations. Mais personne ne touche aux
mani­fes­tant·e·s israéliens :
même le major général et le brigadier
général ont des limite
.
    Parmi les détenus capturés durant ces
raids, Mohammed Khatib un des dirigeants du mouvement villageois.
Quiconque croit à la paix et à la coexistence ne peut
qu’espérer que cet homme sera un des leaders de la
Palestine. Jeune trentenaire plein de charme et de charisme, Khatib est
un de ceux qui, avec ses amis, a mis en œuvre ce combat non
violent commun, le Martin Luther King palestinien. Infatigable, chaque
semaine depuis cinq ans, il imagine une action, un slogan, une
démarche qui embarrassent le régime, il rédige des
articles pour exposer ses mensonges et sa cruauté […]

    Lamia, la femme de Khatib, et leurs enfants sont
restés seuls dans leur maison la nuit où Khatib a
été arrêté Quelques nuits plus tard les
Jeeps sont revenues pour interroger le père de Mohammed.
Peut-être ont-ils pensé que Khatib parlerait après
avoir appris l’interrogatoire de son vieux père. Khatib a
été libéré avec l’interdiction de
prendre part aux manifestations de Bil’in. Les Jeeps ont ensuite
arrêté le vice-président du conseil municipal
Mohammed Abu Rahme, 48 ans, Abu Nizar.

    Armés de fusils prêts à tirer,
les soldats ont cassé sa porte et l’ont sorti du lit
devant sa femme et ses enfants. Le major général et le
brigadier général enfoncent le clou. Quiconque
espère écraser les voix non-violentes de Palestine doit
absolument arrêter Abu Nizar. Cet homme est un modèle pour
des centaines d’Israélien-ne-s et d’activistes
internationaux. Comme Khatib il a été remis entre les
mains des interrogateurs, du bon et du méchant. Le Shin Bet
l’a interrogé quatre jours et quatre nuits pour savoir
s’il avait donné l’ordre de jeter des pierres. Ils
ne voulaient rien de lui. Seulement l’enfermer et
l’effrayer lui et tous les organisateurs des manifestations de
Bil’in.
   
Les gens qui ont ordonné les arrestations de Khatib, d’Abu
Nizar et de dizaines de leurs collègues – certains
d’entre eux sont encore détenus, le chauffeur de taxi Adib
Abu Rahme pourrit en prison depuis 2 mois pour être membre du
Comité populaire – sont des ignares. Ils n’ont
retenu aucune leçon de l’histoire des luttes de
libération. Ils pensaient briser le mouvement de Bil’in.
A en juger par les dernières manifestations, ils ne sont
parvenus qu’à le renforcer.

    Une audience du tribunal militaire m’a
donné un aperçu de la détention provisoire de
Khatib. Il n’était pas présent à
l’audience, le Service des prisons d’Israël avait
oublié de l’y conduire… Le procureur militaire
parlait avec pathos de « risque pour la
sécurité », de son nécessaire
maintien en détention. Tout comme pour mon père et ses
amis de Varsovie qui organisaient en 1968 des manifestations contre le
régime et pour la démocratie. Là-bas aussi les
autorités pensaient étouffer la protestation en enfermant
les leaders. Là-bas aussi on s’en saisissait aux petites
heures de l’aube. Là-bas aussi des policiers
arrêtaient, des procureurs accusaient, des juges jugeaient.
Là-bas aussi chacun d’entre eux n’était
qu’un rouage de l’énorme machine à
contrôler et opprimer des millions.

    Beaucoup d’Israélien·ne·s
contestent l’occupation mais s’indignent qu’on
compare le régime imposé à la Cisjordanie à
un régime totalitaire. Bien sûr, les comparaisons sont
délicates. La Varsovie de 1968 ne ressemble pas au Bil’in
de 2009. Le conflit est autre, la lutte est autre, le monde est autre.
Mais toutes les tentatives d’opprimer des êtres humains ont
quelque chose de semblable. Avec le recul du temps, leurs similitudes
s’imposent et minimisent leurs différences.