Soutenir Bil’in : faire connaître la résistance populaire non-violente du peuple palestinien
Soutenir Bilin : faire connaître la résistance populaire non-violente du peuple palestinien
Israël a envahi des territoires palestiniens le 10 juin 1967
à la fin de la Guerre des 6 jours. Contraire au droit
international, cette occupation a conduit à leur
émiettement par la construction incessante de colonies au
mépris du droit et de la résistance des
Palestinien·ne·s. Mise en place dès 2002, la
prétendue « barrière de
sécurité » prétend justifier ce
processus.
Depuis près de trois quarts de siècle,
le peuple palestinien revendique la reconnaissance de ses droits
nationaux. LEtat dIsraël a opposé son
inflexible répression aux différentes formes de son
combat. Cette résistance, née avec les luttes de
libération des années 1950 à 1970, a
survécu à leur affaissement des années 1980 et
1990. Elle se poursuit dans des conditions difficiles.
Les prétextes de
lévangélisation et de léducation
étaient présentés hier pour dissimuler
lintervention des canonnières et des rapaces. Les task
forces frappent aujourdhui les peuples à coup
dobus à luranium appauvri, de bombes à
sous-munition ou de phosphore blanc au nom de la démocratie
et du droit des femmes. A nouveau, des armées occidentales
concourent au contrôle de précieuses matières
premières.
Dautres pays occidentaux rejoignent
Israël dans un processus de recolonisation.
Lennemi ? Lislam,
« lislamisme », la culture de peuples
qui partagent le tort dhabiter une terre imbibée de
pétrole, davoir rêvé avec le nationalisme
arabe et lAlgérie en lutte pour son indépendance
et de vivre aujourdhui révolte et déception.
Depuis le 11 septembre 2001, une formidable
opération de propagande justifie la terreur en prétendant
combattre le terrorisme, à Gaza ou au Liban, en Afghanistan, en
Irak, en Iran, au Pakistan. Soucieuse de dissimuler sa
brutalité, la démocratie occidentale se reproche
davoir plié devant lantisémitisme dans les
années noires du 20e siècle. Les sycophantes qui
soutiennent Israël contre les misérables qui vivent dans le
ghetto de Gaza, contre le Hamas, se revendiquent de la lutte contre
lantisémitisme. Cest delle aussi, et du
souvenir de la Shoah, que se réclame lEtat
dIsraël pour justifier sa politique anti-palestinienne.
Comprendre la colère, expliquer le
désespoir ce nest pas justifier. Les attentats kamikazes
étaient inacceptables et nous les avons condamnés. Et les
missiles envoyés sur Sdérot ? Mais peut-on ignorer
le carnage commis par Tsahal en guise de représailles ?
Une résistance généreuse et
courageuse sexprime dans toute la Palestine. La diabolisation
réduit le peuple palestinien à la violence aveugle et
lignore, comme elle ignore la solidarité que lui
témoignent des militant·e·s israéliens et
internationaux.
Contre lexpropriation de leurs terres
agricoles pour y bâtir des colonies, contre la protection du
pillage colonial par la prétendue barrière de
sécurité, les villages de Nilin, de Bilin
et tant dautres mènent depuis des années une lutte
opiniâtre dont lopinion publique occidentale est
hélas trop peu informée. Car cette information est
indispensable pour dissiper lignorance à propos de la vie
quotidienne sous loccupation israélienne. Sous sa botte,
chaque geste léducation des enfants, la vie en
famille, la solidarité entre voisins est un acte de
résistance. Il faut montrer les checkpoints, les
kilomètres et les heures perdus, les conséquences
mortelles de soins tardifs, les barrages qui interdisent aux
travailleurs-euses de rejoindre leur travail, la misère
quils provoquent. Il faut dénoncer ceux qui tirent profit
des colonies et montrer limportance, dans les pays occidentaux,
des actions de « boycott, désinvestissement et
sanctions » (BDS) que demandent les
Palestinien·ne·s et les
Israélien·ne·s conscients de la
nécessité daffaiblir le racisme colonial
israélien.
Le cinéaste israélien Shaï
Carmeli Pollak milite depuis des années avec les Anarchistes
contre le mur. Avec eux, il a participé aux manifestations
contre la prétendue « barrière de
sécurité » quorganisent les
habitant·e·s de villages volés et humiliés.
Il sest lié aux habitant·e·s de
Bilin et à son Comité populaire et a entrepris de
raconter leur vie, leur combat. Achevé en 2006, son film
« Bilin mon amour » a été
projeté en mai 2007 au Festival du Film documentaire de Nyon. Il
a gagné de nombreuses récompenses internationales. Ayant
pris part en 2007 à la Conférence internationale de
Bilin, ACOR SOS Racisme a entamé une collaboration avec
Shaï Carmeli Pollak et le Comité populaire de Bilin
pour aider à faire connaître sa lutte.
Haytham al Khatib*, membre de ce Comité
populaire et le réalisateur israélien Shaï Carmeli
Pollak sont récemment venus à Genève
témoigner des conditions actuelles de la lutte, à
Bilin et dans les autres villages de Cisjordanie, contre le mur
qui protège la colonisation de leurs terres.
A linvitation dACOR SOS Racisme, ils
ont pris part du 4 au 6 septembre à la Biennale Libre de
lImage en Mouvement (BLIM) qui présentait les films de
Shaï Carmeli Pollak. Organisée par les Amis de
Saint-Gervais, elle a été un point fort de la campagne
« Sauvons la Maison de la Culture de Saint-Gervais ». Le 7
septembre, Rémy Pagani, maire de Genève, a reçu
ces deux militants, qui prenaient part, le lendemain, à une
soirée du Collectif Urgence Palestine (CUP-GE).
Ce cahier informe sur une lutte quil appelle
à soutenir. Il présente deux articles
rédigés par Michael Sfard, avocat israélien de
Bilin, dans le journal israélien Haaretz et par Mohamed
Khatib, animateur du Comité populaire de Bilin, dans le
journal américain The Nation. Les deux expriment
limportance pour eux du renforcement du soutien de
lopinion publique occidentale à la cause du peuple
palestinien. La lutte non violente dont ils témoignent
disqualifie la propagande qui stigmatise les
Palestinien·ne·s.
Karl Grünberg
ACOR SOS Racisme
* Membre du Comité populaire de Bilin.
Entre 15 et 17 ans Haytham al Khatib a passé deux ans en prison.
Il avait été raflé pendant la première
Intifada. Il se consacre au site de Bilin et publie les films
quil tourne durant les manifestations. Pour les protéger,
il se consacre plus particulièrement aujourdhui aux
photos et aux vidéos des soldats qui viennent de nuit rafler des
jeunes gens.
Bilin, un village de Palestine, découvrez son combat, témoignez votre solidarité !
Chaque vendredi depuis février
2005, le Comité populaire de Bilin (1700
habitant·e·s) marche sans violence malgré les
coups, les blessures, la brutalité militaire contre la
barrière qui coupe le village de ses terres agricoles, contre la
colonie construite sur celles-ci.
Tous les ans depuis 2006, une Conférence internationale
réunit trois jours durant à Bilin les habitant-e-s
du village, les internationaux et les
Israélien·ne·s solidaires, les autorités
palestiniennes et des personnalités engagées dans la
défense des droits humains. Une délégation
suisse-romande croissante prend part à ses travaux.
Très documenté, le site
www.bilin-village.org/francais/ présente cette lutte et le
soutien à lui apporter. Un groupe de militant·e·s
israéliens, les Anarchistes contre le mur, développe
depuis des années des campagnes de solidarité avec les
villages palestiniens en lutte contre le mur. Son site :
www.awalls.org/qui_sommes_nous_francais. Le Comité populaire de
Bilin et les Anarchistes contre le mur ont reçu en 2008
la médaille Carl von Ossietsky de la Ligue internationale des
droits de lhomme.
Emmené par Desmond Tutu et Jimmy Carter, le
Comité des Sages sest récemment rendu à
Bilin. Ce soutien contribue à faire connaître leur
lutte et à desserrer létau de la
répression. Un procès en cours devant les tribunaux
canadiens contribue à la campagne BDS (Boycott, divestment,
sanctions).
Bilin, un exemple de linjustice subie en Palestine
La situation de Bilin est à limage de ce qui se passe dans toute la Palestine :
Loccupation de la Palestine par les forces armées
israéliennes est condamnée par la résolution 242
de lONU ainsi que par la Cour Internationale de Justice (CIJ).
La colonisation, quelle soit légale ou illégale
selon Israël, a également été
condamnée par les résolutions 242 et 338.
La construction du mur, lannexion de terre pour en faire
des zones militaires, sont aussi condamnées par lONU, et
par la Cour Internationale de Justice (CIJ).
La présence armée en territoire étranger
comme la vit le village de Bilin, est une situation illicite
selon lONU, punissable dune intervention armée
internationale, ainsi quune violation de la 4e Convention de
Genève.
La répression armée des manifestations de
Bilin, également interdite par toutes les cours et
instances internationales, est une violation des Droits de
lhomme, ainsi quune violation de la 4e convention de
Genève. Toutes formes de punitions collectives sont punissables
selon la 4e convention de Genève, et considérées
comme crime de guerre selon lONU.
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Quelques dates, quelques faits pour mieux connaître la lutte de Bilin
Fin 2004 Des terres sont confisquées et larmée communique lordre de construire le mur.
Février 2005 Le
Comité populaire de résistance contre le mur et les
colonies débute les manifestations non violentes à
Bilin.
Octobre 2005 Bilin
dépose plainte auprès de la Cour Suprême
israélienne et demande larrêt de la construction du
mur et des habitations dans le secteur de Mattityahu-Est.
Janvier 2006 La Cour Suprême israélienne ordonne darrêter la construction de logements à Mattityahu-Est.
Avril 2007 Deuxième édition de la Conférence sur la résistance non violente à Bilin.
Septembre 2007 La Cour
Suprême israélienne juge que le mur porte préjudice
à Bilin qui continue sa résistance non violente et
simplique dans dautres actions avec dautres
villages et militant·e·s israéliens contre
les routes dApartheid et contre loccupation.
Juin 2008 Troisième édition de la Conférence sur la résistance non violente.
Juillet 2008 Bilin
engage une action en justice contre les entreprises canadiennes Green
Mount Inc. et Green Park Inc. qui construisent et vendent des
habitations dans la colonie de Modiin Illit. Après 10
mois et une nouvelle injonction du président de la Cour
Suprême, lEtat dIsraël présente un
tracé alternatif pour le mur.
Août 2008 La Haute Cour
de Justice conclut le 3 août que ce nouveau tracé viole
larrêt de septembre 2007. Elle ordonne à
lEtat de présenter un nouveau tracé le respectant.
Décembre 2008 La Haute
Cour de Justice ordonne une nouvelle fois le déplacement du mur
et déclare illégal le nouveau tracé proposé
par larmée. LEtat a lordre de se conformer
à un tracé excluant lexpansion des colonies et de
payer les frais de justice à Bilin.
Avril 2009 Le 17 avril, lors de
la manifestation hebdomadaire, Bassem Abu Rahme est tué par une
grenade lacrymogène. Bilin dédie à la
mémoire de Bassem sa 4e conférence sur la
résistance populaire.
Juin 2009 Mohammed Khatib et
lavocate israélienne Emily Schaeffer font une
tournée au Canada pour parler de Bilin et du
procès opposant le village aux 2 entreprises canadiennes. Lors
de la manif du 26 juin, le village reçoit le soutien de
lauteure et militante altermondialiste canadienne Naomi Klein.
Juillet 2009 Les raids
nocturnes des forces doccupation deviennent quotidiens.
17 activistes sont arrêtés dont 13 jeunes. Le
Comité Populaire demande lintervention des instances
internationales et entame une campagne de manifestations nocturnes. Les
raids nocturnes ont débuté au moment où le
procès sest ouvert au Canada.
KG
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Le mouvement de masse non-violent contre lannexion face à une escalade meurtrière de la répression
Par Mohammed Khatib, animateur du
Comité populaire de Bilin. Article paru dans
« The Nation », le 11 septembre 2009
Il y a quelques semaines, au cur de la nuit, des dizaines de
soldats israéliens se sont violemment rués dans ma
maison. Pourquoi nont-ils pas tapé à la
porte ? Je la leur aurais ouverte. Ils mont
arrêté et laissé ma femme Lamia seule avec nos
quatre enfants. Khaled, le plus petit, il a 3 ans, sest
réveillé avec limage de soldats israéliens
à la face peinte qui emportaient son père. Depuis lors il
pleure sans arrêt. Il sest récemment
réveillé terrorisé et sanglotant :
«Papa, pourquoi as-tu laissé les soldats
memmener ? ». Cest dans cette peur que
dorment constamment nos enfants.
Beaucoup
dAméricain·e·s savent que
ladministration Obama pousse le gouvernement israélien
à geler la construction des colonies. Mais savent-ils
quIsraël, même sil négocie avec les
USA, a pris des mesures, comme mon arrestation par exemple, pour
combattre le mouvement palestinien non violent qui soppose
à la construction des colonies et du mur sur le territoire
palestinien de Cisjordanie ?
Les habitant·e·s de Bilin et
dautres villages nont cessé depuis plus de 5 ans
de protester contre le mur de séparation qui coupe le village de
ses terres pour assurer lexpansion des colonies
israéliennes. Nous avons porté notre cause devant les
tribunaux. En juillet 2004, la Cour internationale de justice de la
Haye a dit que le mur et toutes les colonies israéliennes
construits en Cisjordanie sont illégaux selon le droit
international. En septembre 2007, la Cour suprême
israélienne a jugé que le mur qui sépare
Bilin de 50 % de sa terre est illégal selon la loi
israélienne. Mais le mur na pas encore été
enlevé.
Larmée israélienne utilise de
façon croissante des armes létales et accroît sa
violence contre les manifestant·e·s. Elle arrête de
nombreuses personnes et de nombreux jeunes
manifestant·e·s. A Bilin seulement, vingt-neuf
habitant·e·s ont été arrêtés
ces trois derniers mois. Douze dentre eux sont des enfants.
Presque tous ont été raflés par
larmée au milieu de la nuit. Leur détention a
été prolongée à plusieurs reprises.
Mais les charges retenues contre eux sont sans
fondement. Jai par exemple été accusé de
jeter une pierre. Je nai été libéré
sous caution, et à des conditions draconiennes,
quaprès que mes avocats ont montré au tribunal les
timbres de mon passeport : ils prouvent que je voyageais
à létranger au moment de linfraction
présumée. Mon ami Adeeb Abu-Rahme, 37 ans et père
de neuf enfants, a été emprisonné durant plus de
six semaines et les charges retenues contre lui sont tout aussi
absurdes.
A Bilin, chaque vendredi nous marchons vers
le mur et protestons pacifiquement avec nos partenaires
israéliens et internationaux. Une fois par an nous organisons
une conférence internationale sur la lutte populaire
non-violente pour apprendre ensemble et nous inspirer de nos
expériences respectives : nous luttons ensemble pour
faire tomber les murs que loccupation dresse entre les peuples.
Combien de fois navons-nous pas dit aux soldats
israéliens que nous navons rien contre eux comme
personnes mais que nous nous opposons à leurs actions de force
militaire doccupation.
Dix neuf manifestant·e·s ont pourtant
été tués par larmée
israélienne lors de manifestations non violentes contre le mur.
Beaucoup dautres ont été blessés, y compris
des Israélien·ne·s et des internationaux. A
Bilin, nous avons perdu en avril notre ami Bassem Abu Rahme,
mortellement blessé par des soldats quil suppliait de
cesser de tirer sur les manifestant·e·s.
Il y a quelques mois, les forces doccupation
israéliennes nous ont prévenus de leur intention
décraser la lutte populaire. Pourquoi le gouvernement
israélien a-t-il décidé maintenant de renforcer la
répression des manifestations et décraser les
dirigeants du mouvement ? Peut-être a-t-il pris conscience
du développement de la lutte non violente ? Un nombre
croissant de villages la rejoignent, ils créent leurs propres
comités populaires et organisent à leur tour des
manifestations. La répression exprime-t-elle son
inquiétude face au développement du mouvement
international de boycott des entreprises et des hommes daffaire
qui, comme Lev Leviev, sont impliqués dans le vol par
Israël de notre terre ? Craint-il peut-être que nos
manifestations apprennent au nouveau gouvernement US que le mur sert
à lannexion de notre terre pour y construire des colonies
et que les protestations non-violentes des
Palestinien·ne·s sont brutalement
écrasées ?
Sa réaction donne à penser
quIsraël craint un peuple qui lutte pour ses droits de
manière non violente. Le gouvernement israélien semble
craindre que des Palestinien·ne·s au coude à coude
avec des militant·e·s israéliens ne mettent en
danger son occupation, que la chute des murs dressés entre les
êtres humains est dangereuse. Peut-être lEtat
dIsraël craint-il par-dessus tout lespoir
quont les peuples de vivre ensemble dans la justice et
légalité pour tous.
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De retour à Varsovie, 1968
Par Michael Sfard, avocat israélien de Bilin, paru dans Haaretz, sept. 2009
Mon père fut arrêté à 21 ans. Les agents des
services secrets le traquaient depuis plusieurs semaines et la crainte
du moment où ils lattraperaient le rongeait et mortifiait
ses parents âgés.
De nombreux membres du syndicat étudiant ont été
arrêtés avec lui. Leur cur battait lorsque
souvrait la lourde porte de fer de leur cellule. Qui serait
aujourdhui appelé pour linterrogatoire ?
Qui passerait les dix prochaines heures avec les deux enquêteurs,
le gentil et le méchant?
Au cours de ses nombreux interrogatoires il ne fut
ni battu, ni torturé. Les mêmes questions lui
étaient sans cesse répétées :
« Qui sont les leaders ? », « Admets avoir
planifié des attaques contre les forces de
sécurité », « Qui sont vos contacts
à létranger ? ». Il mangeait
bien. Il na jamais eu froid. Mais ses parents ont vieilli durant
les trois mois de sa détention et ma mère a pleuré
des torrents de larmes. Cela se passait à Varsovie, en 1968.
La semaine dernière, on a annoncé que
le Major Général Gadi Shamni et le brigadier
général Noam Tivon, qui commande la division de
Judée-Samarie des forces de défense israéliennes
(IDF) ont fini leurs périodes. Leurs poitrines brillent des
décorations qui ont récompensé leurs succès
au cours de leurs années de service. Laffaiblissement des
structures du Hamas en Cisjordanie, le renforcement des forces de
sécurité de lAutorité palestinienne,
lamélioration du niveau de vie dans les villes
palestiniennes et, plus important que tout, la diminution en
Israël du nombre dattaques terroristes de Cisjordanie.
Une décoration leur manque. Ils ne sont pas
parvenus à réduire Bilin, ce pénible
village qui, chaque semaine depuis près de cinq ans, manifeste
avec obstination pour rappeler au monde que des millions de personnes
continuent de subir loccupation.
Bilin était à peine connu en
Palestine. Son combat non violent en a fait un symbole dun lieu
où Israélien·ne·s et
Palestinien·ne·s agissent coude à coude. Il y
a deux ans la Cour suprême israélienne a jugé le
mur construit sur les terres de Bilin illégal et
ordonné à larmée de tracer une nouvelle
route. Larmée na toujours pas
exécuté ce jugement. Les deux généraux
décident aujourdhui que le moment est venu de briser
cette magnifique solidarité, ils tentent décraser
les manifestations du vendredi à Bilin.
Cette orientation a débuté il y a 6
mois en autorisant des grenades lacrymogènes spéciales.
Les manifestant·e·s de Bilin sont depuis longtemps
les cobayes de toutes sortes darmes inventées dans les
labos de larmée : des balles de poivre
brûlant la peau, « le cri », un engin
sonore, est supposé réduire les
manifestant·e·s à limpuissance,
« le putois » projette un liquide puant qui
colle et provoque vomissements et douleurs abdominales. Ils subissent
aussi les balles enrobées de caoutchouc, les grenades
lacrymogènes ordinaires, les balles réelles et les
matraques. Lhistoire des manifestations de Bilin raconte
celle dinnombrables os brisés, visages
ensanglantés, ecchymoses prenant toutes les couleurs de
larc-en-ciel.
Les grenades lacrymogènes spéciales
sont lancées avec la force dun petit missile, elles ont
une grande portée. Leur utilisation marque une escalade de la
violence. Cette arme a gravement blessé à la tête
un manifestant américain, Tristan Anderson, dans le village
voisin de Nilin. Il est hospitalisé depuis cinq mois au
centre médical Tel Hashomer, à Sheba. A Bilin,
elle a tué Bassem Abu Rahme, un jeune homme respecté de
tous, le premier manifestant tué à Bilin.
Après les grenades spéciales, les
raids nocturnes. Pour arrêter ceux que larmée ou le
Shin Bet désignent comme membres du Comité populaire.
Depuis deux mois, plusieurs fois par semaine, les enfants de
Bilin sont réveillés par le crissement des jeeps
de larmée et les grenades assourdissantes. A trois
heures du matin des compagnies de soldats sous les ordres de Shamni et
Tivon envahissent les maisons pour arrêter tous ceux quils
peuvent saisir : hommes, adolescents, enfants. Certains sont
relâchés après quelques heures, dautres
après quelques semaines. Certains restent en détention
sous dabsurdes accusations. Mais personne ne touche aux
manifestant·e·s israéliens :
même le major général et le brigadier
général ont des limite
.
Parmi les détenus capturés durant ces
raids, Mohammed Khatib un des dirigeants du mouvement villageois.
Quiconque croit à la paix et à la coexistence ne peut
quespérer que cet homme sera un des leaders de la
Palestine. Jeune trentenaire plein de charme et de charisme, Khatib est
un de ceux qui, avec ses amis, a mis en uvre ce combat non
violent commun, le Martin Luther King palestinien. Infatigable, chaque
semaine depuis cinq ans, il imagine une action, un slogan, une
démarche qui embarrassent le régime, il rédige des
articles pour exposer ses mensonges et sa cruauté [
]
Lamia, la femme de Khatib, et leurs enfants sont
restés seuls dans leur maison la nuit où Khatib a
été arrêté Quelques nuits plus tard les
Jeeps sont revenues pour interroger le père de Mohammed.
Peut-être ont-ils pensé que Khatib parlerait après
avoir appris linterrogatoire de son vieux père. Khatib a
été libéré avec linterdiction de
prendre part aux manifestations de Bilin. Les Jeeps ont ensuite
arrêté le vice-président du conseil municipal
Mohammed Abu Rahme, 48 ans, Abu Nizar.
Armés de fusils prêts à tirer,
les soldats ont cassé sa porte et lont sorti du lit
devant sa femme et ses enfants. Le major général et le
brigadier général enfoncent le clou. Quiconque
espère écraser les voix non-violentes de Palestine doit
absolument arrêter Abu Nizar. Cet homme est un modèle pour
des centaines dIsraélien-ne-s et dactivistes
internationaux. Comme Khatib il a été remis entre les
mains des interrogateurs, du bon et du méchant. Le Shin Bet
la interrogé quatre jours et quatre nuits pour savoir
sil avait donné lordre de jeter des pierres. Ils
ne voulaient rien de lui. Seulement lenfermer et
leffrayer lui et tous les organisateurs des manifestations de
Bilin.
Les gens qui ont ordonné les arrestations de Khatib, dAbu
Nizar et de dizaines de leurs collègues certains
dentre eux sont encore détenus, le chauffeur de taxi Adib
Abu Rahme pourrit en prison depuis 2 mois pour être membre du
Comité populaire sont des ignares. Ils nont
retenu aucune leçon de lhistoire des luttes de
libération. Ils pensaient briser le mouvement de Bilin.
A en juger par les dernières manifestations, ils ne sont
parvenus quà le renforcer.
Une audience du tribunal militaire ma
donné un aperçu de la détention provisoire de
Khatib. Il nétait pas présent à
laudience, le Service des prisons dIsraël avait
oublié de ly conduire
Le procureur militaire
parlait avec pathos de « risque pour la
sécurité », de son nécessaire
maintien en détention. Tout comme pour mon père et ses
amis de Varsovie qui organisaient en 1968 des manifestations contre le
régime et pour la démocratie. Là-bas aussi les
autorités pensaient étouffer la protestation en enfermant
les leaders. Là-bas aussi on sen saisissait aux petites
heures de laube. Là-bas aussi des policiers
arrêtaient, des procureurs accusaient, des juges jugeaient.
Là-bas aussi chacun dentre eux nétait
quun rouage de lénorme machine à
contrôler et opprimer des millions.
Beaucoup dIsraélien·ne·s
contestent loccupation mais sindignent quon
compare le régime imposé à la Cisjordanie à
un régime totalitaire. Bien sûr, les comparaisons sont
délicates. La Varsovie de 1968 ne ressemble pas au Bilin
de 2009. Le conflit est autre, la lutte est autre, le monde est autre.
Mais toutes les tentatives dopprimer des êtres humains ont
quelque chose de semblable. Avec le recul du temps, leurs similitudes
simposent et minimisent leurs différences.