Augmentation des émissions de CO2: L’acidification des océans, sœur jumelle du réchauffement climatique
Augmentation des émissions de CO2: Lacidification des
océans, sur jumelle du réchauffement climatique
Locéan représente
un formidable puits de carbone. Chaque jour, il absorbe 22 millions de
tonnes de CO2 produit par la combustion des énergies fossiles.
Mais alors que, dans latmosphère, le dyoxide de carbone
reste inerte chimiquement, il nen va pas de même dans
leau.
Le fonctionnement de la pompe biologique de locéan est
connu dans son principe. A travers un mécanisme
déquilibre des pressions, le CO2 présent sous
forme de gaz dans latmosphère pénètre dans
les eaux de surface ; une série de processus biologiques et
physiques interviennent ensuite, pour le transporter enfin vers les
fonds marins, sous la forme, principalement, de particules
inorganiques. Cest la célèbre « neige
marine » que lon peut observer dans tous les
documentaires sur les grands fonds marins. Cette transformation
sétale sur des décennies, voire des
siècles. Le carbone se retrouve, pour lessentiel,
stocké dans les sédiments sous forme de carbonate de
calcium (CaCO3). Mais laugmentation de la quantité de
dyoxide de carbone absorbée modifie les réactions
chimiques en surface. Le CO2 dissout réagit avec leau
pour donner de lacide carbonique (H2CO3).
Léquilibre du rapport base-acide avec le carbonate
(CO32) et le bicarbonate (HCO3) se modifie. Leau
devient plus acide. Cette modification se traduit dans le changement du
potentiel hydrogène (pH) de leau de mer.
Leau de mer sacidifie
Le pH permet de mesurer la relation entre les acides et les bases dans
une solution. Leau de Javel du ménage a un pH de 12 et le
jus de citron un pH de 2,4 à 2,6. Leau pure a un pH
neutre de 7. Depuis le début de lère industrielle,
le pH de leau des océans a diminué de 0,11
unité, pour sétablir en moyenne à 8,05.
Cela peut sembler peu. Toutefois, léchelle de pH
nétant pas arithmétique, mais logarithmique, cette
valeur à première vue faible exprime en
réalité un accroissement de 30 % de
lacidité de leau de mer, qui pourrait devenir
120 % en 2060. Cette forme de changement est analogue à
celle du réchauffement climatique : abstraitement, son
degré paraît faible, mais la rapidité même de
cette évolution empêche le fonctionnement de
mécanismes stabilisateurs naturels. De même que la
planète a déjà connu des variations de
température, que latmosphère a contenu des
quantités changeantes de CO2, les océans ont aussi eu des
pH variables. Mais jamais sur une période aussi brève, ce
qui change radicalement la donne. Dautant plus que le
renforcement de leffet de serre réchauffe les
océans et que des eaux plus chaudes réduisent la
solubilité du dyoxide de carbone, augmentant en retour sa
présence dans latmosphère. Cest là
une situation typique de rétroaction négative.
Les effets probables sur le vivant
Les modifications de la chimie des eaux océaniques de surface
ont pour effet de réduire la quantité de carbonate de
calcium à disposition des organismes marins qui
lutilisent pour fabriquer leur coquille, leur test ou leur
squelette. Parmi ces organismes, on compte les coraux, le phytoplancton
calcaire (coccolithophoridés), les moules, les huîtres,
les escargots de mer, les oursins, mais aussi les étoiles de mer
ou les concombres de mer. Selon la qualité de leur structure
(aragonite ou calcite, contenant plus ou moins de magnésium),
laugmentation de lacidité peut entraîner
laffaiblissement ou la dissolution de lorganisme. Voici
quelques perspectives probables :
Les coraux verront leur croissance ralentie et leurs
récifs deviendront plus fragiles et vulnérables à
lérosion.
Les coccolithophoridés occupent une place
importante dans la pompe biologique et assurent une bonne partie de
lexportation du carbonate de calcium vers les fonds
océaniques. Cette fonction pourrait diminuer, réduisant
la capacité de stockage de locéan et augmentant
leffet de serre.
Dans les eaux froides des océans polaires, les
ptéropodes, minuscules escargots nageant librement, forment le
premier maillon de la chaîne alimentaire. Organismes calcifiants,
ils sont particulièrement sensibles à
lacidification, qui empêche le développement de
leur coquille protectrice et joue le rôle de ballast dans leur
migration quotidienne. Trous, effritements, dissolution partielle de la
coquille surviennent en présence dune eau plus acide. Les
effets sur les écosystèmes par le biais de la
modification de la chaîne alimentaire pourraient être
considérables.
La modification de la chimie de locéan
pourrait aussi avoir des effets sur lécholocalisation
utilisée par les mammifères marins, puisque
labsorption des sons change en fonction de
lacidité. Elle augmenterait aussi la portée
dun grand nombre de sons sous-marins produits par les
activités industrielles et militaires dans les océans
ainsi que par les navires et bateaux. Le bruit de fond du milieu marin
serait accru, avec des risques de désorientation pour les
mammifères marins.
Une autre forme de désorientation pourrait frapper
les juvéniles qui utilisent les odeurs pour retrouver leur
habitat dans les courants marins, comme le poisson-clown qui
trouve son chemin grâce à lanémone de mer.
Une augmentation de lacidité pourrait créer des
confusions dans le guidage olfactif.
Ce ne sont là que quelques
probabilités, peu rassurantes, qui nécessitent un intense
travail de recherche et de vérification scientifiques.
A cette première urgence sen ajoute une autre, tout
aussi impérative : réduire immédiatement et
de manière massive les émissions de CO2.
Daniel Süri