Le FSM de Nairobi Foire commerciale pour ONG ou espace politique de gauche?
Le FSM de Nairobi Foire commerciale pour ONG ou espace politique de gauche?
Cest un message nuancé
combinant célébration et autocritique qui
est à lordre du jour au lendemain du Forum social mondial
de Nairobi. Du 20 au 25, les 60000 participants inscrits y ont entendu
une rhétorique triomphaliste radicale, tandis quils
assistaient à des entorses répétées
à la justice sociale, notamment dans le processus même du
FSM.
Le coordinateur du Forum social kenyan, Onyango Oloo, a
énuméré les griefs que les activistes locaux
avaient mis en tête de leurs préoccupations: les lois
coloniales et les politiques qui ont dépossédé
leurs communautés; limpact des activités
dextraction sur lenvironnement et la vie humaine; les
politiques discriminatoires des gouvernements successifs qui ont
garanti le maintien rigide de conditions précoloniales de
pauvreté et de sous-développement au sein de nombreuses
communautés minoritaires ou pastorales; le
désintérêt arrogant pour les préoccupations
des femmes de Samburu, violées pendant des années par des
soldats britanniques envoyés en mission militaire dans ces
communautés kenyanes; les rivalités persistantes entre
colons établis dans la période néocoloniale et
hommes daffaires compradors kenyans dans laccumulation de
milliers dhectares, tandis que les communautés
minoritaires ou pastorales sont les cibles de la terreur dEtat,
des expulsions et des dénonciations.
Lorganisateur du FSM, Wahu Kaara, a déclaré:
«Nous surveillons [les élites globales] et cette fois-ci
elles ne sen sortiront pas, parce que nous disons que si elles
nannulent pas les dettes, nous les répudierons. Nous
refusons le commerce injuste. Nous nacceptons aucune aide sous
condition. Nous refusons que lAfrique soit
désignée comme le continent pauvre. Nous avons de
lespoir, de la détermination, et tout ce que nous pouvons
offrir à la race humaine.» Le directeur kenyan du portail
africain dinformation et danalyse www.pambazuka.org déplore:
«Ce sommet avait toutes les caractéristiques dune
foire commerciale les plus riches avaient plus
dactivités à leur programme, des espaces plus
grands (et plus confortables), plus demoyens de diffusion, et pour cela
une voix qui portait plus loin. Ainsi, le troupeau habituel de
quasi-donateurs et dONG internationaux revendiquait une
présence plus forte que les organisations nationales non
pas, parce que ce quelles avaient à dire était
plus important ou plus pertinent sur le thème du FSM, mais
essentiellement parce quelles disposaient de budgets
supérieurs». Le commentateur de Nairobi, Tajudeen
Abdul-Raheem (écrivant aussi pour pambazuka) souligne:
«Les FSMmontrent les faiblesses de lAfrique, quils
se tiennent enAfrique ou en dehors. Lun des aspects critiques
réside dans notre niveau de participation
et de préparation. Une majorité des participant-e-s
africains dont de nombreux Kenyans sont soutenus par
des financements ou des organisations dorigine
étrangère. Ils deviennent souvent prisonniers de leurs
bailleurs de fonds. Ils doivent suivre des activités
organisées ou soutenues par leurs commanditaires, qui ont aussi
besoin de mettre leurs «partenaires» bien en vue, tandis
que ceux-ci ont besoin à leur tour demontrer leur loyauté
à leurs maîtres.» Léditeur du
NewInternationalist, AdamMaanit ajoute: «La vue des 4×4
à lenseigne de lOxfam circulant fièrement,
les nombreux groupes caritatifs ou religieux débordant de
ressources, recouvrant leurs stands (et même leurs espaces de
bureau) de revue sur papier glacé et de sucreries de marque,
tout cela fait naître le soupçon que le FSM est devenu
peut-être trop institutionnalisé. Le parrainage du FSM par
des multinationales est encore plus inquiétant. Les
organisateurs et organisatrices du Forum ont annoncé
fièrement leur partenariat avec Kenya Airways. La même
compagnie qui a, semble-t-il, depuis des années, refusé
le droit de réunion à ses employé-e-s,
organisés au sein de lAviation and Allied Workers
Union.»
Le blogueur Sokari Ekine («Black Looks») fait cette
remarque sur le rassemblement final du FSM: «Kasha, une militante
LGBT de Sexual Minorities dOuganda est montée sur le
podium pour faire une déclaration. On lui a demandé une
copie de ce quelle allait dire, ce quelle a fait. Les
organisateurs ont jeté ses notes à terre et lui ont
refusé la parole. Kasha ne sest pas laissée
démonter, disant que, comme chacun- e, elle avait le droit de
parler ici, au FSM. En dépit du harcèlement de celui qui
donnait la parole et des organisateurs, Kasha a pris lemicro et
sest exprimée. Elle a parlé de ce que signifiait
être lesbienne, être homosexuelle. Elle a
réfuté le mythe que lhomosexualité serait
non africaine. Elle a évoqué la punition et la
criminalisation des homosexuel-le-s du Kenya, de lOuganda et du
Nigéria. Elle a dit que les homosexuel-le-s dAfrique
étaient là pour y rester; que les homosexuel-le-s ont les
mêmes droits que quiconque et devraient être
acceptés; et enfin, que même en Afrique, un autre monde
est possible pour les homosexuel- les. Kasha a été
conspuée, la foule lui criant des obscénités en
agitant les mains et en hurlant: Non!Non!Non! Mais elle a
continuité à dire ce quelle avait à
dire.»
Ces sobres observations ont été reflétées par une déclaration de
lAssemblée des mouvements sociaux à
loccasion dun rassemblement de plus de 2000 personne, le
24 janvier: «Nous dénonçons les tendances à
la commercialisation, à la privatisation et à la
militarisation de lespace du FSM. Des centaines de nos soeurs et
frères, qui nous ont accueillis à Nairobi, ont
été exclus en raison des coûts élevés
de participation. Nous sommes également fortement
préoccupés par la présence des organismes agissant
contre les droits des femmes, des personnes marginalisées, et
contre les droits à la diversité sexuelle, en
contradiction avec la Charte des principes du FSM». (
)
* Patrick Bond dirige le Centre
for Civil Society, qui a participé à la production
dun livrel gratuit sur la politique du FSM: http://www.nu.ac.za/ccs/files/CACIM% 20CCS%20WSF%20Politics.pdf. Notre traduction daprès ZNET Daily Commentaries du 1er février 2007 (http://www.zmag.org). Coupuresde la rédaction.